L. 911.  >
À André Falconet,
le 17 mai 1667

Monsieur, [a][1]

< Ce 14e de mai. > Il y a aujourd’hui 57 ans que ce maudit Ravaillac, [2] avec son couteau trop fatal à la France, fit un misérable assassinat sur le bon roi Henri iv ; [3] mais laissons là ce malheureux coup, pax sit tanti Regis manibus ! [1] Le roi Charles v [4] et le bon roi Louis xii[5] qui tous étaient des Valois et qui ont fait grand bien à la France, chacun en leur temps, n’ont pas tant mérité de la postérité que le seul roi Henri iv.

Ce 15e de mai. Ce matin a été légitimée à la Chambre des comptes la fille de Mlle de La Vallière. [2][6][7][8] La déclaration du roi [9] pour la guerre de Flandres [10][11] a été vérifiée en Parlement. Le petit M. de Guise, [12] encore fort jeune et qui n’a, à ce dit-on, guère que 16 ans, est marié avec Mlle d’Alençon, [13][14] fille de feu M. le duc d’Orléans. [3][15] On ne voit dans Paris que compagnies de soldats partir, qui s’en vont en Picardie et delà, en Flandres. On dit que le roi partira demain pour aller coucher à Champlâtreux, [16] le lendemain à Liancourt [17] où il y a de si belles eaux, [4] et ensuite à Amiens ; [18] delà à Arras. [19] La reine [20] et M. le Dauphin [21] demeureront à Compiègne [22] où ils attendront les ordres du roi. Si le cardinal Roberti [23] devient jamais pape, nous aurons un sot pape, c’est un pauvre homme étourdi d’avarice et d’ambition. Non equidem invideo, miror magis[5][24] je suis ravi que monsieur votre fils [25] vous contente. Il faut qu’il lise bien la Pathologie de Fernel, [26] la Pratique de Houllier, [27] l’Anatomie de M. Riolan [28] et Duret [29] sur les Coaques[30] aussi bien que Houllier sur les Aphorismes ; [31] quoi faisant, la matière ne lui manquera jamais. [6] On voit ici un petit livre intitulé Dialogue sur les droits de la reine très-chrétienne, in‑12, 1667, qui n’est que l’abrégé du grand livre que le roi a fait faire sur ce sujet et qui viendra bientôt, tant en latin qu’en français, in‑4o[7] On dit ici que les Flamands et Wallons [32] se mettent en état de se bien défendre contre nos gens, [8] et qu’ils sont résolus de perdre plutôt tout, de ruiner leurs palaces et d’y mettre le feu avant que de nous laisser aucun avantage.

Ce 16e de mai. Aujourd’hui au matin est mort à Saint-Germain [33] M. Guénault [34] d’une apoplexie. [35] Dieu n’a pas permis que le vin émétique [36] le sauvât, lui qui en a autrefois tant tué avec ce poison et avec le laudanum chymisticum[9][37] Le roi est aujourd’hui parti de Saint-Germain et a pris le chemin d’Amiens pour faire un grand voyage. Dieu le veuille bien conduire, et le ramener chargé de lauriers et de triomphes, o utinam ! [10] Je vous baise les mains et suis de toute mon âme votre, etc.

De Paris, ce 17e de mai 1667.


a.

Bulderen, no ccccl (tome iii, pages 240‑242) ; Reveillé-Parise, no dccxlix (tome iii, pages 651‑652).

1.

« paix aux mânes d’un si grand roi ! »

2.

Louis xiv n’a pas voulu cacher l’événement à son fils le dauphin, à qui il a destiné ses Mémoires (tome 2, pages 313‑314, année 1667) :

« Avant que de partir, {a} j’envoyai un édit au Parlement, par lequel j’érigeais en duché la terre de Vaujours en faveur de Mademoiselle de La Vallière et reconnaissais une fille que j’avais eue d’elle. Car n’étant pas résolu d’aller à l’armée pour y demeurer éloigné de tous les périls, je crus qu’il était juste d’assurer à cette enfant l’honneur de sa naissance et de donner à la mère un établissement convenable à l’affection que j’avais pour elle depuis six ans.

J’aurais pu sans doute me passer de vous entretenir de cet attachement, dont l’exemple n’est pas bon à suivre ; mais après avoir tiré plusieurs instructions des manquements que j’ai remarqués dans les autres, je n’ai pas voulu vous priver de celles que vous pouviez tirer des miens propres. »


  1. Pour la guerre de Dévolution (mai 1667-mai 1668).

Tombée dans les bras de Louis xiv en 1661, Françoise-Louise de La Vallière (v. note [12], lettre 735) lui avait alors donné trois enfants : Charles (1663-1666), Philippe (né et mort en 1665) et Marie-Anne de Bourbon (2 octobre 1666-1739), que le roi légitimait alors sous le nom de Mlle de Blois et qui devint en 1680 princesse de Conti en épousant Louis-Armand de Bourbon-Conti. V. note [45], lettre 925, pour la naissance de Louis, autre fruit de ce royal adultère, en 1667.

