L. 918.  >
À André Falconet,
le 29 juillet 1667

Monsieur, [a][1]

Ce 26e de juillet. On chante aujourd’hui le Te Deum [2] à Notre-Dame [3] pour la prise de Courtrai. [1][4] L’armée du roi marche avec de la provision pour huit jours, ce qui fait soupçonner un grand dessein. M. le chancelier [5] et le Conseil retournent à Compiègne [6] parce que M. le Dauphin [7] y est et qu’il ne peut être sûrement ramené ni à Paris, ni à Saint-Germain, [8] ni au Bois de Vincennes, [9] parce qu’il y a de la petite vérole. [2][10][11] Les Anglais ont fait leur paix avec nous et les Hollandais, elle est signée et ratifiée, [12] ils y ont été obligés par le mauvais état de leurs affaires, mais pourtant elle n’est point encore publiée.

On a publié par toutes les paroisses un monitoire [13] très important, lequel contient plusieurs chefs d’accusations contre une certaine quidame, [3] etc. C’est un monitoire hardi, violent, médisant et diffamatoire, c’est une pièce dangereuse et diffamante pour les horribles choses qu’elle contient. On l’explique ici de Mme de Fouquerolles, [14] nièce de M. le président de Mesmes, [15] fille et sœur de MM. d’Herbigny, [16][17][18] maîtres des requêtes. Elle faisait ici la dévote et la trésorière des pauvres, elle a emprunté plus de 700 000 livres à plusieurs particuliers et après, elle a fait un trou à la nuit [4] et s’en est allée, ou s’est si bien cachée que l’on ne sait où elle est aujourd’hui. [19] On lit ce monitoire à toutes les portes des églises et dès que l’on en a arraché un, on y en met un autre ; adeo verum illud Dominici Baudii : Populus, lex, grex, mundus omnis facit histrioniam[5][20] Je vous baise les mains et suis de toute mon âme votre, etc.

De Paris, ce 29e de juillet 1667.


a.

Bulderen, no cccclvi (tome iii, pages 251‑253) ; Reveillé-Parise, no dccliv (tome iii, pages 658‑659).

1.

Courtrai (v. note [42], lettre 156) avait été prise le 19 juillet après un siège de quelques jours, sous le commandement du maréchal d’Aumont.

2.

Le diagnostic de Guy Patin (ou de ses transcripteurs) ne s’accordait guère avec celui de Mlle de Montpensier (Mémoires, seconde partie, chapitre viii, page 51) et de la cour :

« On eut nouvelle que M. le Dauphin se trouvait un peu mal, puis qu’il avait la rougeole. En arrivant à Compiègne, comme je ne lui étais point nécessaire, je n’entrai pas dans sa chambre ; mais j’allais dans celle de la reine. Nous le trouvâmes quasi guéri ; son mal avait été très léger, dont je fus fort aise, l’aimant fort. La reine fut malade ; elle eut crainte d’avoir la rougeole, mais ce ne fut rien. »

Maladie redoutable, une petite vérole (variole) {a} n’aurait pas échappé au diagnostic des médecins ni guéri aussi simplement. Une varicelle est beaucoup plus probable, mais il s’agit d’un anachronisme nosologique {b} méritant explication. La première partie (pages 1‑34) de La Vérolette ou petite vérole volante. En deux parties. Par  M** (Paris, L. Ch. d’Houry, 1759, in‑8o de 67 pages) contient une étude historique détaillée sur cette maladie. Son auteur {c} y avance qu’elle a été clairement caractérisée pour la première fois en Italie au xvie s. par Guy Vide. {d} Le premier Français à en écrire semble avoir été Lazare Rivière (chapitre iii, pages 7‑9) :

« En consultant les écrivains français sur les maladies éruptives, nous ne trouvons aucune trace de ces pustules cristallines dans Fernel, Houllier, Duret, Baillou : preuve incontestable que cette maladie ne s’était point encore montrée à ces génies de l’observation. Nous allons voir sous quel aspect elle a commencé à paraître en France, du temps du fameux Rivière, sous le nom de vérolette.

