L. 866.  >
À André Falconet,
le 4 mai 1666

Monsieur, [a][1]

Nous sommes ici en affliction domestique pour mon collègue M. Hommetz [2] qui est le beau-père de mon Carolus. [3] Laborat ille morbo immedicabili, nempe febre assidua, cum insigni et manifesta corruptela substantiæ pulmonis[1][4] Il n’a point manqué de médecins, mais le mal est incurable. [5]

               Pugnatum est arte medendi
exitium superabat opem, quæ victa iacebat
[2]

Nous l’avons vu à toute heure et néanmoins, il en mourra. Contra vim mortis non est medicamen in hortis[3][6] Son poumon est affecté dans sa propre substance et la médecine ne le peut secourir. Fernel [7] en sa Pathologie a fort bien décrit ce malheureux mal, sur lequel je puis vous dire : Eius est recreare qui creavit, vitium enim positum in substantia partium emendare, non est humanæ virtutis ; [4][8] le temps des miracles est passé et ne reviendra peut-être plus. [9]

Depuis la mort de la reine mère de Portugal, [10] on dit ici que les Portugais ont résolu de se bien défendre contre le roi d’Espagne [11] et que les Espagnols se trouvent bien empêchés, joint que l’on parle de la santé de leur roi comme d’une chose bien frêle. [5] On dit que le chevalier d’Hocquincourt a été noyé sur la mer Méditerranée [12] et que c’est dommage. [6] Je viens de voir une dame de 22 ans qui avait hier pris du sirop de roses pâles [13] et qui a vidé un ver [14] de la grosseur d’une bonne plume et long d’une demi-aune. [7] Les corps humides et pleins font des vers aisément, mais la longueur et la grosseur de celui-ci m’étonne. J’ai peur que cette année nous n’ayons bien des fièvres et autres maladies de cette sorte de pourriture ; néanmoins, j’espère qu’il n’en mourra que les plus malades.

Le bon M. Hommetz est mort le sixième jour de sa maladie, nous l’avons fait ouvrir [15] et nous lui avons trouvé le poumon adhérent aux côtes, tout purulent et presque squirreux ; [16] ce sont les effets de la fièvre et de la chaleur contre nature. J’ai aujourd’hui salué l’ambassadeur de Suède, M. le comte de Königsmarck, [17] qui m’a fait grand accueil. Il n’a pas 30 ans, on m’a dit qu’il me veut prendre pour son médecin, il a la réputation d’un fort adroit et habile négociateur, quoiqu’Aristote [18] ait écrit ad res politicas gerendas minus indoneos esse iuvenes ; [8] mais il y a des gens pour qui Dieu fait des miracles, joint qu’il y a ordinairement quelque exception pour ces règles générales. Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 4e de mai 1666.


a.

Bulderen, no cccciv (tome iii, pages 156‑158) ; Reveillé-Parise, no dccx (tome iii, pages 593‑594).

1.

« Il souffre d’une maladie incurable, savoir une fièvre continue avec corruption remarquable et manifeste de la substance pulmonaire. »

2.

« On employa l’art pour y remédier, mais le désastre surpassait tous les secours et tous les secours furent vains » (Ovide, Métamorphoses, livre vii, vers 526‑527, à propos de la peste d’Égine).

3.

« Contre la puissance de la mort, il n’y a pas de médicament dans les jardins » : Schola Salernitana [L’École de Salerne], v. note [15], lettre 75.

4.

« Il appartient à celui qui a créé de recréer, {a} car corriger le défaut qui s’est mis dans la substance des parties n’est pas dans la capacité humaine. »


  1. Saint Thomas d’Aquin, Commentum in secundum librum Sententiarum Magistri Petri Lombardi [Commentaire sur le deuxième livre des Sentences de Pierre Lombard], {i} distinction xxvi, question i, article i, {ii} § 4, sur la grâce de Dieu :

  2. Præterea ejus est recreare, cujus est creare. Sed ipse Deus solus sine medio animam creavit. Ergo ejus solius est recreare.

    En outre, à celui qui crée a le pouvoir de recréer. Mais Dieu seul et sans intermédiaire a créé l’âme. Il a donc seul le pouvoir de la recréer.

    1. Pietro Lombardo théologien et évêque italien, mort à Paris en 1160.

    2. Utrum gratia sit aliquid creatum in anima [Si la grâce est quelque chose qui a été créé dans l’âme].

V. note [5], lettre 793, pour la description par Jean Fernel, encore remarquable aujourd’hui, de la phtisie, maladie par excellence de la substance pulmonaire (tuberculose).

5.

À cette époque, le roi d’Espagne, Charles ii, n’avait que 5 ans et le roi du Portugal, Alphonse vi (v. note [8], lettre 457), âgé de 23 ans, incapable et débauché, n’allait être toléré sur le trône que durant une année après la mort de sa mère, Louise de Guzmán, veuve du roi Jean iv.

6.

Chevalier de Malte, Dominique de Monchy d’Hocquincourt, fils du maréchal Charles d’Hocquincourt, avait péri en mer le 28 novembre 1665. Son frère Honoré, lui aussi chevalier de Malte, allait connaître le même sort, en juin 1667, devant l’île de Scarpanto (entre Rhodes et la Crète).

7.

Environ 60 centimètres.

8.

« les jeunes ne sont guère capables de gérer les affaires politiques ».


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 4 mai 1666

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(Consulté le 18/04/2024)

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