L. 860.  >
À André Falconet,
le 16 mars 1666

Monsieur, [a][1]

Ce 13e de mars. On ne parle ici que de services pour la feu reine mère [2] et de plusieurs harangues funèbres pour honorer sa mémoire, mais on n’en a encore imprimé aucune. Néanmoins, on espère d’avoir bientôt celle du P. Senault, [3] qui est le général des pères de l’Oratoire[4] et celle que le P. Faure, [5] évêque d’Amiens, [6] a prêchée à Saint-Denis. [1][7] Toutes les paroisses, les monastères et les chapitres ont fait faire de somptueux services à leurs dépens, et entre autres les bénédictins[8] les chartreux[9] les feuillants et autres moineries[10] excepté toutefois les jésuites [11] qui n’ont point branlé ; [2] je crois néanmoins qu’ils n’ont point laissé de prier Dieu pour son âme, pour tant d’affection qu’elle a eue pour eux en les défendant, comme elle a fait, de son autorité contre les jansénistes [12] qui autrement les auraient maltraités sur leur morale et autres livres de théologie avec lesquels ils s’en voulaient faire accroire.

J’ai rencontré ce matin notre M. Blondel [13] à la messe dans les Blancs-Manteaux [14] et nous en sommes sortis ensemble. Il m’a dit que le mois prochain, il commencera à faire imprimer quelque chose contre l’abus de l’antimoine. [3][15] Il fait ici froid comme en hiver et il y a quantité de rhumatismes [16] et de gouttes, [17] et plusieurs femmes en couche fort malades pour avoir négligé de se faire saigner dans le temps de la grossesse. [18] Galien [19][20] a eu raison de dire que le fœtus est souvent étouffé par l’abondance du sang, mais nos sottes femmes n’entendent pas ce secret ; et pourtant, elles veulent toujours faire bonne chère, faire beaucoup de sang et ne songent guère à leur santé. M. Fouquet, [21] le surintendant de jadis, a eu soin de se faire plusieurs amis particuliers qui voudraient bien encore le servir ; et en attendant l’occasion, ils travaillent à faire un grand recueil de diverses pièces qui peuvent servir à sa justification. [4] En ce recueil, il y aura quatre volumes in‑fo ;dans lesquels sans doute, le cardinal Mazarin [22] ne trouvera pas de quoi être canonisé. On tient ici pour certain que l’or et l’argent ne diminueront point et, dit-on, que c’est que l’on a appris qu’on avait emporté hors du royaume, et principalement en Angleterre, beaucoup d’or d’ici, et que l’or valait là davantage. Je vous baise les mains et suis de toute mon âme votre, etc.

De Paris, ce 16e de mars 1666.


a.

Bulderen, no cccxcviii (tome iii, pages 147‑149) ; Reveillé-Parise, no dccv (tome iii, pages 588‑589).

1.

Jean-François Senault (v. note [16], lettre 525) : Oraison funèbre d’Anne, infante d’Espagne, reine de France et mère du roi, prononcée en la présence de ses domestiques, dans l’église de Saint-Eustache… (Paris, P. Le Petit, 1666, in‑4o).

V. note [7], lettre 858, pour l’oraison du P. François Faure.

2.

Ne se sont pas remués, manifestés.

3.

Blancs-Manteaux est le nom qu’on donna initialement (mais apparemment à tort, v. notule {a}, note [5] du Borboniana 6 manuscrit), pour la couleur de leur robe, aux servites ou serviteurs de la Sainte Vierge. Cet ordre de moines mendiants fondé en Italie au xiiie s. s’installa à Paris, et Louis ix leur donna en 1258 une maison située dans le ive  arrondissement et qui porte toujours leur nom. L’église du couvent (aujourd’hui Notre-Dame) des Blancs-Manteaux a été rebâtie à la fin du xviie s. On a conservé ce nom aux différents religieux qui ont occupé la maison qu’avaient les servites à Paris, même si depuis la fin du xiiie s., elle a appartenu à des moines qui ont des manteaux noirs : en 1298 elle fut donnée aux guillemites, qui la cédèrent en 1618 aux bénédictins de Cluny (v. note [4], lettre 817) qui l’ont cédée à leur tour aux bénédictins de Saint-Maur qui l’occupaient alors.

V. note [4], lettre 868, pour ce que François Blondel préparait contre l’antimoine.

4.

V. note [4], lettre 930, pour les 13 volumes du Recueil des défenses de M. Fouquet parus entre 1665 et 1668.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 16 mars 1666

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(Consulté le 20/04/2024)

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