L. 850.  >
À André Falconet,
le 8 décembre 1665

Monsieur, [a][1]

Ma dernière fut du 4e de ce mois, jour remarquable par la mort du cardinal de Richelieu. [1][2] On parle ici de la peste de Calais [3] et aussi qu’elle augmente en Angleterre. On dit que nous n’aurons point de guerre, si ce n’est là. Les grands jours d’Auvergne [4] ont fait couper la tête à une certaine Mme de La Calprenède [5] qui avait eu en sa vie divers maris, mais accusée d’avoir empoisonné [6] le dernier qui était un gentilhomme gascon qui parlait bien et qui avait fait des romans, et entre autres le Pharamond[2][7] M. le président de Novion [8] est fort malade à Clermont. [9] On a envoyé vers le roi [10] savoir qui présidera en sa place, ou le plus ancien conseiller de la Chambre, ou un maître des requêtes. Dieu veuille renvoyer la santé à M. de Novion, c’est un fort honnête homme ; il n’est pas encore temps de mourir pour lui car j’ai bonne opinion de sa fortune. [3] M. Blondel [11] est ici son médecin, peut-être qu’on l’y mènera.

On parle ici de quelques taxes nouvelles sur quelques grands seigneurs qui ont participé durant le désordre du royaume à des levées de deniers ; on les poursuivra actione repetundarum[4] On dit que l’été prochain le roi aura 500 000 hommes, savoir 300 000 piétons et 200 000 cavaliers ; j’aimerais mieux qu’il n’y eût point de guerre et que tout le monde fût en repos. Les trois ambassadeurs que nous avions en Angleterre en sont sortis, et sont à Saint-Valery, [12] où ils font leur quarantaine. [5] On dit que le roi va rabaisser le prix de l’or, que les pistoles reviendront à 10 livres et le reste à proportion. [6][13] Le P. Labbe [14] fait ici imprimer un livre qui sera bien curieux en quatre tomes in‑12 : c’est une chronologie universelle en quatre tomes, dont les deux premiers sont ab Adamo ad Christum et les deux autres a Christo ad nostra tempora[7] Nous verrons là comment il a accommodé Joseph Scaliger [15] et le P. Petau, [16] et concilié les difficultés de l’histoire sacrée avec la profane. Un jésuite m’a dit autrefois qu’il en avait voulu écrire en latin contre tous les deux, mais que ses supérieurs l’en avaient empêché. C’est peut-être qu’il favorisait Joseph Scaliger plus que le P. Petau, comme il me l’a témoigné fort ouvertement. Je vous baise très humblement les mains et suis de toute mon âme votre, etc.

De Paris, ce 8e de décembre 1665.


a.

Bulderen, no ccclxxxvi (tome iii, pages 123‑124) ; Reveillé-Parise, no dcxciii (tome iii, pages 569‑570).

1.

En 1642.

2.

Gautier de Costes de La Calprenède, seigneur de Togon et de Vatimény (Salignac, Dordogne 1609-Les Andelys 22 octobre 1663), auteur prolifique de romans et de drames, est, parmi bien d’autres livres, celui de Pharamond ou l’histoire de France, dédiée au roi. Première partie (Paris, Antoine de Sommaville, 1661, in‑8o), ouvrage qui a compté 11 parties, dont les dernières furent écrites par Pierre Ortigue de Vaumorière (la 11e parut en 1669).

Officier du régiment des gardes doué d’un grand talent pour raconter les histoires, La Calprenède se fit remarquer d’Anne d’Autriche qui lui donna une pension et le fit admettre, en 1650, au nombre des gentilshommes ordinaires de la Chambre du roi. Deux ans auparavant, il avait épousé Madeleine de Lyée, veuve pour la seconde fois : elle avait épousé d’abord Jean de Vieux-Pont, qui mourut, semble-t-il, en 1637, puis Arnoul de Braque, qu’un rival avait assassiné en 1645 d’un coup de pistolet. En 1663, étant au château de Mouflaine, le fougueux Gascon voulut montrer aux dames son adresse à manier le fusil : elle était telle qu’il se défigura complètement. Peu après, revenant de Normandie, il reçut au front un coup de tête de son cheval, qui fut si violent qu’il en mourut (G.D.U. xixe s.).

