L. 823.  >
À André Falconet,
le 15 mai 1665

Monsieur, [a][1]

La Chambre de justice [2] est occupée au procès des trois trésoriers de l’Épargne, [3] et principalement de M. Guénégaud [4][5][6] que l’on dit être le plus en danger par plusieurs dépositions et convictions. Ces Messieurs que l’on a ci-devant appelés gens d’affaires pour le roi, publicani, quia rapiebant publicum, vel hirudines Reipublicæ[1][7][8] sont admis à traiter avec le roi. Il y en a un qui offre pour soi seul 700 000 écus, un autre 800 000. Il est permis de croire que ces gens-là ont rudement volé puisqu’ils ont tant à restituer, sans ce qu’ils ont de reste. On me vient de dire à l’oreille qu’on est fâché à la cour que le roi [9] ait été au Palais, [10] le pape [11] pouvant en prétendre quelque avantage pour sa prétendue infaillibilité [12] que l’on avait cassée, tant en Sorbonne [13] qu’au Parlement. On cherche du remède pour amender l’affaire et je m’en rapporte fort à M. Talon, [14] il est habile homme et il en trouvera plus qu’il n’en faut, pourvu qu’on le laisse faire. Personne ne croit mieux que lui < en > la différence de la Rome sainte et de la profane, de la Jérusalem et de la Babylone. [2][15] M. Piètre [16] est guéri de son accès qui l’a fort mal traité cette fois, il commence d’aller par la ville. On ne parle ici que des crimes faits en divers endroits et de plusieurs voleurs ; il en fut hier pris cinq qui avaient volé aux Feuillants. [17][18] Tout Paris se peut tantôt entendre de ce passage de Pétrone, quod in pestilentia campi, ubi corvi qui lacerant, et cadavera quæ lacerantur[3][19][20]

Je viens de recevoir une lettre du R.P. Bertet, [21] du 4e d’avril. Je vous prie de lui dire que je lui baise les mains et que je ferai tout ce qu’il désire de moi en faveur de M. Belon, et partout ailleurs où il voudra me faire l’honneur de m’employer. La Chambre de justice fait vendre toutes les maisons de M. de Guénégaud. Je vous baise les mains, de même qu’à M. Spon notre bon ami, et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 15e de mai 1665.


a.

Bulderen, no ccclix (tome iii, pages 69‑71) ; Reveillé-Parise, no dclxxi (tome iii, pages 533‑534).

1.

« publicains, parce qu’ils détroussaient le peuple, comme sangsues du bien public ».

Lecteur des Annales de William Camden sur le règne d’Élisabeth d’Angleterre (Londres, 1615, v. note [18], lettre 642), Guy Patin se souvenait sans doute de ce passage (4e partie, année 1590, page 21) où la souveraine répond à ses conseillers :

se Reginam esse infimorum non minus quam maximorum, nec aures illis velle occludere, nec passuram ut Publicani quasi hirundines < sic pour hirudines > Reipublicæ bonis saginentur dum ærarium inops tabescit ; nec illud ex egentium spoliis redundaret.

[qu’elle est reine des plus petits autant que des plus grands, et qu’elle ne veut ni leur faire sourde oreille, ni souffrir que, tandis que ses finances s’amenuisent, les publicains {a} s’engraissent, comme sangsues {b} du bien public, et que les dépouilles des pauvres ne remplissent son trésor].


  1. Partisans, traitants ou fermiers, à qui la couronne confiait la perception des taxes et des impôts, que Patin appelait « gens d’affaire pour le roi ».

  2. Amusante méprise entre deux mots latins qui ne diffèrent que d’une lettre : hirundines [hirondelles] dans l’édition de 1590, ici transcrite, et hirudines [sangsues] dans celle de 1639 (Leyde, 1639,page 564), qui s’accorde beaucoup mieux avec le contexte. Néanmoins, la traduction de Paul de Bellegent (Paris, 1627, 4e partie, page 30) a traduit par « hirondelles », bien que ces oiseaux ne soient guère réputés pour leur voracité.

2.

V. notes :

3.

« parce que, comme une campagne ravagée par la peste, les corbeaux y lacèrent et les cadavres y sont lacérés » ; le latin de Pétrone (Satyricon, cxvi) est plus intelligible :

Adibitis, inquit, oppidum tanquam in pestilentia campos, in quibus nihil aliud est nisi cadavera quæ lacerantur, aut corvi qui lacerant.

[Vous vous rendrez dans cette ville, {a} dit-il, elle est comme une de ces campagnes ravagées par la peste, où l’on ne voit que cadavres lacérés et corbeaux qui les lacèrent]. {b}


  1. Crotone en Calabre.

  2. Parmi plusieurs autres peuples, les Ölöts ou Euleuths de Mongolie avaient pour coutume d’attacher les cadavres aux arbres pour les faire dévorer par les corbeaux, avant d’en récupérer les ossements pour les conserver pieusement.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 15 mai 1665

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(Consulté le 25/04/2024)

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