L. 861.  >
À André Falconet,
le 6 avril 1666

Monsieur, [a][1]

Le roi [2] est allé à Versailles [3] pour n’en revenir que vers Pâques. [1] Il n’y a encore rien de certain touchant le prix de la monnaie, non plus que de la guerre. Il y en a qui disent que les Suédois et les Anglais sont d’accord ensemble pour attaquer le Danemark ; mais si cela arrive, vous verrez beau jeu en ce pays-là car les Hollandais et nos gens ne leur manqueront point ; on parle fort d’accord avec l’évêque de Münster. [4] Hier de grand matin, par commandement du roi, un célèbre maître d’académie dans le faubourg Saint-Germain, [5] nommé M. Delcampe, [6] fut arrêté et mené dans la Bastille [7] où il a été interrogé ce matin touchant la fausse monnaie [8] dont il a été accusé par un homme qui fut pendu à la Croix du Trahoir [9] la semaine passée. [10] Il fut mené en prison dans un carrosse par trois compagnies qui avaient été tirées du régiment des gardes. Un conseiller de la Cour des monnaies [11] m’a dit qu’il sera bientôt jugé et qu’il n’y aura point d’appel. Je vous envoie une lettre de mon Carolus [12] qui vous honore particulièrement. Il dit qu’il faut respecter les grands seigneurs, qu’il faut honorer les gens de mérite et aimer les amis particuliers, et qu’il ne faut pas se soucier des autres. Cela n’est pas mal, mais je ne voudrais pas qu’il fût stoïque, il a trop du misanthrope. [2][13] Le fils aîné de M. le premier président [14] a été reçu conseiller de la Cour depuis quatre jours ; [3] j’y ai été pour cet effet aujourd’hui y faire ma cour et mon compliment à Monsieur son père. [15] L’électeur de Mayence [16][17] a la pierre, il traite avec François Colot [18] pour se faire tailler [19] dans la fin de mai. M. l’archevêque de Sens [20][21] a fait merveilles à l’Assemblée du Clergé [22] contre les prétentions du pape [23] qui voulait obliger quelques évêques à signer ce qu’on n’a encore pu obtenir d’eux. [4][24] Je vous prie, Monsieur, de vouloir faire rendre l’incluse à M. le président Miron [25] qui doit arriver à Lyon le 12e ; et ne sachant où il doit loger, j’ai pris la confiance de vous l’adresser afin qu’elle lui soit plus tôt rendue. Je vous baise très humblement les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 6e d’avril 1666.


a.

Bulderen, no cccxcix (tome iii, pages 149‑150).

1.

Après un séjour à Versailles, du 3 au 15 avril 1666, la famille royale était allée à Saint-Germain pour la semaine sainte et la célébration de Pâques, le 25 avril, avant de revenir à Paris le 29 pour quelques jours (Levantal).

2.

Le Misanthrope ou L’Atrabilaire amoureux de Molière (v. notule {f}, note [1] de la Consultation 12) allait être joué pour la première fois au Palais-Royal le 4 juin 1666. La coïncidence pourrait-elle expliquer cet unique emploi du mot misanthrope dans les lettres de Guy Patin ? Hérité de l’Antiquité grecque, sur le modèle de l’Athénien Timon le Misanthrope, il avait exactement le même sens qu’aujourd’hui.

3.

V. note [23], lettre 822, pour la réception de Chrétien-François de Lamoignon, avec dispense d’âge, au Parlement de Paris le 2 avril 1666.

4.

Depuis 1661, le Clergé de France était déchiré par la signature du Formulaire du pape Alexandre vii contre les Cinq Propositions de Jansenius, conséquence de la bulle Ad sacram (1656) (v. notes  [9], lettre 733, et [1], lettre 821).

Henri-Louis de Pardaillan de Gondrin (v. note [9], lettre 229), archevêque de Sens, allait jouer un rôle déterminant dans la Paix de l’Église qui, en 1668 (v. note [1], lettre 945), régla temporairement le différend entre Rome et les jansénistes. Il était oncle de Mme de Montespan, bientôt maîtresse de Louis xiv.

Sainte-Beuve (Port-Royal, livre v, chapitre vi ; tome ii, page 818) l’a décrit comme un :

« prélat de grand air, autorisé en cour, ayant l’oreille du roi et de ses ministres, et très affectionné à nos Messieurs {a} par goût de l’esprit plus encore peut-être que par esprit de piété. »


  1. De Port-Royal.

Commencée le 25 mai 1665, l’Assemblée périodique du Clergé (v. note [22], lettre 214) se terminait alors.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 6 avril 1666

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0861

(Consulté le 28/03/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.