Je vous envoie la réponse que j’ai faite pour M. Delorme, [2] auquel je vous prie de la faire rendre avec mes très humbles recommandations et offre de services. On dit que la reine mère [3] empire fort et qu’elle a fait son testament, que le roi [4] même a signé. [1] On dit qu’autour de ses mamelles, il y a force glandules douloureuses. Scrophulæ sunt Hispanæ genti familiares ; ex quibus olim circa annum 1612 obiisse dicitur eius mater, regina Hispaniæ. [2][5][6] Les maladies de tels princes me semblent être fort remarquables. Philippe ii, [7] son aïeul, mourut pediculari morbo, [3][8] voyez ce qu’en a dit le président de Thou [9] dans son Histoire, l’an 1598. [4] Hérode [10] mourut de ce même mal, c’est pourquoi il a été nommé dans les Actes des Apôtres Σκωληκοβρωτος, a vermibus erosus et iugulatus, phthiriasi consumptus. [5][11] Dominicus Baudius [12] a dit que c’était la maladie des tyrans ; au moins est-ce une marque d’une horrible corruption d’humeurs. Comme le premier ne convient pas à la reine mère et qu’elle a toujours été trop bonne, on peut dire qu’elle meurt du second car elle mangeait trop et se purgeait [13] trop peu. Voilà les deux causes de son grand mal, dont on dit à la cour qu’elle mourra bientôt. [6] Elle a le visage fort exténué. Comme Vallot [14] parlait contre Gendron, [15] M. le duc d’Orléans [16] se mit en colère et dit de rudes paroles à cet archiatre, eique dixit verba prætextata. [7] Le roi même en a témoigné du mécontentement. La reine mère a une nouvelle tumeur dans son épaule gauche, qui est le côté du cancer. [17] Tous ces symptômes sont appelés dans Hippocrate [18] βλαστηματα των ενεοντων κακως εχοντων. [8] On fit hier au Louvre [19] une consultation [20] des rabbins [21] de la cour sur les offres que faisait un paysan pour la guérison de la reine, mais il fut refusé. Il s’y présenta pareillement un moine, [22] qui fut aussi rejeté. On dit aussi que la reine mère a une pustule [23] maligne à la jambe gauche. Le roi a dit que si la reine mère mourait, il sortirait de Paris et ferait un voyage jusqu’aux frontières de son royaume. Je viens de parler au curé de Saint-Germain<-l’Auxerrois > qui a vu la reine mère ce matin, il dit qu’elle se porte mieux et qu’elle n’est pas si mal que disent ceux qui ne l’ont pas vue, faxit. [9]
On dit que M. de Vendôme [24] se meurt. Mon fils aîné [25] vient de partir pour Bourbon [26] avec une malade de qualité. S’il peut s’en échapper pour quelques jours, il ira à Lyon pour vous y saluer, avec M. Delorme et nos autres bons amis. On tient pour certain que les trésoriers de France [27] seront supprimés et on me vient de dire plaisamment que M. Colbert [28] le veut devenir, mais qu’il veut l’être tout seul. Fiat, fiat, [10] il ne tiendra qu’au roi qui en est le maître. Je vous baise très humblement les mains et suis de toute mon âme votre, etc.
De Paris, ce 18e d’août 1665.
1. |
Mme de Motteville (Mémoires, page 554) :
La reine mère avait quitté Saint-Germain le 11 août pour être amenée au Val-de-Grâce, où le roi lui avait rendu visite dans la soirée. Le lendemain, il la fit conduire avec lui au Louvre (Levantal). ibid. pages 553‑554 :
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2. |
« Les écrouelles {a} sont communes chez les Espagnols ; on dit que sa mère, la reine d’Espagne, en mourut jadis, vers l’an 1612. » {b}
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3. |
« de la maladie pédiculaire », c’est-à-dire la pédiculose ou phtiriase, affection engendrée par la pullulation des poux : v. note [29], lettre 146. |
4. |
Histoire universelle de Jacques-Auguste i de Thou, livre cxx, règne de Henri iv, année 1598 (Thou fr, volume 12, pages 225‑228) :
Dans son Histoire de France… (Paris, 1605, v. note [10] du Patiniana I‑1), Pierre Matthieu a corroboré les étonnantes circonstances médicales (aujourd’hui inexplicables) de la mort de Philippe ii (livre premier, quatrième narration, chapitre xv, tome i, fo 64 ro‑vo) :
Dominicus Baudius (v. note [30], lettre 195) a évoqué ce curieux trépas dans quelques vers de son poème intitulé In obitum Philippi ii Hispaniarum Regis [Sur la mort de Philippe ii, roi des Espagnes] (pages 493‑498 de la nouvelle édition des Poemata [Poèmes], Leyde, 1607, v. note [36] du Patiniana I‑3) : Qui tot innocentibus V. note [49] du Borboniana 3 manuscrit pour la réplique de Baudius à ceux qui lui ont reproché la cruauté et la crudité de ces vers. |
5. |
« Mangé des vers [skôlêkobrôtos], rongé et saigné par la vermine, consumé par la phtiriase » ; Actes des Apôtres (12:20‑23, sur la mort d’Hérode, le persécuteur) :
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6. |
On croirait entendre Sganarelle « Voilà justement ce qui fait que votre fille est muette » (Le Médecin malgré lui, ii, 2). Les déductions de Guy Patin sur la maladie d’Anne d’Autriche prêtent à sourire aujourd’hui ; mais tant que la terre tournera, les médecins s’ingénieront à tisser d’impeccables chimères en entrenouant leurs éphémères certitudes pour expliquer tout ce qu’ils ne comprennent pas encore. |
7. |
« et lui a proféré des paroles obscènes ». Mme de Motteville (Mémoires, page 554) :
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8. |
« rejetons engendrés par des maux muets » : v. note [5], lettre 700, pour explication de ce propos que Guy Patin a attribué à Hippocrate et cité quatre fois dans ses lettres. |
9. |
« Dieu l’entende. » |
10. |
« Advienne que pourra ». |
a. |
Bulderen, no ccclxvii (tome iii, pages 88‑90) ; Reveillé-Parise, no dclxxix (tome iii, pages 548‑549). |