L. 875.  >
À André Falconet,
le 17 septembre 1666

Monsieur, [a][1]

Notre M. Morisset [2] était allé en Flandres [3] pour la princesse d’Épinoy [4][5] et je ne sais ce que ce voyage lui causera de bien car on dit qu’elle est morte. [1] Il mourut aussi hier un célèbre avocat nommé M. Gaultier [6] qui s’est autrefois fait bien entendre dans le Palais avec grande attention, il avait 76 ans. [2] Le roi d’Espagne [7] et celui de Portugal [8] sont enfin d’accord ensemble, et on dit que la paix est faite avec un notable avantage pour le Portugal. On prétend que la paix se fera aussi entre ces mêmes Espagnols et les Anglais, qui auront pour ennemis les Français, Hollandais, Danois, Suédois, avec l’électeur de Brandebourg [9] et autres princes de l’Allemagne. Dieu nous préserve de cette guerre qui ruinerait toute l’Europe. Ut bello pax, sic paci bellum sibi invicem succedunt ; [3] car après que les princes se sont bien longtemps tourmentés, Dieu fait aussi sa guerre où il fait paraître son pouvoir à son tour. On parle de grands jours nouveaux, [4][10] on parle aussi du frère Annet, récollet[11] et d’un Buis qui sont morts à Lyon en belle compagnie, de cette angine [12] que fait le bourreau. [5][13] Mais que deviendra Buaton ? Je sais toute l’affaire, apparemment vous la savez aussi bien que nous ; c’est aux dépens de M. le marquis de Châteauneuf, [14] frère aîné de feu M. le maréchal de Senneterre. [6][15] Je vous recommande la lettre de mon Carolus [16] ici incluse. On vient de publier à cri public par les trompettes jurés que le roi [17] rétablit les louis d’or à 11 livres, les écus blancs à 60 sols et le reste à proportion. Plusieurs s’en réjouissent de deçà, les médecins n’y perdront rien. Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 17e de septembre 1666.


a.

Bulderen, no ccccxiv (tome iii, pages 180‑181) ; Reveillé-Parise, no dccxix (tome iii, pages 611‑612).

1.

Louise Anne de Béthune (1643-14 septembre 1666), fille de Louis, duc de Charost (v. note [20], lettre 216), et de Marie Lescalopier, avait épousé en 1665 Alexandre Guillaume de Melun, prince d’Épinoy, connétable de Flandre et sénéchal de Hainaut (Y. Coirault).

2.

Charles Gaultier ou Gautier (Paris 1590-ibid. 1666) avait brillé au barreau de Paris, sinon par la pureté de son goût et l’éclat de son éloquence, du moins par une verve incisive, des traits mordants, des mouvements impétueux et inattendus qui le rendaient très redoutable à ses adversaires. Il allait souvent jusqu’à l’insolence et on l’avait surnommé Gaultier la Gueule. Nicolas Boileau-Despréaux l’a peint en deux vers, dans sa Satire ix : « Dans vos discours chagrins, plus aigre et plus mordant/ Qu’une femme en furie ou Gaultier en plaidant » (G.D.U. xixe s.). Reveillé-Parise cite cet extrait du portrait qu’en a donné Vigneul-Marville : {a}

« L’avocat Gaultier, célèbre par ses plaidoyers satiriques, avait des qualités singulières. Sa tête chauve, les rides de son large front, ses yeux étincelants, son nez d’aigle, une grande bouche armée de dents canines, avec la voix d’un corbeau qui croasse sur une proie qu’il a ensanglantée de ses ongles, composait un tout assez parfait, avec sa véhémence naturelle, son humeur aigre et bilieuse. »


  1. Mélanges, volume 3, pages 55‑58.

3.

« La guerre à la paix, comme la paix à la guerre, les deux se succèdent mutuellement ».

4.

Après la dernière session des grands jours d’Auvergne, les états de Languedoc sollicitèrent une opération similaire pour le Velay et les Cévennes. Le roi demanda donc à des magistrats du parlement de Toulouse d’aller tenir des grands jours au Puy, à l’automne 1666, et à Nîmes, au début de 1667 (J.‑M. Carbasse, Dictionnaire du Grand Siècle). Louis xiv, Mémoires (tome 1, page 206, année 1666) :

« Les impiétés qui se commettaient dans le Vivarais me donnèrent sujet d’y faire tenir des grands jours par les officiers du parlement de Toulouse ; et quoique la Chambre mi-partie {a} de Castres me sollicitât avec instance afin d’obtenir place dans ce tribunal pour quelques-uns de leurs députés, comme ayant droit d’y entrer, je crus qu’il serait plus avantageux à la religion de ne pas leur accorder cette demande, laquelle je sus éluder par divers délais, pendant que l’affaire se consommait. »


  1. Mi-catholique et mi-protestante.

5.

Allégorie ironique de la pendaison (l’angine serre la gorge, v. note [4], lettre 490).

6.

Le frère puîné (et non aîné) du maréchal-duc de La Ferté-Senneterre, était le marquis Charles de Châteauneuf, vicomte de Chaylane (mort le 24 avril 1667). Je n’ai pas su découvrir la sombre affaire à laquelle ce marquis se trouvait mêlé à Lyon.

Plus tard (v. note [1], lettre 969), Guy Patin (ou son transcripteur) a donné le titre de marquis de Hauterive à François de L’Aubespine, frère aîné du garde des sceaux Charles de L’Aubespine, marquis de Châteauneuf.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 17 septembre 1666

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(Consulté le 28/03/2024)

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