L. 790.  >
À Charles Spon,
le 1er août 1664

Monsieur, [a][1]

L’entrée du légat [2] a été différée. Il est à Fontainebleau [3] où il traite de ses affaires avec Messieurs les députés du Conseil. On dit qu’il fut hier enfermé trois heures dans son cabinet avec M. de Lionne. [4] Tout le monde parle de son entrée, mais personne n’en sait rien. Se fera-t-elle ou non ? c’est un grand problème. Mais en attendant que le temps nous en éclaircisse, je vous dirai que les jacobins du faubourg Saint-Honoré [5][6][7] ont perdu leur procès à la Grand’Chambre et qu’ils sont obligés de déguerpir du mont Valérien, [8] qu’ils avaient occupé par force sur les prêtres reclus et les ermites qui y demeuraient, et qui en avaient été chassés par ces maîtres moines. Ne diriez-vous pas qu’ils se persuadent que tous les biens sont communs et qu’il n’est question que de prendre ? On se loue ici de la justice que la Cour a rendue en cette occasion. [1] Je suis, etc.

De Paris, ce 1er août 1664.


a.

Du Four (édition princeps, 1683), no cxx (pages 359‑360), et Bulderen, no cccxxv (tome ii, pages 427‑428) à Charles Spon ; Reveillé-Parise, no dcxl (tome iii, page 480) à André Falconet.

1.

Le mont Valérien est une colline située à 11 kilomètres à l’ouest de Paris, sur la rive gauche de la Seine, entre les routes de Versailles et de Saint-Germain (sur les actuelles communes de Suresnes, Nanterre et Rueil-Malmaison). Ce lieu, dont le nom rappelle, dit-on, celui du père de l’empereur Gallien (218-268), paraît avoir été, dès les premiers temps du christianisme, habité par des ermites et des communautés religieuses, mais ces souvenirs n’ont rien de précis. Vers 1400, d’après Gerson, vivait au mont Valérien un anachorète célèbre nommé Antoine. Son ermitage fut occupé longtemps après sa mort par la sœur Guillemette Faussart ; elle y fit bâtir la chapelle et une grande cellule, elle mourut vers 1561. Un jeune visionnaire, Jean Housset, lui succéda dans l’ermitage (G.D.U. xixe s.)

En 1634, Hubert Charpentier, prêtre et bachelier de Sorbonne, avait installé auprès des anciens solitaires une congrégation nouvelle, les Prêtres du Calvaire. Il avait fait construire une église et un séminaire, avec un calvaire et un chemin de croix, dont de nombreux pèlerins venaient parcourir les stations. Il paraissait en 1664, in‑4o, sans lieu ni nom, Le Calvaire profané ou le Mont Valérien usurpé par les jacobins réformés du faubourg Saint-Honoré à Paris, adressé à eux-mêmes, diatribe en vers de 48 pages écrite par Jean Duval, chapelain du Collège de Séez, mort en 1680. Les jacobins, prétextant leur bon droit de propriété, s’y étaient établis d’autorité en chassant sans aucun ménagement les Prêtres du Calvaire qui occupaient le Mont (pages 39-40) :

« Mais la garnison des bons frères
Que vous fîtes dépositaires
De l’établissement nouveau
Mérite encor mieux le pinceau.
Car j’apprends bien d’autres merveilles,
De leurs travaux et de leurs veilles,
De leurs soins et de leurs efforts
Sur les vivants et sur les morts,
Des recherches et des poursuites
Qu’ils firent partout des ermites,
Fourrant des lames bien avant,
Voulant les perdre en les trouvant,
Jusque-là que les sépultures
Leur étaient des caches peu sûres,
Et que ce n’était pas assez
D’être au nombre des trépassés.
Mais la descente dans la cave
Fit douter qui fut le plus brave
À la découverte des muids.
C’est là qu’ils firent de beaux bruits,
Chantant toute la nuit, tasse pleine,
Pour si peu, ce n’est pas la peine,
C’est bien à ces prêtres de Dieu
D’avoir si bon vin, si beau lieu.
Hé ! qu’ils s’en aillent à Bicêtre
Nous voir encore par la fenêtre, etc.
 »

L’affaire se termina devant le Parlement, qui donna tort aux jacobins.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 1er août 1664

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(Consulté le 28/03/2024)

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