< Ce 29e d’avril. > Le roi [2] a été aujourd’hui au Parlement [3] où il a porté une déclaration contre les jansénistes. [4] M. Talon [5] y a parlé longtemps et fortement, et même contre les moines et les religieuses, et a demandé au roi là-dessus quelque réformation. Quem das finem, Rex magne, laborum ? [1][6] Pour le Journal des Sçavans, [7] on s’en moque ici et ces écrivains mercenaires se voient punis de leurs téméraires jugements par leur propre faute, turdus sibi cacavit malum. [2] S’ils eussent continué dans leur folle et inepte façon de critiquer tout le monde, ils allaient attirer de terribles censures. Un savant homme, [8] qui en sait bien plus qu’eux et qui a déjà beaucoup écrit, est fort en colère contre eux. [3] Il dit que leur fait n’est que finesse pour faire valoir leurs amis et nuire à ceux qui ne le seront pas ; c’est une violence qu’on n’avait jamais vue en France. Dès le troisième Journal, M. le premier président [9] me dit seul à seul dans son cabinet, Ces gens-là se mêlent de critiquer, ils se feront bien des ennemis et nous serons bientôt obligés de leur imposer silence. Tout cela est arrivé par leur faute et à leur propre honte. [10] Je m’en vais de ce pas chez M. Parmentier [11] pour votre affaire. Il est honnête homme et mon bon ami ; il n’est guère maladif, mais quand il a quelque indisposition je suis son médecin. M. Sorel, [12] son beau-frère, [4] est aussi mon bon ami.
Dictum factum, [5] j’en viens tout de ce pas. Bona verba, [6] votre procès est jugé et vous l’avez gagné tout du long. Le charlatan [13] qui est débouté de ses demandes, s’il n’en demeure point là et qu’il veuille passer outre, je le recommanderai aussi à M. le premier président quand vous me le manderez. Vous faites bien de vous défendre contre ces pestes du genre humain. Morisset [14] est toujours embarrassé et Blondel [15] a toujours envie de chicaner et de plaider ; et cependant, rien n’avance. L’un sera toute sa vie badin et plein de vanité et l’autre sera toujours obstiné. M. Ferrand [16] n’est pas mort comme je vous l’avais mandé, c’est sa sœur [17] qui est morte et qui a causé le faux bruit. [7] On tient que les Anglais et les Hollandais sont tous prêts à se battre, et chaque jour on en attend des nouvelles. [8][18] Nous avons ici une saison fort tempérée, mais les blés ont besoin de pluie. Siccitates imbribus salubriores, [9][19] aussi n’avons-nous guère de malades. Medici iacent, ægri ambulant. [10][20] Je viens d’envoyer une lettre à mon Carolus, [21] qui reconnaît qu’il vous a des obligations particulières. Il étudie trop, et je lui dis souvent que cela le rendra mélancolique [22] et lui abrégera ses jours ; il m’a promis de s’en corriger.
On parle ici de révolte dans les états du Turc, [23] dans Constantinople [24] et au Grand Caire, [25] et autres lieux de l’Empire ottoman. [11][26] Ce serait là une belle occasion à tous les princes chrétiens de s’unir contre cet ennemi commun de notre religion et de nos muses, mais talis sapientia apud nos non habitat : [12][27] l’amour, l’avarice, l’ambition et la vengeance occupent tous les états des princes de l’Europe, et chacun ne songe qu’à son profit et à son plaisir, interea patitur iustus. [13] Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.
De Paris, ce 1er de mai 1665.
1. |
« Quel terme, puissant roi, fixes-tu à leurs épreuves ? » (Virgile, v. note [5], lettre 791). Lors du lit de justice du 29 avril 1665, le roi vint faire adopter par le Parlement la bulle d’Alexandre vii, datée du 15 février précédent, qui imposait à tous les ecclésiastiques la signature du Formulaire (v. note [9], lettre 733). Transcrit dans la note 3 du Journal d’Olivier Le Fèvre d’Ormesson (tome ii, pages 350‑351), il était légèrement différent de celui de 1657 (v. note [10], lettre 463) :
Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome ii, pages 348‑352) :
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2. |
« la grive a chié sa propre mort » (v. note [2], lettre de Charles Spon, datée du 13 août 1657). |
3. |
La publication du Journal des Sçavans (v. note [6], lettre 814) était suspendue depuis son 13e numéro, daté du 30 mars 1665 ; elle reprit le 4 janvier suivant. Malgré une anticipation qui fait penser que le texte circulait avant d’être imprimé, Guy Patin faisait sans doute allusion à la préface que Gilles Ménage (que le numéro du 9 février 1665, pages 64‑65, avait été étrillé comme pédant) a mise (après une flatteuse dédicace à Colbert) dans sa Préface (page í vo‑í ij ro) des Poésies de M. de Malherbe avec les Observations de M. Ménage : {a}
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4. |
V. le 3e paragraphe daté du 20 novembre 1653 dans la lettre 332, pour la parenté entre Charles Sorel et l’avocat Parmentier. |
5. |
« Sitôt dit, sitôt fait ». |
6. |
« Bonnes nouvelles ». |
7. |
La sœur de Michel Ferrand (v. note [14], lettre 287), doyen des conseillers de la Grand’Chambre, dont Guy Patin avait prématurément annoncé la mort (v. note [5], lettre 791), se prénommait Magdelaine ; elle avait épousé Michel Le Bossu, correcteur des comptes (Popoff, no 1173). |
8. |
Le 4 mars, l’Angleterre avait déclaré la guerre aux Provinces-Unies (seconde guerre anglo-hollandaise, v. note [4], lettre 808). |
9. |
Siccitates imbribus salubriores et minus mortiferæ [Les sécheresses sont plus saines et moins mortifères que les pluies] : Hippocrate, Aphorismes, livre iii, 16. |
10. |
« Les médecins se reposent, tandis que les malades se promènent » (Sidonius Apollinaris, Épîtres, livre i, viii, vers 2). |
11. |
Le Grand Caire était le nom qu’on donnait au Caire, capitale d’Égypte alors province ottomane depuis 1517. Guy Patin lisait la Gazette.
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12. |
« pareille sagesse n’est pas chez nous coutumière » (Juste Lipse, v. note [30], lettre 293). |
13. |
« pendant ce temps, le juste souffre » (v. note [44], lettre 176). |
a. |
Bulderen, no ccclvii (tome iii, pages 61‑64) ; Reveillé-Parise, no dclxix (tome iii, pages 527‑529). |