L. 838.  >
À André Falconet,
le 2 octobre 1665

Monsieur, [a][1]

On parle ici de quelque perte que les vents et les Anglais ont procurée aux Hollandais, bien que la peste soit toujours bien grande et bien cruelle à Londres. [1][2][3] On parle aussi du testament du roi d’Espagne, [4] savoir comment iront les affaires de ce pays-là selon le Conseil que ledit roi a ordonné avant que mourir.

J’ai aujourd’hui consulté [5][6] avec M. Brayer [7] chez un maître des requêtes pour un enfant fort malade de la petite vérole, [8] où un provincial des bernardins a assuré que le pape [9] était mort : voilà une bonne fortune à son successeur. [2] On dit ici que le roi [10] va envoyer 6 000 hommes en Hollande à cause de ce que l’on dit de l’évêque de Münster, [11] mais tout cela est obscur : est negotium ambulans in tenebris, quod ventura dies revelabit, sunt arcana imperii ; [3] il faut se donner patience. Une malheureuse tempête a fait grand tort et une perte insigne aux Hollandais, elle leur a emporté quelques vaisseaux fort précieux et néanmoins, ils n’en savent pas encore le nombre et ne peuvent encore dire combien ils ont perdu.

M. de Navailles [12] est rentré en grâce. [4] Votre M. Heron, courtier du cabinet, est ici de retour. Le roi a depuis huit jours parlé de soulager son peuple, je prie Dieu que cette volonté lui dure jusqu’à un parfait accomplissement et qu’il n’intervienne aucune guerre qui le puisse empêcher d’exécuter un si bon dessein. Il n’y a guère de malades et les médecins ont assez de bon temps, mais on y parle fort de filous et de voleurs, sans ceux qu’on prend pour des gens de bien, qui volent plus finement que les autres. Il y a ici un P. Labbe [13] jésuite, grand bibliothécaire, lequel fait imprimer une Chronologie française en quatre tomes in‑12 qui vient jusqu’au temps présent. J’apprends que ce sera un ouvrage fort curieux. [5] C’est un écrivain laborieux et bon homme, je voudrais que tous les jésuites lui ressemblassent ; il est fort de mes amis et me vient voir souvent. Je vous baise très humblement les mains et suis de toute mon âme votre, etc.

De Paris, ce 2d d’octobre 1665.


a.

Bulderen, no ccclxxiv (tome iii, pages 101‑103).

1.

La Gazette, ordinaire no 117 du 3 octobre 1665 (page 958) :

« De Londres, ledit jour 14 septembre 1665. Le comte de Sandwich ayant rencontré, le 13 et le 14 de ce mois, plusieurs vaisseaux de la flotte hollandaise que la tempête avait écartés, en enleva quatre de guerre, deux des Indes Orientales et sept marchands, outre un grand, aussi marchand, venu de la Méditerranée, qui fut brûlé ; et les lettres qu’il en écrivit le lendemain au duc d’York ajoutaient que l’on avait fait plus de 1 300 prisonniers sur ces navires, et qu’il perdit aussi en cette occasion une de nos frégates qui coula à fonds en combattant avec les vaisseaux de guerre. Depuis, nous avons su que quelques autres de ceux des ennemis, que la même bourrasque avait dispersés, étaient pareillement tombés entre les mains des nôtres ; et que la flotte anglaise, qui s’était conservée en corps, ayant appris où était celle des Hollandais, avait tourné les voiles de ce côté-là pour la combattre. »

2.

Le pape Alexandre vii ne mourut qu’en 1667. À Londres, Samuel Pepys notait la même fausse nouvelle dans son Journal en date du dimanche 8 octobre (18 octobre nouveau style) 1665 ; il y ajoutait même celle de l’assassinat de Louis xiv (démentie le lendemain).

3.

« c’est une affaire qui chemine dans les ténèbres, qu’un jour prochain mettra en lumière, ce sont les secrets du pouvoir ».

4.

V. note [2], lettre 792, pour cette querelle de cour.

5.

Abrégé chronologique de l’Histoire sacrée et profane de tous les âges et de tous les siècles, du Monde, de Rome, de Jésus-Christ, depuis Adam jusques à Louis xiv, roi de France et de Navarre. Avec les éclipses et autres observations astronomiques ; et depuis l’ère chrétienne, les cycles de la ☉ {a} et du ✴ {b}, les Pâques, lettres dominicales, {c} indictions, consulats, années des papes, empereurs, rois de France, et semblables soulagements nécessaires à l’étude sérieuse de la chronologie. Par le P. Philippe Labbe, {d} de la Compagnie de Jésus. {e}


  1. Symbole de la Lune.

  2. Symbole du Soleil.

  3. V. note [9], lettre 77.

  4. V. note [11], lettre 133.

  5. Paris, Société des libraires du Palais, 1666, pour la première de 4 parties en 5 volumes in‑12, dont certains portent le titre de Chronologue français.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 2 octobre 1665

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(Consulté le 25/04/2024)

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