L. 917.  >
À André Falconet,
le 19 juillet 1667

Monsieur, [a][1]

M. le premier président [2] est de retour de Compiègne [3] où il était allé saluer le roi [4] avec quelques députés de ce Corps, pour se réjouir avec lui de ses victoires et le prier de ne plus hasarder sa personne comme il a fait ci-devant en diverses occasions en Flandres. [5][6] Courtrai [7] est rendue, on dit que les Espagnols y avaient voulu envoyer du secours, mais il a été repoussé par nos gens qui en ont mis 1 500 en déroute. Une autre nouvelle porte que Marsin [8] y a attaqué nos gens et que nous y avons perdu quelques hommes. [1] On dit que le roi est venu à Saint-Cloud [9] dire adieu à Mme la duchesse d’Orléans [10] et qu’il s’en retourne bientôt à Arras, [11] où il emmènera la reine [12] pour lui faire par après son entrée dans Douai [13] et dans Tournai. [2]

Le rhume [14] a ici tué depuis peu quelques honnêtes gens, tels sont M. de Bauquemare, [15] président en la seconde des Enquêtes, M. Sanson le géographe, [16] M. de Brosses-Guénégaud, [17] maître des requêtes, M. Doublet l’aîné, [18] jadis partisan, et autres. [3] On dit que le roi a pardonné au comte de La Guiche, [19] j’en suis bien aise, [4] et que l’on va faire partir des troupes pour faire la guerre en Catalogne. [20] Nous avons ici une espèce de fièvre continue, [21] maligne et mortelle, qui emporte nos malades en sept ou huit jours, habet suam υπαρξιν in corruptela substantiæ pulmonis[5] et tous leurs crachats sunt omenta purulenta, tabum et necrosim redolent. [6] On a fait commandement de faire aujourd’hui dans tous les quartiers de la ville des feux de joie pour la création du pape. [7][22] On dit qu’il est ennemi des jansénistes, [23] je crois pourtant qu’il ne nous fera pas grand mal. [8][24] On me vient de dire que le roi a fait assiéger Lille [25] en Flandre. [9] Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris ce 19e de juillet 1667.


a.

Bulderen, no dxxiv (tome iii, pages 390‑391) ; Reveillé-Parise, no dcccxv (tome iii, pages 756‑757). Dans les deux éditions, cette lettre est datée du 19 juillet 1670, mais son contenu correspond à des événements survenus en juillet 1667.

1.

La guerre de Dévolution allait mettre un terme à la longue carrière militaire de Marsin (v. note [16], lettre 216), qui fut défait par le maréchal de Créqui.

2.

Mlle de Montpensier (Mémoires, seconde partie, chapitre viii, pages 51‑52)

« L’ambassadeur d’Espagne, qui était lors le marquis de Fuentes, {a} était fort fâché de voir que la guerre s’acheminait. {b} Il disait toujours que l’on ne l’aurait point. Quand il vit Tournai attaqué et pris {c} en peu de temps, il fut au désespoir. […] Le roi attaqua ensuite Douai, {d} qu’il prit de même en deux ou trois jours ; {e} puis il vint à Compiègne. J’étais logée dans son appartement ; il ne voulut pas que j’en délogeasse pour si peu de temps, il prit seulement l’antichambre. […] Le roi fut à Saint-Cloud {f} voir Madame, qui avait pensé mourir d’une fausse couche. »


  1. De la Fuente (v. note [7], lettre 766).

  2. S’avançait.

  3. Le 26 juin.

  4. Le 2 juillet.

  5. Douai s’était rendue aux Français le 6 juillet.

  6. 16-17 juillet.

De retour en Flandre le 22 juillet, le roi et la reine firent leur entrée dans Douai le lendemain, au milieu des acclamations et des réjouissances, puis dans Tournai le 26 juillet (Levantal).

3.

Charles de Bauquemare, d’abord conseiller au parlement de Rouen, avait été reçu conseiller au Parlement de Paris en 1622, puis président en la deuxième Chambre des requêtes du Palais en 1648 ; il ne mourut, dit Popoff (no 533) qu’en 1671. Nicolas Sanson (v. note [15], lettre 342) était mort à Paris le 7 juillet.