3.

Élisabeth d’Alençon (1646-1696), seconde fille de Gaston d’Orléans et de Marguerite de Lorraine, épousait Louis-Joseph de Lorraine, duc de Guise (1650-1671), fils de Louis, duc de Joyeuse et de Françoise-Marie de Valois, seul héritier mâle de la Maison de Guise. À Saint-Germain, le 15 mai, le roi et la reine avaient signé le contrat de mariage, puis assisté le même jour aux fiançailles et au mariage dans la chapelle du château vieux (Levantal).

Mlle de Montpensier, demi-sœur aînée de Mlle d’Alençon, a relaté son entretien avec le roi, à Amiens (20‑23 mai) sur la précipitation de ce mariage (Mémoires, seconde partie, chapitre viii, pages 45‑46) :

« Comme il n’y a que dix-sept lieues d’ici à Amiens, je m’y en allai en un jour. Le lendemain, comme le roi vint dîner, il me dit : “ Je ne vous ai point fait part du mariage de votre sœur parce que ce n’est point moi qui l’ai fait ; je n’y ai que consenti. Votre belle-mère {a} m’est venue voir pour me dire qu’elle souhaitait fort que sa fille épousât le prince Charles. {b} Je lui ai dit que les choses n’étaient point en cet état. Elle m’a répondu : Je souhaite de voir ma fille mariée devant que de mourir. Si Votre Majesté veut bien qu’elle épouse M. de Guise, je le souhaite fort. Je lui ai dit que oui. Mlle de Guise m’en est venue parler. On ne m’a rien demandé, je ne lui ai rien donné. M’en voilà quitte. ” […] On l’amena le dimanche au matin, on les fiança dans ma chambre, puis on les maria, il n’y a pas eu d’autre cérémonie. On avait si peu pourvu qu’ils n’eurent point de carreaux, {c} on alla en chercher, on ne trouva que ceux des chiens de Mme de Montespan, elle vous le contera. ” Mme de Montespan me le conta le plus plaisamment du monde, elle dit : “ J’étais dans la tribune. Quand ils se levèrent à l’Évangile et que je vis les carreaux de mes chiens ainsi honorés et servant à une telle noce, cela me fit rire. ” »


  1. La duchesse d’Orléans, veuve de Gaston.

  2. De Lorraine.

  3. Coussins.

4.

Le roi et la cour arrivèrent dans la soirée du 16 mai à Champlâtreux (aujourd’hui Épinay-Champlâtreux, Val-d’Oise), 25 kilomètres au nord de Paris sur le grand chemin qui menait à Amiens. C’était le fief de la famille Molé ; leur fastueux château y a été édifié au xviiie s.

Le lendemain, on faisait étape à Liancourt (v. note [20], lettre 293), qui portait alors le nom de Liancourt-les-Belles-Eaux à cause de son château dont le jardin était agrémenté de fontaines, de bassins et de canaux ; il servit, dit-on, de modèle pour les embellissements de Versailles. Le maître des lieux était Roger du Plessis-Liancourt duc de La Rocheguyon (v. note [34], lettre 485).

5.

« Je n’envie point votre bonheur, je m’en étonne plutôt » (Virgile, v. note [17], lettre 180).

6.

Guy Patin a maintes fois loué tous les ouvrages médicaux qu’il recommandait à Noël Falconet, naguère son élève, pour s’en abreuver encore et encore, et l’attacher à l’ancienne doctrine (voir là-dessus le témoignage de Noël lui-même sur ce qu’il en conserva, dans Noël Falconet, 60 ans après).

7.

Ouvrage anonyme, {a} attribué à Aubery, Antoine Bilain ou Guy Joly, {b} qui a été suivi par le :

Traité des droits de la reine très-chrétienne sur divers États de la monarchie d’Espagne. {c} Dialogue sur les droits de la reine très-chrétienne. {d}


  1. Paris, Antoine Vitré, 1667, in‑8o de 69 pages (parmi d’autres éditions) : dialogue entre « le Français » et « le Flamand ».

  2. L’avocat Antoine Bilain mourut en 1671. V. note [3], lettre 883, pour Guy Joly.

  3. Tous ces ouvrages justifiaient la guerre de Dévolution ; v. note [3], lettre 883, pour trois ouvrages échangés sur le même sujet en 1666-1667.

  4. Paris Imprimerie royale (dirigée par Sébastien Cramoisy), 1667, in‑fo de 216 pages, pour l’une des nombreuses éditions ; traduction latine par Jean-Baptiste Duhamel : Reginæ christianissimæ iura in ducatum Brabantiæ, et alios ditionis Hispanicæ principatus (sans lieu ni nom, 1667, in‑4o de 293 pages).

