L. 916.  >
À André Falconet,
le 15 juillet 1667

Monsieur, [a][1]

Je vous ai mandé la reddition de Douai. [2][3] Le roi [4] viendra dans peu de jours à Compiègne [5] y voir la reine [6] qui est un peu malade. On dit qu’il veut laisser un peu rafraîchir son armée et ensuite, assiéger quelque autre place. [1] Je voudrais que nous tinssions Ostende [7] et Namur, [2][8] ces deux extrémités nous donneraient bientôt le dedans du pays, Anvers, [9] Bruxelles, [10] Cambrai, [11] Lille, [12] Mons, [3][13] Valenciennes [14] et Louvain [15] ne tarderaient guère à venir au pouvoir de la France. Il y a apparence que la Maison d’Autriche est bien abattue. Je souhaite que Dieu donne de bons conseils à notre bon et grand roi, et mittat ei auxilium de Sancto et de Sion tueatur eum[4][16] Quelques-uns disent que la première ville que le roi assiégera sera Cambrai.

Ce 12e de juillet. On chanta le Te Deum [17] à Notre-Dame [18] hier avec grande solennité et les cérémonies accoutumées pour la prise de Douai. Je suis bien aise que l’on imprime l’Hygiène de M. Gontier, [5][19] il vous a bien de l’obligation de lui avoir procuré un libraire, il n’en aurait jamais pu trouver à Paris tant les choses y sont misérables. Le jeune M. D’Aquin [20] n’est pas de notre Faculté, [6] mais il a épousé la nièce de la femme de M. Vallot : [21][22][23]

Si Fortuna volet, fies de rhetore consul,
Si volet hæc eadem, etc.
 [7]

Le roi s’en retourne en Flandres [24] où bien des villes se rendent l’une après l’autre. On parle de quelques troupes que l’empereur [25] doit envoyer, mais cela ne fait peur encore à personne. La paix, dit-on, est faite avec les Anglais et les Hollandais ; [26] si cela est, Ostende et Namur sauteront cette année. [8] Le maréchal de Gramont [27] est parti pour Bayonne [28] et se retire de la cour, de regret qu’il ne peut obtenir du roi le rappel de son fils, comte de La Guiche. [9][29] Les Gantois [30] ont demandé au roi la neutralité, qu’il leur a refusée. M. le Dauphin [31] et le Conseil reviennent à Paris, la reine va sur la frontière. [10] La tranchée est ouverte à Courtrai. [32] Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 15e de juillet 1667.


a.

Bulderen, no cccclv (tome iii, pages 250‑251) ; Reveillé-Parise, no dccliii (tome iii, pages 657‑658).

1.

Assiégée depuis le 29 juin, Douai (v. note [21], lettre 439) s’était rendue le 6 juillet ; Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome ii, pages 511‑513) :

« Le jeudi 7 juillet, nouvelles arrivèrent de la prise de Douai ; que les écoliers et les religieux mêmes avaient pris les armes pour se défendre, et avaient fait fort grand feu, et que le roi y avait perdu du monde ; et l’on nomme beaucoup de personnes de condition, volontaires et officiers, ou morts ou blessés, dont Noisy-Maupeou est bien blessé à la tête. {a} À ce siège, le roi et Monsieur ont été à la tranchée comme des soldats, et l’on dit que Brissac, lieutenant des Gardes du corps, a été blessé à la cuisse d’un coup de fauconneau {b} auprès du roi. Monsieur arriva ce même jour à Saint-Cloud où Madame avait pensé mourir d’une fausse couche. Le roi doit arriver demain à Compiègne où il demeurera pendant quinze jours de repos qu’il donne à son armée. […]

Le Parlement avait le matin {c} délibéré de députer vers le roi pour lui faire des remontrances sur ce qu’il s’expose à la tranchée comme un soldat et le supplier de se conserver […].

Le jeudi 14 juillet, je fus avec M. le premier président à Compiègne, dans son carrosse. […] Nous arrivâmes à Compiègne à huit heures et demie du soir après neuf heures de marche. Le soir, MM. Boucherat {d} et Besnard nous dirent […] que le roi avait été bien aise de la délibération du Parlement et qu’il s’était exposé à Douai si fort que, dans la tranchée, le marquis de Gesvres étant devant lui et M. de Turenne derrière, il était venu deux boulets de canon qui avaient passé l’un devant, l’autre derrière eux. »


  1. Louis de Maupeou (v. note [4], lettre 697).

  2. Canon dont la balle pesait environ une livre et demie.

  3. Du 9 juillet 1667.

  4. V. note [6], lettre 655, pour Louis Boucherat.

Courtrai fut prise le 18 juillet et le roi repartit de Compiègne en Flandre le lendemain.

2.

Namur était alors un comté et une ville des Pays-Bas espagnols (actuelle capitale de la Wallonie), au confluent de la Meuse et de la Sambre. Louis xiv ne s’en empara qu’en 1692 pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg. V. note [21], lettre 526, pour le port d’Ostende.

3.

Mons (Bergen en néerlandais), capitale du Hainaut, à 33 kilomètres au nord-est de Valenciennes, était alors une importante place des Pays-Bas espagnols.

4.

« et du sanctuaire lui envoie le secours, et le protège depuis Sion » (Psaumes, 19:3).

5.

V. note [1], lettre 580, pour la publication de cet ouvrage de Pierre Gontier, médecin de Roanne, attendue depuis neuf ans.

6.

Antoine D’Aquin avait reçu le bonnet de docteur en médecine à Montpellier le 18 mai 1648.

7.

« Si la Fortune le veut, de rhéteur tu deviendras consul, et si elle le veut encore, etc. » (Juvénal, Satire vii, vers 197‑198) ; la fin du second vers est fies de rhetore consul [d’un consul sortira un rhéteur].

8.

La paix de Breda (v. note [3], lettre 909) allait être signée le 31 juillet entre la France, l’Angleterre, les Provinces-Unies et le Danemark. Guy Patin pensait qu’allégés de cette guerre, les alliés franco-hollandais allaient pouvoir faire ensemble de belles conquêtes dans le Brabant espagnol, sans trop avoir à redouter une intervention impériale des Habsbourg d’Autriche en faveur de ceux d’Espagne.

9.

Guy-Armand de Gramont comte de Guiche, fils du maréchal, n’en avait pas fini avec les déboires que lui valait la « lettre espagnole » de son ami de Vardes (v. note [10], lettre 816). Envoyé en exil, il allait recevoir le pardon royal sous condition de rendre sa charge de colonel des gardes françaises. Rentré en France en 1671, il se signala par son extrême bravoure au passage du Rhin (22 juin 1672), mais la suite de la campagne fut moins heureuse pour lui : il mourut l’année suivante, du chagrin que lui causa une bataille perdue.

10.

Les Gantois sont les habitants de Gant, capitale de la Flandre espagnole (v. note [3], lettre 111). Accompagné de la reine, le roi se rendit à Arras le 22 juillet, puis à Douai le 23, et à Tournai le 26 (Levantal).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 15 juillet 1667

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(Consulté le 25/04/2024)

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