Rivière. {e}

“ Il y a un troisième genre de pustules particulkières aux enfants, et qui ressemblent à celles de la petite vérole pour la grosseur et la figure. Mais on les distingue en ce que les pustules de la petite vérole, dans leur éruption, sont accompagnées de rougeur et d’uinflammation, tandis que les autres sont blanches et semblent des vésicules remplies de sérosité. Elles se crèvent et se desséchent en trois jours. Elles n’apportent point de danger pour l’ordinaire, et elles paraissent souvent sans fièvre. les femmes de cette province {f} appellent ce genre de pustules la vérolette, et les Italiens, ravaglione. ”

Rivière avance gratuitement et au contraire de l’observation que les pustules de la vérolette ne sont point marquées de rouge dans le premier instant de leur éruption. » {g}


  1. V. note [4], lettre 81.

  2. Le français a adopté le mot varicelle en 1764, comme diminutif irrégulier de variole (Littré DLF).

  3. Jean-Baptiste Hatté, natif d’Arras (1727-1762), docteur régent de la Faculté de médecine de Paris ({BnF Data).

  4. Vidus Vidius (mort en 1569, v. note [12], lettre latine 194), Artis Medicinalis Tomus Secundus [Deuxième tome de l’Art médical] (Venise, Junte, 1611, in‑fo), livre xiii de la seconde partie De Curatione Generatim [Du Traitement en général], chapitre vi (pages 491), De variolis et morbillis [Variole et rougeole] :

    Sunt qui præter duas species, quam commemoravimus, crystallos adjiciant, sic enim appellant quasdam veluti vesiculas plenas aquæ instar crystalli splendentes, quibus cutis variis locis distinguitur : has nunc vulgo nominant ravaglione. In quas non ita incurrunt omnes homines sicut in variolas et morbillos neque sub ipsis ita graviter affliguntur, quamobrem non videntur tanquam tertia species morbillis et variolis hæ pustulæ adjiciendæ, sed satis est si ad phlyctænas referantur, quas paulo ante persecuti sumus.

    [Aux deux types que nous venons de décrire, certains ajoutent les < varioles > cristallines : ainsi appellent-ils une sorte de vésicules semblant pleines d’eau, brillantes comme le cristal, dont la peau est parsemée en divers points ; on les appelle vulgairement ravaglioni. Elle ne sont pas aussi fréquentes chez les humains que la variole et la rougeole, et ne présentent pas la même gravité : ces pustules ne doivent dont pas être comptées comme une troisième espèce de ces maladies ; il est bien suffisant de les classer avec les phlyctènes, dont nous avons parlé un peu plus haut].

  5. Auteur d’une Praxis Medica [Pratique médicale] (Paris, 1640), qui a connu un très grand succès (v. note [5], lettre 49).

    Le passage cité est emprunté à sa traduction française (Lyon, 1723) : La Pratique de médecine, tome 2, livre xvii, chapitre ii, De la petite vérole, et rougeole, pages 889‑890.

  6. Le Languedoc.

  7. Il ne manque à la description de Rivière que le prurit, signe caractéristique de la varicelle. Elle est due à un virus herpétique nommé virus de la varicelle et du zona (VZV, Varicella Zoster Virus), parce qu’il provoque les deux maladies : le zona (v. note [8], lettre de François Teveneau, datée du 25 février 1657) est une résurgence tardive de la varicelle (fait qui a été établi en 1888), et ne peut exister sans cette infection préalable.

    La nouveauté de la maladie, défendue par Hatté est fort douteuse et sans doute liée aux méandres du vocabulaire médical ancien, car : le zona pourrait avoir été décrit par Hippocrate, sous le nom d’herpès (v. note [8] de la Consultation 19) ; il figure, parmi les érysipèles, dans Avicenne, sous le nom de formica miliaris [herpès miliaire] (erreur 47 dénoncée par Leonhard Fuchs en 1530, v. note [6], lettre latine 61).


3.

Quidam, quidame (Furetière) :

« se dit seulement dans les monitoires, {a} à cause qu’il est défendu d’y marquer les noms, quoiqu’on les sache. Tous ceux qui sauront que certains quidams ou quidames ont fait telle chose sont avertis d’en venir à révélation. »


  1. V. note [17], lettre 398.

4.

Elle s’est enfuie (v. note [11], lettre 716). Mme de Fouquerolles (v. note [4], lettre 898) était née Marie Lambert. Elle était la plus jeune sœur de Henri Lambert (1623-1700), seigneur d’Herbigny, marquis de Thibouville, qui avait été reçu conseiller au Parlement en 1650, puis maître des requêtes en 1660, surintendant et chef du Conseil de Mademoiselle, intendant à Moulin et à Bourges en 1666 et 1667. Leur père, François Lambert, sieur d’Herbigny, avait aussi été maître des requêtes de 1621 à 1628, puis avait été fait conseiller d’État (Popoff, no 1515).

5.

« d’où la profonde vérité de ce qu’a dit Dominicus Baudius : “ Peuple, loi, roi, troupeau, le monde entier joue la comédie ” » (v. notule {e}, note [37] du Patiniana I‑3).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 29 juillet 1667

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(Consulté le 20/04/2024)

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