L. 828.  >
À André Falconet,
le 24 juillet 1665

Monsieur, [a][1]

On parle ici de notre Saint-Père le pape [2] qui veut tâcher de remonter sur sa bête pour sa prétendue infaillibilité. [3] On dit que, pour se venger, il veut excommunier [4] et Messieurs du Parlement, et toute la Sorbonne. [5] Laissons-les faire, ils se défendront bien. Ceux qui faisaient le Journal des sçavans [6] avaient espéré de le continuer sous d’autres certaines conditions, mais les puissances supérieures leur ont manqué et ils auront de la peine à rattraper ce même pouvoir qu’ils ont eu de critiquer tout le monde à leur gré. M. de Sallo, [7] conseiller à la Cour qui en était le premier mobile, [1] s’en est allé en Poitou. La reine mère d’Angleterre [8] est enfin arrivée à Saint-Germain, [9] on dit qu’elle n’a pas envie de retourner jamais à Londres. [2]

Ce 21e de juillet. Je soupai hier avec M. le premier président [10] qui reçut des nouvelles de M. de Lamoignon, [11] son fils aîné, qui est aujourd’hui à Anvers. [12] Il a vu l’Angleterre, la Hollande et la Flandre ; [13] il s’en va passer par l’Allemagne. Il reviendra, Dieu aidant, à Paris sur la fin de l’automne pour y être reçu conseiller de la Cour. J’ai écrit pour lui à Bruxelles [14] à M. Chifflet, [3][15] selon que Monsieur son père l’a désiré. Le roi [16] a fait défense à Messieurs les prélats assemblés à Pontoise [17] d’aller chez M. le nonce [18] et de le fréquenter en aucune manière ; vous savez la coutume des Vénitiens au sujet des ministres étrangers. [4][19] Les Hollandais se préparent tout de bon à se battre de nouveau contre les Anglais. Messieurs des états ont puni ceux qui ont été cause de leur dernière défaite [20] et ont mis un nouvel ordre pour le règlement de l’autorité de leurs chefs, qui avait mis division parmi eux, ce qui causa leur malheur. [5] Voici la moisson qui approche. Le nombre de mes écoliers commence à diminuer, j’en ai pourtant encore eu aujourd’hui plus de 120. J’espère d’y mettre fin dans un mois, ou environ. J’ai plusieurs Provençaux et Languedociens qui aiment bien la drogue et qui sont fort imbus des sottes opinions de la polypharmacie[21] qui est l’idole et le gagne-pain des apothicaires, [22] et la fille de l’ignorance. Je viens d’apprendre deux morts : la première est celle de Mme Fouquet la mère ; [6][23] la seconde est celle d’un des plus vieux médecins de France, savoir de M. Brunier, [24] médecin de M. Gaston, duc d’Orléans. [25] La Chambre de justice [26] a fait mettre dans la Bastille [27] un habile et fameux avocat nommé M. Buray [28] qui avait écrit en faveur de M. de Guénégaud, [29] trésorier de l’Épargne. [7][30] Ces prisons sont glorieuses et l’intérêt de la cour ne doit pas empêcher les avocats de défendre leurs parties. Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 24e de juillet 1665.


a.

Bulderen, no ccclxiv (tome iii, pages 81‑83) ; Reveillé-Parise, no dclxxvi (tome iii, pages 543‑544).

1.

« En l’ancienne astronomie on a appelé premier mobile un ciel qu’on s’est imaginé être au-dessus de tous les autres, et qui les entraîne avec lui, qui leur communique un mouvement journalier de 24 heures. […] On appelle en ce sens figurément le premier mobile d’une affaire celui qui lui donne le branle et le mouvement. Ce dessein n’a pas été achevé parce que l’auteur, l’entrepreneur, qui en était le premier mobile, est mort. Il a un ennemi secret qui est le premier mobile du procés qu’on a intenté contre lui » (Furetière).

2.

Le 19 juillet, Louis xiv était allé de Saint-Germain à Pontoise, à la rencontre de la reine mère d’Angleterre, sa tante. Il l’avait reçue à Versailles le lendemain (Levantal).

3.

Jean-Jacques Chifflet était mort en 1660 (v. note [18], lettre 104), et son frère Jean, historien et chanoine de Tournai, l’était aussi, en 1663 : probablement s’agissait-il ici de leur frère, le P. Pierre-François Chifflet (Besançon 1592-Paris 1682), jésuite, historien, archiviste et numismate ; il était alors attaché au collège des jésuites de Dijon, mais fréquentait la société érudite anversoise (et jésuite) des Bollandistes, qui travaillait à la collection des actes et des vies des saints.

4.

La Sérénissime était extrêmement méfiante envers les étrangers, et tout particulièrement les ambassadeurs. Parmi bien d’autres preuves de cela, les pièces justificatives de l’Histoire de la République de Venise par Pierre Daru (Paris, Firmin Didot, 1819) donnent le texte et la traduction d’un édit du Grand Conseil 23 juin 1454, dont les articles 6‑9 sont spécialement éloquents à cet égard (tome sixième, page 73) : {a}

« 6o Le tribunal aura le plus grand nombre possible d’observateurs choisis tant dans l’ordre de la noblesse que parmi les citadins, les populaires et les religieux. On leur promettra pour récompense de leurs rapports, lorsqu’ils seront de quelque importance, le droit de désigner quelques exilés qu’on relèvera de leur ban, l’expectative de quelques emplois, l’exemption de certaines contributions, ou autres privilèges. On les payera même en argent s’ils refusent toute autre récompense, mais ils n’auront point de salaire fixe. […]

7o Quatre de ces explorateurs seront constamment, et à l’insu des uns des autres, attachés à la maison de chacun des ambassadeurs de cette capitale, pour rendre compte de tout ce qui s’y passe et de tous ceux qui y viennent.

8o Si les observateurs placés chez un ambassadeur ne parviennent pas à pénétrer les secrets, on donnera à quelque banni vénitien l’ordre de tâcher d’être reçu dans le palais de ce ministre, sous prétexte de profiter du droit d’asile. Des mesures seront prises pour qu’il ne soit point inquiété, et la cessation de son ban ou d’autres récompenses proportionnées à sa condition seront le prix de ses découvertes.

9o Jamais les observateurs placés auprès des ministres étrangers ne seront pris parmi les patriciens. »


  1. Section intitulée « Statuts, lois et règlements des seigneurs inquisiteurs d’État, depuis l’époque de leur création jusqu’aux temps modernes, dans lesquels est déterminé l’exercice de leur autorité, tant au dedans qu’au dehors, et leur conduite soit envers les ministres étrangers, soit envers les ambassadeurs de la république ; en 130 articles ».

5.

La mort de l’amiral van Obdam dans le combat naval de Lowesoft (v. note [2], lettre 827) avait semé la plus grande confusion parmi les capitaines hollandais. La victoire des Anglais aurait pu être bien plus cruelle s’ils avaient su tirer meilleur profit de leur avantage sans laisser fuir un grand nombre de vaisseaux ennemis désemparés.

6.

Fausse nouvelle : Marie Fouquet (v. note [5], lettre 800), la mère de Nicolas, mourut bien plus tard, le 22 avril 1681.

7.

Pierre Buray, avocat au Parlement de Paris, devait être l’auteur du factum anonyme intitulé Nullités de la procédure faite par M. le procureur général contre le sieur Guénégaud, ès inscriptions en faux (sans lieu, 1665, in‑fo).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 24 juillet 1665

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(Consulté le 18/04/2024)

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