L. 845.  >
À André Falconet,
le 7 novembre 1665

Monsieur, [a][1]

Je vous envoyai hier une lettre pour vous, une pour le R.P. Compain [2] et une autre pour M. Spon. Notre M. Piètre [3] se porte mieux et commence à sortir, mais vous savez que ce mal est périodique et qu’il revient aisément, même lorsqu’on ne l’attend point, est affectus gentilitius et familiaris[1][4] il n’est pas le premier de sa race qui en a été attaqué. C’est le mal pour lequel Jean Craton [5] faisait vœu à Dieu afin d’en pouvoir apprendre la vraie cause, et le remède pareillement, avant que mourir. Hippocrate [6] en a fait un livre qu’il a intitulé De Morbo sacro[2]

Un capitaine du régiment royal m’a dit aujourd’hui qu’ils n’attendent que l’heure du commandement pour partir et s’en aller en Hollande y trouver les autres troupes, mais qu’ils ne savent si on les embarquera pour aller à leur rendez-vous destiné. On ne sait point ici quel dessein a cet évêque de Münster, [7] mais on dit que le roi d’Espagne [8] d’aujourd’hui est un petit prince bien fluet et bien délicat, duquel on n’oserait espérer une longue vie. On dit que des marchands anglais se sont plaints à leur roi [9] contre nous, mais qu’il leur a répondu qu’il ne voulait en aucune façon entrer en querelle ni en guerre avec le nôtre. Le P. Labbe, [10] jésuite, fait ici imprimer un beau recueil d’épitaphes choisis, latins, in‑8o[3] et M. Arnaud d’Andilly, [11] frère de l’évêque d’Angers, [12] comme aussi de ce très savant docteur de Sorbonne [13][14] que les jésuites haïssent tant, fait ici imprimer la traduction française de Josèphe, [15] Des Antiquités judaïques[4] Nous verrons, si Dieu veut, comment il expliquera le passage de Christo qui se lit au chap. iv du 18e livre, que tous les savants et vrais critiques assurent y avoir été ajouté, et tanquam ineptum glossema irrepsisse in textum[5] mais il y a longtemps. Il faut que ç’ait été avant le temps de saint Jérôme, [16] par quelque cafard ; veritas non eget mendacio[6][17] Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 7e de novembre 1665.


a.

Bulderen, no ccclxxx (tome iii, pages 110‑111) ; Reveillé-Parise, no dclxxxviii (tome iii, pages 561‑562).

1.

« c’est une affection familiale et héréditaire » : allusion à l’épilepsie qui affligeait Jean Piètre (v. note [5], lettre 15), mais qui semblait plutôt liée à une tumeur cérébrale qu’à une maladie congénitale (épilepsie dite essentielle).

2.

Περι ιερης Νουσου [Sur la Maladie sacrée] est un important traité hippocratique car il ôte à l’épilepsie son origine surnaturelle, et nie que la poitrine soit le siège des fonctions intellectuelles et morales pour l’établir exclusivement dans le cerveau : « On sait qu’il a fallu arriver presque jusqu’à notre temps pour mettre cette doctrine hors de contestation » (Littré Hip, 1849, volume 6, pages 352‑397).

Johann Crato von Crafftheim ou Krafftheim (1519-1585), élève et ami de Martin Luther à Wittemberg, étudia ensuite la médecine à Leipzig, puis à Vérone et Padoue sous Ioannes Baptista Montanus (v. note [4], lettre 359) ; reçu docteur à Leipzig, il se rendit à Vienne pour devenir premier médecin des empereurs Ferdinand ier, Maximilien ii et Rodolphe ii. La plupart de ses ouvrages furent publiés après sa mort (Descuret in Panckoucke).

J’ai porté une attention particulière à l’Analogismus, sive artificiosus transitus a generali methodo ad exercitationem particularem [Analogisme, ou art de passer de la méthode générale à l’exercice particulier], qui suit son traité in Cl. Galieni divinos libros Methodi therapeutices [sur les divins livres de la Méthode thérapeutique de Cl. Galien] (Bâle, Petrus Perna,1563, in‑8o de 431 pages), car il contient un chapitre sur l’épilepsie (De Epilepsia pages 334‑338), mais je n’y ai rien lu qui ressemble à ce qu’en disait ici Guy Patin.

3.

Thesaurus Epitaphiorum Veterum ac recentium, selectorum ex Antiquis Inscriptionibus omnique scriptorum genere : non sine delectu et ingenioso ordine ante xx et quod excurrit annos in Partes tributus duodecim : Opera ac studio R.P. Philippi Labbe Bit. S.I. publicam emissus in lucem.

[Trésor des Épitaphes anciennes et récentes, choisies parmi les inscriptions antiques et tout genre d’écrivains. Le R.P. Philippe Labbé, jésuite natif de Bourges, {a} a trié et ingénieusement mis en ordre celles qui se sont présentées à lui depuis 20 ans, et les a distinguées en 12 parties, avant de les présenter au public]. {b}


  1. V. note [11], lettre 133.

  2. Paris, Simon Bénard, 1666, in‑8o de 626 pages.

4.

Robert Arnauld d’Andilly (1589-1674) était le fils aîné d’Antoine i Arnauld (v. note [17], lettre 433), avocat au Parlement de Paris. Il avait six sœurs et trois frères. Guy Patin nommait ici deux d’entre eux : son puîné, Henri, évêque d’Angers (v. note [9], lettre 165), et Antoine ii, le benjamin de la famille, dit le Grand Arnauld. Robert avait quitté ses charges en 1643 pour prendre, à partir de 1648, la tête des solitaires retirés à l’abbaye de Port-Royal-des-Champs. On était en train de préparer son :

Histoire des Juifs, écrite par Flavius Joseph {a} sous le titre de Antiquités Judaïques, traduite sur l’original grec, revu sur divers manuscrits, par M. Arnauld d’Andilly. {b}


  1. Sic pour Josèphe, v. note [18], lettre 95.

  2. Paris, Pierre Le Petit, 1667, in‑fo de 772 pages ; nouvelle édition à Paris, Louis Roulland, 1700, in‑4o, in‑4o, tome premier (845 pages) et tome second (572 pages).

5.

« et qu’on avait glissé une glose extravagante dans le texte » ; allusion à l’interpolation débattue du Testimonium Flavianum « au sujet du Christ », {a} dont voici la version janséniste ans l’Histoire des Juifs traduite par Robert Arnauld d’Andilly (édition de 1700, tome premier, pages 746‑747) : {b}

« En ce même temps était Jésus qui était un homme sage, si toutefois on doit le considérer simplement comme un homme, tant ses œuvres étaient admirables. Il enseignait ceux qui prenaient plaisir à être instruits de la vérité et il fut suivi non seulement de plusieurs juifs, mais de plusieurs gentils. C’était le Christ. Des principaux de notre Nation l’ayant accusé devant Pilate, il le fit crucifier. Ceux qui l’avaient aimé durant sa vie ne l’abandonnèrent pas après sa mort. Il leur apparut vivant et ressuscité le troisième jour, comme les saints prophètes l’avaient prédit, et qu’il ferait plusieurs autres miracles. C’est de lui que les chrétiens que nous voyons encore aujourd’hui ont tiré leur nom. »


  1. V. note [5], lettre 530.

  2. J’ai transcrit en italique les passages dont l’authenticité est chaudement débattue.

6.

« la vérité n’a pas besoin du mensonge » (Job, v. note [8], lettre 65).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 7 novembre 1665

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(Consulté le 20/04/2024)

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