Mémoires de Louis xiv (tome 2, pages 246‑247, année 1667) :

« Mais afin de ne rien oublier qui pût justifier mon procédé, je fis publier un écrit {a} où mes droits étaient établis, et envoyai nouvel ordre en Espagne pour demander les États qui m’appartenaient et pour déclarer que, si on me les refusait, je m’en mettrais en possession moi-même, ou du moins, de quelque chose d’équivalent. La reine régente répondit que le testament du feu roi, son mari, {b} défendant expressément l’aliénation de toutes les terres qu’il avait possédées, elle ne pouvait passer par-dessus cette loi. Mais Castel Rodrigo, {c} qui me voyait de plus près qu’elle, ne témoigna pas tant de fermeté ; car à peine étais-je parti de Saint-Germain, que je reçus de lui une lettre par laquelle, après quelques remontrances assez mal digérées, il me proposait de donner des députés, s’assurant, disait-il, que la reine, sa maîtresse, entrerait dans un raisonnable accommodement. Mais comme il était aisé de voir que la seule crainte de mes armes lui faisait faire cette proposition, je ne fis autre réflexion sur cette lettre que pour y remarquer la frayeur dont celui qui l’écrivait était saisi.

Je me rendis le 19 mai dans Amiens où j’avais résolu de voir faire l’assemblée de mes troupes. Et parce que je savais que les Espagnols manquaient principalement de gens de guerre, je leur voulus donner une égale terreur de tous côtés afin qu’étant obligés de partager dans un grand nombre de garnisons le peu de forces qu’ils avaient, ils demeurassent partout également faibles. »


  1. Le susdit Traité des droits de la reine…

  2. Philippe iv.

  3. Gouverneur des Pays-Bas espagnols.

8.

Seule mention des Wallons dans les lettres de Guy Patin, qui les distinguait ici à juste titre des Flamands proprement dits ; {a} Trévoux :

« On donne ce nom, qui signifie Gaulois, à tous les peuples des Pays-Bas {b} dont le langage naturel est un vieux français : tels sont ceux de l’Artois, du Hainaut, du Namurois, du Luxembourg, et d’une partie de la Flandre et du Brabant. On y comprend quelquefois les Liégeois {c} parce qu’ils parlent aussi un français corrompu. » {d}


  1. V. note [29], lettre 7.

  2. Espagnols.

  3. Le pays de Liège était cependant un des États du Cercle de Westphalie, rattaché à l’Empire : v. note [26], lettre 426.

  4. Il est difficile de ne pas en sourire quand on range aujourd’hui deux Wallons, Maurice Grevisse (1895-1980) et Joseph Hanse (1902-1992), parmi les éminents grammairiens français.

9.

« laudanum chimystique. »

Dans cette sèche oraison funèbre de François Guénault, {a} son plus vieil ennemi au sein de la Faculté de médecine de Paris, Guy Patin attachait au laudanum {b} l’épithète néolatine chymisticum. Il l’a toujours utilisée à des fins péjoratives dans 16 de ses lettres latines, {c} en faisant sans doute une référence malicieuse au titre d’un fameux ouvrage alchimique qu’il devait exécrer :

Chymisticum Artificium Naturæ, Theoricum et Practicum Sumarium versa pagella clarius indicabit : Liber plane Philosophicus, in gratiam omnium veræ Philosophiæ naturalis studiosorum æditus per Gerardum Dorn.

[L’Art chimystique {d} de la Nature, dont la page suivante fournira le sommaire théorique et pratique. {e} Livre que Gerardus Dorn {f} a mis au jour pour le profit de tous ceux qui étudient la véritable Philosophie naturelle]. {g}


  1. V. note [21], lettre 80.

  2. V. note [14], lettre 75.

  3. Mon néologisme chimystique cherche à traduire le néolatinisme chymisticus, nterprété, en y changeant le premier i en y, comme la réunion de chymicus [chimique, chymique en vieux français] et mysticus [mystique ou mystérieux].

  4. Totius Opusculi Summarium {Sommaire de tout l’opuscule].

  5. Ainsi que dans son éloge de Jean Merlet qui est transcrit et traduit dans la note [3], lettre 346 (v. sa 3expo notule {a}).

  6. Gerhard (Gérard) Dorn (Malines vers 1530-Francfort vers 1584), alchimiste germano-flamand, me paraît avoir inventé l’adjectif chymisticus (auquel il donnait un sens glorieux) et a été le premier traducteur des œuvres de Paracelse en latin.

  7. Sans lieu ni nom, 1568, in‑8o de 156 pages.

10.

« ô comme je le souhaite ardemment ! »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 17 mai 1667

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0911

(Consulté le 19/04/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.