Tallemant des Réaux a consacré une historiette à La Calprenède (tome ii, pages 584‑588). Guy Patin commettait ici une erreur relevée par Adam : Mme de La Calprenède mourut dans un hôtel garni en mars 1668 :

« l’étrange erreur de Patin, simple écho d’un bruit qui courut à Paris, pourrait s’expliquer par le fait que les grands jours d’Auvergne eurent à juger une dame de Vieux-Pont et que le public mal informé put croire qu’il s’agissait de l’ancienne Mme de Vieux-Pont devenue plus tard Mme de La Calprenède ; cette dame fut condamnée à mort le 22 décembre. »

3.

La suite de la vie du président Nicolas iii Potier de Novion (v. note [25], lettre 183), qui présidait alors aux grands jours d’Auvergne, a bien donné tort à Guy Patin : devenu premier président du Parlement de Paris en 1678, Louis xiv le força de démissionner en 1689 à cause de ses prévarications outrancières.

4.

« pour concussion. » Le « désordre du royaume » avait été la Fronde (plus sérieusement nommée guerre civile) durant laquelle, pour financer le parti des princes, certains nobles avaient procédé à des perceptions (« levées ») illicites de taxes (« deniers ») dues au roi.

5.

Saint-Valery-sur-Somme en Picardie (actuel département de la Somme) se situe près de l’embouchure du fleuve dans la Manche. V. note [6], lettre latine 272, pour l’importance portuaire qu’il partageait avec Saint-Valéry-en-Caux.

C’était le retour de la « célèbre ambassade » envoyée à Londre par Louis xiv pour négocier en vain l’arrêt de la seconde guerre anglo-hollandaise. La grande peste qui faisait toujours rage à Londres justifiait la quarantaine (v. note [1], lettre latine 290) des trois diplomates. La France allait déclarer la guerre à l’Angleterre le 26 janvier 1666.

6.

La cote de la pistole passait de 11 à 10 livres, soit une dévaluation d’un peu moins de 10 pour cent. On voit bien ici la différence qu’il y avait entre la livre tournois, monnaie de compte sans support matériel, et la pistole métallique, monnaie en or d’échange et de référence.

Plus précisément, l’édit du roi prononcé en décembre 1665 portait réduction des constitutions de rentes du denier 18 (5,5 pour cent) au denier 20 (5 pour cent) :

« Ordonnons que les deniers qui seront ci-après donnés à constitution de rentes ne puissent produire par an plus haut intérêt que celui du denier 20 ; défendons à tous notaires de recevoir ou passer aucuns contrats à plus haute raison, à peine de privation de leur charge, etc., et en conséquence faisons défenses à tous juges de rendre aucuns jugements de condamnation de plus grands intérêts, sous les mêmes peines. »

Le même édit rappelait candidement qu’Henri iv avait réduit les intérêts du denier 14 (7,1 pour cent) au denier 16 (6,3 pour cent) en 1601, puis Louis xiii, du denier 16 au denier 18 (5,5 pour cent) en 1634. En 1665, le rapport des rentes de l’Hôtel de Ville (v. note [8], lettre 39) baissait ainsi du dixième, ainsi que toutes les transactions financières du royaume. L’État vivant à crédit, en accumulant les emprunts, la dévaluation était le moyen le plus efficace pour diminuer les intérêts de sa dette et retarder la banqueroute du Trésor royal.

7.

« depuis Adam jusqu’au Christ […] depuis le Christ jusqu’au temps présent » ; v. note [5], lettre 838, pour l’Abrégé chronologique du P. Philippe Labbe (Paris, 1666). Les ouvrages de Joseph Scaliger et du P. Denis Petau, qui divergeaient sur certains points, faisaient alors référence en matière de chronologie (v. note [4], lettre 119).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 8 décembre 1665

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(Consulté le 29/03/2024)

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