L. 882.  >
À André Falconet,
le 19 octobre 1666

Monsieur, [a][1]

Je suis fort en peine de votre santé, n’en apprenant rien de certain, ni par vous, ni par les vôtres ; au moins, donnez-m’en quelque assurance par monsieur votre fils. Six lignes me suffiront, mais plutôt six mots, tels ceux de Cicéron, [2] Si vales, bene est, ego quidem valeo[1] Je suis inquiet de votre santé. La perte d’un vieux ami est irréparable, il n’en est pas de même de l’argent, il en peut venir tous les jours. Le soleil s’en va et revient, mais l’ami ne revient point. On commence ici à exécuter la police préméditée sur les revendeuses, receleuses, ravaudeuses et savetiers qui occupent des lieux qui incommodent le passage public. On veut voir les rues de Paris fort nettes, le roi [3] a dit qu’il veut faire de Paris ce qu’Auguste [4] fit de Rome, Latericiam reperi, marmoream relinquo[2][5] On viendra ensuite aux bouchers, boulangers, cabaretiers et autres. [6] Après la Saint-Martin, on publiera au Parlement l’abréviation des procès, dont se sentiront les greffiers, les procureurs, les avocats et même les conseillers, mais surtout ceux de la Grand’Chambre. On s’en va aussi donner ordre pour les voleurs de nuit, en quoi on imitera, à ce qu’on dit, la police de votre ville de Lyon. On parle aussi, lustranda universa civitate[3] de visiter toutes les maisons, d’en chasser toutes sortes de vagabonds et gens inutiles, et même le nombre superflu des garçons barbiers, [7] chirurgiens, [8] apothicaires. [9] Plût à Dieu que cela réussisse pour le bien du public, en y comprenant tant de charlatans [10] se disant la plupart et le plus souvent médecins de Montpellier, [11] qui néanmoins ne sont le plus souvent que des ignorants empiriques, [12] chimistes [13] effrontés, moines défroqués, urbium suarum purgamenta, suæ gentis dehonestamenta, [4][14] pauvres malotrus qui sont gueux et qui n’ont que bon appétit, qui civium nostrorum periculis discunt, et experimenta quotidie per mortes agunt, fraudibus, imposturis : varietate, multiplicitate et novitate remediorum, stibio, elaterio, pulvere Peruviano, scammonio, ricino Indico, etc. [5][15][16][17][18][19][20]

Enfin je viens d’apprendre par la vôtre du 11e d’octobre que vous êtes en meilleur état, Dieu soit loué de tout. Purgez-vous bien, mangez peu et ne vous remettez pas sitôt à travailler ; aurum dum quærimus, ævum perdimus[6][21] Je suis ravi du contentement que vous donne monsieur votre fils aîné [22] et je ne doute pas que cela n’aille toujours en continuant et en augmentant. [7] Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 19e d’octobre 1666.


a.

Bulderen, no ccccxxii (tome iii, pages 192‑193) ; Reveillé-Parise, no dccxxv (tome iii, pages 618‑620).

1.

« Si vous vous portez bien, tant mieux ; moi aussi je me porte bien » : S.V.B.E.E.Q.V., banalité cicéronienne, v. note [12], lettre 504, mais avec sept mots au lieu des six annoncés.

2.

« j’ai trouvé de la brique, je laisse du marbre ». Paroles attribuées par Aurelius Victor (Liber de Cæsaribus, chapitre 1, § 19) à César Auguste (v. note [6], lettre 188) qui a agrandi Rome et l’a ornée de multiples et somptueux édifices. La phrase suivante fait allusion à une épigramme de Martial sur le même empereur : v. note [4], lettre 887.

3.

« pour purifier toute la ville ».

4.

« immondices de leurs propres cités, flétrissures de leur propre race » ; urbium suarum purgamenta est une expression de Quinte-Curce (Histoire d’Alexandre le Grand, livre vii, chapitre v).

5.

« qui s’instruisent au péril de nos concitoyens et font chaque jour des expériences par morts, fraudes, impostures, par la variété, la multiplicité et la nouveauté de leurs remèdes : antimoine, élatérium, {a} poudre du Pérou, {b} scammonée, {c} ricin d’Inde, {d} etc. » {e}


  1. Élatérium est le nom pharmaceutique du concombre sauvage (momordica elaterium), dont le suc est la base d’un puissant purgatif.

  2. Ou poudre des jésuites : quinquina (v. note [7], lettre 309).

  3. V. note [4], lettre 172.

  4. Le ricin est une « plante qui croît en Espagne et en Candie [en Crète] à la hauteur des plus grands arbres, mais qui dans nos climats ne s’élève que de cinq ou six pieds. Le fruit est un purgatif violent et que les médecins n’emploient qu’avec grande circonspection » (Académie).

  5. Guy Patin s’inspirait de la diatribe de Pline l’Ancien contre les médecins (v. note [11], lettre 126).

6.

« pendant que nous cherchons de l’or, nous gâchons nos plus belles années » : Manilius, v. note [8], lettre 758.

7.

Par la mort de son frère (survenue à une date inconnue, postérieure à mars 1661, v. note [6], lettre 674), Noël Falconet, le médecin, était devenu le fils aîné d’André.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 19 octobre 1666

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(Consulté le 19/04/2024)

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