Mme la duchesse d’Orléans [2] est accouchée d’un petit prince qu’on appellera le duc de Valois. [3] Plût à Dieu qu’il parvienne à la gloire de tant de bons princes qui ont porté ce nom. [1] Henri iii [4] était très bon, mais il fut malheureux pour s’être trop fié à ses favoris, et fut enfin assassiné par un moine jacobin, [5][6] à Saint-Cloud, [7] dans une chambre où j’ai souvent été. [2] Ces moines [8] sont bien maudits de tuer les rois ; cependant, à les voir, on croirait qu’ils ont des intelligences en paradis ; ils en ont bien plus avec le diable, mais malheur à ceux qui s’y fient. Cette même maison de Saint-Cloud, qui appartenait à la famille de Gondi, appartient aujourd’hui à M. le duc d’Orléans, [9] père du prince de Valois qui vient de naître.
Il avait ici couru une nouvelle touchant quelques avantages que nous avions eus en Hongrie contre les Turcs, mais il n’y avait rien de certain. Omnis homo mendax, [3][10] le monde ne saurait s’empêcher de mentir. La peste continue toujours bien fort à Amsterdam. [11][12] La trêve n’est pas faite entre les Anglais et les Hollandais ; metuo fortiter ne tandem magnum negotium < desinat >, et res maximi momenti erumpat in nervum. [4][13] Quoi qu’il arrive, on croit que les Anglais seront toujours de notre côté et que leur roi [14] est de fort bonne intelligence avec le nôtre.
Nous n’avons rien de nouveau de la Chambre de justice, [15] on parle toujours de M. Fouquet, [16] mais personne ne sait quand cela finira. Quem das finem, Rex magne, laborum ? [5][17] On m’a dit que l’on avait imprimé chez Elsevier [18] à Amsterdam plusieurs tomes de factums, requêtes, apologies et défenses pour lui, mais on n’en a encore point vu ici. Le roi [19][20] a été saigné [21] deux fois. On dit qu’il va être purgé [22] pour prendre après des eaux de Saint-Myon [23] et du lait d’ânesse ; [24] utinam feliciter convalescat. [6]
On imprime présentement en Hollande chez M. Blaeu [25] le livre de M. Ger. Jo. Vossius de Idolatria, etc. [26] Il sera in‑fo augmenté de la moitié, ce sera un fort bon livre car M. Is. Vossius, [27] son fils unique, me l’a dit lui-même. [7] Il est ici depuis six semaines, il m’a fait l’honneur de me visiter deux fois. Je l’avais autrefois connu chez M. Hugo Grotius, [28] l’an 1639, et chez M. Salmasius [29] en 1643. On imprime en Angleterre le Dictionnaire de Spelmanus [30] et à Lyon, qui sera bientôt achevé, un Amaltheum onomasticum Laurentianum, [31] qui sera un fort bon livre in‑fo. [8] Je vous baise les mains et suis, etc.
De Paris, ce 29e d’août 1664.
1. |
Du premier mariage (1661-1670) de Monsieur, Philippe d’Orléans, avec Henriette d’Angleterre ne survécurent que deux filles : Marie-Louise, la petite Mademoiselle, née en 1662, et Anne-Marie, née en 1669. Le fils qui venait de naître, Philippe-Charles d’Orléans, duc de Valois, mourut en 1666. La dynastie des Valois avait régné sur la France de 1328 à 1589 en la personne de 13 souverains consécutifs, de Philippe vi à Henri iii. |
2. |
Jacques Clément (v. note [16], lettre 551) poignarda Henri iii, assis sur sa chaise percée dans sa chambre du château de Saint-Cloud, le 1er août 1589 (v. note [26], lettre 236) : « Ah ! méchant ! méchant moine ! tu m’as tué ! » ; les intestins transpercés, le dernier des Valois mourut le lendemain. En octobre 1658, Philippe d’Orléans, qui n’était alors que duc d’Anjou, avait acheté le château de Saint-Cloud à Barthélemy Hervart. |
3. |
« L’homme n’est que mensonge » (Psaumes 116:11). Les Turcs occupaient la Transylvanie depuis 1658, menaçant constamment d’envahir entièrement le reste de la Hongrie et d’assiéger Vienne, la capitale de l’Empire. Depuis 1661, l’empereur tentait en vain d’éloigner les Ottomans. En 1664, Raimondo Montecuculli avait pris le commandement d’une coalition militaire impériale à laquelle participait un contingent français d’environ 6 000 hommes dirigés par le comte de Coligny. La bataille décisive avait eu lieu le 1er août à Saint-Gotthard (Szentgotthárd en Hongrie sur la rive nord de la Raab) : les 40 000 chrétiens de Montecuculli l’avaient emporté sur 50 000 Turcs du grand vizir Köprülü. Dix jours plus tard, Léopold ier avait signé la paix de Vasvár qui lui garantissait une trêve de vingt ans avec la Porte, mais sans libérer les territoires qu’elle avait conquis en Europe. |
4. |
« je crains fort que pourtant la grande négociation n’[aboutisse] pas et qu’au moment critique, la corde ne rompe » ; Térence (Phormion, ii, 2, vers 323‑324) :
Ne in nervum erumpat [De peur que la corde ne rompe] est un adage commenté par Érasme (no 1536) :
On était alors dans les prémices de la deuxième guerre anglo-hollandaise (mars 1665-juillet 1667) : depuis la fin de juin 1664, les Anglais attaquaient la colonie de Nouvelle-Néerlande sur la côte est d’Amérique du Nord (comprise entre la Virginie au sud et la Nouvelle-Angleterre au nord) pour s’en rendre maîtres en octobre. |
5. |
« Quel terme, puissant roi, fixes-tu à leurs épreuves ? » (Virgile, Énéide, chant i, vers 241). |
6. |
« fasse le ciel qu’il se rétablisse heureusement. » Antoine Vallot (Journal de la santé du roi, Remarques pour l’année 1664) :
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7. |
V. notes [29], lettre 206, pour les quatre premiers livres de Gerardus Johannes Vossius « de l’Idolâtrie, etc. » (Amsterdam, 1641), et [10], lettre 950, pour leur réédition augmentée des cinq derniers livres (ibid. 1668). |
8. |
Ces deux dictionnaires en préparation étaient :
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a. |
Bulderen, no cccxxvi (tome ii, pages 428‑429) à Charles Spon (probable inadvertance, « Au même ») ; Reveillé-Parise, no dcxli (tome iii, pages 480‑481) à André Falconet. |