Jean-François de Guénégaud, seigneur des Brosses, avait été reçu maître en la Chambre des comptes (et non des requêtes) en 1637 et mourut en juillet 1667 (Popoff, no 1364).

Louis Doublet, frère aîné du financier Nicolas Doublet, avait été commis du trésorier de l’Épargne Claude Guénégaud avant de devenir trésorier général de Monsieur (Dessert a, no 160).

Un banal rhume (v. note [27], lettre 99) a longtemps eu la réputation de pouvoir « tomber sur la poitrine » et mettre alors le malade en danger ; ces atteintes correspondent à des pneumonies succédant à une infection des voies aériennes supérieures.

4.

V. note [9], lettre 916.

5.

« elle trouve sa source [uparksis] dans une corruption de la substance pulmonaire ».

6.

« sont des membranes purulentes, ils exhalent la consomption et la pourriture ». Toutes ces manifestations évoquent une pneumonie épidémique, mais la grippe (influenza) n’était pas de saison.

7.

Le pape Alexandre vii était mort le 22 mai 1667. Jules Rospigliosi (Pistoia 1600-Rome 9 décembre 1669) avait été élu le 20 juin et intronisé le 27 sous le nom de Clément ix. Il avait été un collaborateur intime d’Urbain viii (pape de 1623 à 1644), qui appartenait à la famille Barberini. Médiateur entre Louis xiv et l’Espagne, Clément ix contribua à la conclusion (2 mai 1668) du traité d’Aix-la-Chapelle qui mit fin à la guerre de Dévolution. Surtout, il réconcilia les évêques de France divisés par la signature du Formulaire {a} et par les doctrines jansénistes, et installa dans l’Église une paix {b} qui fut malheureusement de courte durée La prise de Candie par les Turcs {c} hâta, dit-on, sa mort par le chagrin qu’elle lui causa.


  1. V. notes [9], lettre 733, [1], lettre 821, et [1], lettre 945.

  2. Dite clémentine, v. note [1], lettre 945.

  3. Le 27 septembre 1669, v. notes [1] et [3], lettre 968.

8.

Ce « nous » de Guy Patin peut faire penser qu’il épousait la cause janséniste, mais incite à la circonspection car il figure dans une lettre imprimée dont le manuscrit a disparu.

Patin a volontiers marqué de la compassion pour ceux de Port-Royal, et même de l’amitié (v. note [16], lettre latine 224), mais sans jamais dire ouvertement qu’il se considérait comme l’un des leurs. Patin janséniste ? Ses commentateurs se sont peu hasardés sur ce sentier-là. Son gallicanisme, son opposition acharnée à Rome, aux moines et aux jésuites, et même ses penchants calvinistes le rapprochaient pourtant plus du jansénisme que de toute autre forme du catholicisme (dévots, jésuites). Dans ses lettres, il n’a jamais médit de Port-Royal. Il ne semble pas extravagant de dire que Patin était janséniste de cœur, sinon d’âme, à mille lieues en tout cas de l’idée qu’il fût jamais un libertin athée (v. note [38], lettre 477).

Quoi qu’il en fût, le jansénisme n’était certainement pas étranger à la famille Patin. Dans une lettre datée de Strasbourg le 5 mars 1671, Charles Patin, alors en exil, faisait cette confidence à son ami Jacob Spon (Moreau, lettre 36) :

« Ma grande fille {a} est au monastère de Port-Royal-des-Champs, n’en parlez à personne, faites comme si vous n’en saviez rien ; […] ainsi je n’en suis pas en colère, je voudrais que Brion y fût pour six mois, car elle est obstinée du reste et elle s’en corrigerait là. »


  1. Gabrielle-Charlotte, surnommée Brion, était alors âgée de sept ou huit ans (v. note [165] des Déboires de Carolus). Sa sœur cadette, Charlotte-Catherine, la rejoignit un peu plus tard à Port-Royal. Elles en furent toutes deux expulsées, avec toutes leurs camarades, en 1679, et retrouvèrent leurs parents à Turin.

Tout cela a valu à Guy Patin et à ses deux petites-filles leurs entrées dans le Dictionnaire de Port-Royal.

9.

Lille fut assiégée le 9 août et prise le 26.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 19 juillet 1667

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(Consulté le 28/03/2024)

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