< Ce 14e de mai. > Il y a aujourd’hui 57 ans que ce maudit Ravaillac, [2] avec son couteau trop fatal à la France, fit un misérable assassinat sur le bon roi Henri iv ; [3] mais laissons là ce malheureux coup, pax sit tanti Regis manibus ! [1] Le roi Charles v [4] et le bon roi Louis xii, [5] qui tous étaient des Valois et qui ont fait grand bien à la France, chacun en leur temps, n’ont pas tant mérité de la postérité que le seul roi Henri iv.
Ce 15e de mai. Ce matin a été légitimée à la Chambre des comptes la fille de Mlle de La Vallière. [2][6][7][8] La déclaration du roi [9] pour la guerre de Flandres [10][11] a été vérifiée en Parlement. Le petit M. de Guise, [12] encore fort jeune et qui n’a, à ce dit-on, guère que 16 ans, est marié avec Mlle d’Alençon, [13][14] fille de feu M. le duc d’Orléans. [3][15] On ne voit dans Paris que compagnies de soldats partir, qui s’en vont en Picardie et delà, en Flandres. On dit que le roi partira demain pour aller coucher à Champlâtreux, [16] le lendemain à Liancourt [17] où il y a de si belles eaux, [4] et ensuite à Amiens ; [18] delà à Arras. [19] La reine [20] et M. le Dauphin [21] demeureront à Compiègne [22] où ils attendront les ordres du roi. Si le cardinal Roberti [23] devient jamais pape, nous aurons un sot pape, c’est un pauvre homme étourdi d’avarice et d’ambition. Non equidem invideo, miror magis, [5][24] je suis ravi que monsieur votre fils [25] vous contente. Il faut qu’il lise bien la Pathologie de Fernel, [26] la Pratique de Houllier, [27] l’Anatomie de M. Riolan [28] et Duret [29] sur les Coaques, [30] aussi bien que Houllier sur les Aphorismes ; [31] quoi faisant, la matière ne lui manquera jamais. [6] On voit ici un petit livre intitulé Dialogue sur les droits de la reine très-chrétienne, in‑12, 1667, qui n’est que l’abrégé du grand livre que le roi a fait faire sur ce sujet et qui viendra bientôt, tant en latin qu’en français, in‑4o. [7] On dit ici que les Flamands et Wallons [32] se mettent en état de se bien défendre contre nos gens, [8] et qu’ils sont résolus de perdre plutôt tout, de ruiner leurs palaces et d’y mettre le feu avant que de nous laisser aucun avantage.
Ce 16e de mai. Aujourd’hui au matin est mort à Saint-Germain [33] M. Guénault [34] d’une apoplexie. [35] Dieu n’a pas permis que le vin émétique [36] le sauvât, lui qui en a autrefois tant tué avec ce poison et avec le laudanum chymisticum. [9][37] Le roi est aujourd’hui parti de Saint-Germain et a pris le chemin d’Amiens pour faire un grand voyage. Dieu le veuille bien conduire, et le ramener chargé de lauriers et de triomphes, o utinam ! [10] Je vous baise les mains et suis de toute mon âme votre, etc.
De Paris, ce 17e de mai 1667.
