L. 833.  >
À André Falconet,
le 11 septembre 1665

Monsieur, [a][1]

Enfin ces Messieurs les archiatres ont chassé le prêtre Gendron [2] d’auprès de la reine mère [3] et y ont fait entrer M. Alliot, [4] médecin de Bar-le-Duc. [5] Ceux de la cour disent qu’elle amende tous les jours, je prie Dieu qu’elle en guérisse. On dit qu’elle ira bientôt avec le roi [6] et toute la cour au Bois de Vincennes. [7] On a fait un grand service dans Saint-Barthélemy [8] pour feu M. le lieutenant criminel [9] et sa femme, [10] mais si elle n’avait point d’âme, que deviendront ces prières car, pour les cierges, ils sont brûlés et consumés ?

Ce 10e de septembre. J’apprends que votre M. de Rhodes [11] a perdu son procès, qu’il a été ici malade et qu’il s’en est retourné. Je lui fis quelque difficulté sur le testament qui était en question, mais comme il se croit habile homme, il me dit qu’infailliblement il le gagnerait. Vous le voyez vous-même, les juges ont en ce cas, comme en plusieurs, des règles, et l’usage est plus certain que le caprice d’un homme qui plaide et qui veut gagner per fas et nefas[1] Prenez la peine de vous souvenir d’un beau passage qui est dans Corn. Celsus lib. 8. cap. 4. et vous y verrez votre jeune docteur, Levia ingenia, quia nihil habent, nihil sibi detrahunt[2][12][13] Enfin j’ai pris aujourd’hui mes vacances et j’ai congédié mes écoliers par un adieu qui les a fait pleurer aussi ; mais j’ai céans bien pis que mes leçons [14] et la peine d’aller au Collège royal[15] j’ai céans les maçons qui m’ont fait remuer la moitié de mon étude et ôter plus de 6 000 volumes [16][17] de leur place pour les laisser travailler à un gros mur mitoyen qu’il faut refaire, qui est entre M. le président Miron [18] et moi. [19] J’étais assez bien sans ce malheur qui m’est survenu, mais il faut que Lucrèce [20] devienne prophète puisqu’il a dit Medio de fonte leporum Surgit amari aliquid quod in ipsis faucibus angat[3][21]

Par commandement du roi, Messieurs de Sorbonne [22] examinent fort sérieusement la dernière bulle [23] du pape. [24] Il y en a qui disent que le pape la désavoue, et que cette bulle a été fabriquée à Paris par les jésuites [25] et supposée par M. le nonce : [4][26] sic fraudibus itur ad astra, politica est ars non tam regendi quam fallendi homines ; [5][27][28] les plus fins mènent les autres par le nez en ce monde et le diable les retient en l’autre pour ce qu’ils valent.

La reine mère n’est pas contente qu’on lui ait ôté Gendron. Elle ne veut point voir Alliot, [29] il ne la touche point. C’est Bertrand, [30] son chirurgien, qui la panse, par le conseil pourtant de ce M. Alliot. Mundus omnis facit histrioniam[6][31] Je baise les mains à M. Delorme et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 11e de septembre 1665.


a.

Bulderen, no ccclxix (tome iii, pages 92‑94) ; Reveillé-Parise, no dclxxxi (tome iii, pages 552‑553).

1.

« par tous les moyens, bons comme mauvais [de façon licite comme illicite]. »

2.

De Medicina, chapitre intitulé De Calvaria fracta [Les Fractures du crâne], {a} où Celse loue la grandeur d’Hippocrate convenant humblement de ses erreurs sur les sutures du crâne : {b}

Nam levia ingenia, quia nihil habent, nihil sibi detrahunt. Magno ingenio, multaque nihilominus habituro, convenit etiam simplex veri erroris confessio ; præcipueque in eo ministerio, quod utilitatis causa osteris traditur ; ne qui decipiantur eadem ratione, qua quis ante deceptus est. Sed hæc quidem alioquin memoria magni professoris, uti interponeremus, effecit.

« Les esprits médiocres, qui n’ont rien à eux, n’ont garde de s’amoindrir ; mais il sied aux génies élevés, toujours assez riches d’ailleurs, d’avouer ingénument leur méprises, surtout quand cet aveu, transmis à la postérité, a pour but d’empêcher ceux qui se livreront à l’exercice de l’art de ses laisser tromper par les mêmes apparences. » {c}


  1. Page 515 de l’édition de Leyde 1657, par Johannes Antonides Vander Linden (v. note [20], lettre de Charles Spon datée du 28 août 1657).

  2. Guy Patin blâmait, au contraire, la fatuité de Henri de Rhodes, doyen du collège des médecins de Lyon (v. note [13], lettre 203).

  3. Traduction de M. Des Étangs, Paris, 1859, page 255.

3.

« Du plein de la fontaine des agréments surgit quelque chose à aimer, qui étreint au plus profond de la gorge » (Lucrèce, v. note [13], lettre 211).

V. note [8], lettre 261, pour la situation du mur mitoyen des Miron qu’il convenait alors de consolider.

4.

Supposer : « mettre une chose à la place d’une autre par fraude et tromperie. […] On a fait cet acte sous un nom supposé pour dire qu’il y a eu de la tromperie en la personne ou en quelque acte qui a été passé » (Furetière).

5.

« ainsi les fourberies l’immortaliseront-elles, {a} “ la politique est l’art non tant de diriger, que de tromper les hommes ” ». {b}


  1. Itur ad astra est un tour virgilien (v. note [47], lettre 280), ici appliqué au nonce Carlo Roberti-Vittori.

    V. note [3], lettre 830, pour la bulle d’Alexandre vii (dont certains gallicans contestaient l’authenticité) condamnant les censures prononcées par la Sorbonne contre deux livres qui défendaient l’infaillibilité pontificale.

  2. Jean-Pierre Camus, v. note [38], lettre 99.

6.

« Tout le monde joue la comédie » (Pétrone, v. note [8], lettre 347).

Antoine Bertrand, « né dans un bourg du Vivarais nommé Chatilleux [aujourd’hui Satillieu en Ardèche], s’acquit la réputation d’un habile chirurgien par les fréquentes démonstrations qu’il fit d’anatomie et de chirurgie dans les Écoles publiques. Il mourut le 3 octobre de l’année 1682 » (Liste funèbre des chirurgiens de Paris, page 128).

V. notes :


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 11 septembre 1665

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0833

(Consulté le 29/03/2024)

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