1. |
« paix aux mânes d’un si grand roi ! » |
2. |
Louis xiv n’a pas voulu cacher l’événement à son fils le dauphin, à qui il a destiné ses Mémoires (tome 2, pages 313‑314, année 1667) :
Tombée dans les bras de Louis xiv en 1661, Françoise-Louise de La Vallière (v. note [12], lettre 735) lui avait alors donné trois enfants : Charles (1663-1666), Philippe (né et mort en 1665) et Marie-Anne de Bourbon (2 octobre 1666-1739), que le roi légitimait alors sous le nom de Mlle de Blois et qui devint en 1680 princesse de Conti en épousant Louis-Armand de Bourbon-Conti. V. note [45], lettre 925, pour la naissance de Louis, autre fruit de ce royal adultère, en 1667. |
3. |
Élisabeth d’Alençon (1646-1696), seconde fille de Gaston d’Orléans et de Marguerite de Lorraine, épousait Louis-Joseph de Lorraine, duc de Guise (1650-1671), fils de Louis, duc de Joyeuse et de Françoise-Marie de Valois, seul héritier mâle de la Maison de Guise. À Saint-Germain, le 15 mai, le roi et la reine avaient signé le contrat de mariage, puis assisté le même jour aux fiançailles et au mariage dans la chapelle du château vieux (Levantal). Mlle de Montpensier, demi-sœur aînée de Mlle d’Alençon, a relaté son entretien avec le roi, à Amiens (20‑23 mai) sur la précipitation de ce mariage (Mémoires, seconde partie, chapitre viii, pages 45‑46) :
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4. |
Le roi et la cour arrivèrent dans la soirée du 16 mai à Champlâtreux (aujourd’hui Épinay-Champlâtreux, Val-d’Oise), 25 kilomètres au nord de Paris sur le grand chemin qui menait à Amiens. C’était le fief de la famille Molé ; leur fastueux château y a été édifié au xviiie s. Le lendemain, on faisait étape à Liancourt (v. note [20], lettre 293), qui portait alors le nom de Liancourt-les-Belles-Eaux à cause de son château dont le jardin était agrémenté de fontaines, de bassins et de canaux ; il servit, dit-on, de modèle pour les embellissements de Versailles. Le maître des lieux était Roger du Plessis-Liancourt duc de La Rocheguyon (v. note [34], lettre 485). |
5. |
« Je n’envie point votre bonheur, je m’en étonne plutôt » (Virgile, v. note [17], lettre 180). |
6. |
Guy Patin a maintes fois loué tous les ouvrages médicaux qu’il recommandait à Noël Falconet, naguère son élève, pour s’en abreuver encore et encore, et l’attacher à l’ancienne doctrine (voir là-dessus le témoignage de Noël lui-même sur ce qu’il en conserva, dans Noël Falconet, 60 ans après). |
7. |
Ouvrage anonyme, {a} attribué à Aubery, Antoine Bilain ou Guy Joly, {b} qui a été suivi par le : Traité des droits de la reine très-chrétienne sur divers États de la monarchie d’Espagne. {c} Dialogue sur les droits de la reine très-chrétienne. {d} Mémoires de Louis xiv (tome 2, pages 246‑247, année 1667) :
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8. |
Seule mention des Wallons dans les lettres de Guy Patin, qui les distinguait ici à juste titre des Flamands proprement dits ; {a} Trévoux : « On donne ce nom, qui signifie Gaulois, à tous les peuples des Pays-Bas {b} dont le langage naturel est un vieux français : tels sont ceux de l’Artois, du Hainaut, du Namurois, du Luxembourg, et d’une partie de la Flandre et du Brabant. On y comprend quelquefois les Liégeois {c} parce qu’ils parlent aussi un français corrompu. » {d} |
9. |
« laudanum chimystique. » Dans cette sèche oraison funèbre de François Guénault, {a} son plus vieil ennemi au sein de la Faculté de médecine de Paris, Guy Patin attachait au laudanum {b} l’épithète néolatine chymisticum. Il l’a toujours utilisée à des fins péjoratives dans 16 de ses lettres latines, {c} en faisant sans doute une référence malicieuse au titre d’un fameux ouvrage alchimique qu’il devait exécrer : Chymisticum Artificium Naturæ, Theoricum et Practicum Sumarium versa pagella clarius indicabit : Liber plane Philosophicus, in gratiam omnium veræ Philosophiæ naturalis studiosorum æditus per Gerardum Dorn. |
10. |
« ô comme je le souhaite ardemment ! » |
a. |
Bulderen, no ccccl (tome iii, pages 240‑242) ; Reveillé-Parise, no dccxlix (tome iii, pages 651‑652). |