< Ce 9e de septembre. > On parle ici d’une grande ligue faite entre les Français, Anglais et Portugais. Les Hollandais doivent aussi être de la partie, mais ils ne parlent pas encore bon français, il y a encore quelque chose qui les retient du côté de l’Espagne ; mais n’est-ce pas aussi quelque intérêt qui les touche par notre voisinage de Flandre ? [2] Il y a un vieux proverbe dans Aventin [3] qui dit qu’il faut avoir le Français pour ami, et non pas pour voisin. [1][4] On dit que le pape [5] se fait fort aimer à Rome en ôtant des impôts que son prédécesseur [6] avait mis sur la gabelle. [2][7] Plût à Dieu que nous puissions bientôt voir ici la même chose de tant d’impôts que nos deux bonnets rouges ont par ci-devant mis sur nos denrées. [3][8] M. le premier président [9] a marié sa fille aînée, [10][11] comme vous savez, à M. le comte de Broglio, [12] jeune seigneur de 23 ans. [4] J’ai aujourd’hui appris que sa seconde fille [13][14] est accordée à M. le procureur général, [15] dont le bisaïeul était un très illustre personnage, M. Achille de Harlay, [5][16] premier président au Parlement sous Henri iii [17] et qui fut le premier gendre de Christophe de Thou, [18][19] père de Jacques-Auguste de Thou [20] qui fut président au mortier et qui nous a laissé sa belle Histoire. Ce M. le président de Thou, qui mourut l’an 1617, a été père de François-Auguste de Thou [21] qui eut la tête tranchée à Lyon l’an 1642, et père aussi de M. le président de Thou d’aujourd’hui [22] et de Mme de Pontac, [23] femme de M. le premier président de Bordeaux. [6][24]
Ce 14e de septembre. On fit hier de grandes réjouissances dans toute la ville pour la publication de la paix d’Angleterre. [7][25] Le chancelier [26] de ce pays-là est accusé de plusieurs fautes, comme d’avoir été cause de ce que les Hollandais ont fait sur la Tamise il y a environ deux mois, d’avoir durant son autorité confirmé plusieurs ventes que Cromwell [27] avait autrefois faites et d’en avoir pris de l’argent, d’avoir fait vendre Dunkerque. [8][28] Le roi [29] a fait régler l’affaire des contributions pour la Flandre [30] et en a donné l’intendance à quatre grands seigneurs, savoir MM. de Duras, [31] du Passage, [32] de Bellefonds, [33] et de Grandpré. [9][34] Le roi a donné huit jours de vacances à Messieurs du Conseil, Colbert, [35] Le Tellier [36] et de Lionne. [37] Lui-même voulait aller à Villers-Cotterêts [38] en Picardie y passer quelques jours avec Monsieur [39] et Mme la duchesse d’Orléans, [40] mais il n’ira point à cause de quelque petit démêlé inter utramque Iunonem. [10][41][42][43]
L’empereur [44] lève des troupes en Allemagne pour envoyer hiverner en Flandres, mais on prendra encore quelque bonne ville avant qu’elles soient arrivées. Ce pourra bien être Valenciennes, [45] ou même Cambrai ; [46] d’autres disent Aire, [47] qui empêche le commerce de Saint-Omer. [48] On envoie des troupes en Catalogne [49] pour y faire une armée de 10 000 hommes afin d’empêcher les Espagnols de nous pouvoir nuire de ce côté-là. L’Abrégé de l’histoire de France in‑4o en trois volumes de M. de Mézeray [50] est en état d’être achevé bientôt. [11] Il n’y a plus que deux feuilles qui avaient été laissées et réservées pour quelque raison particulière. Il a fini en l’an 1610 à la mort de Henri iv et n’a pas osé entrer dans le tempétueux règne de Louis xiii. [51] Je crois qu’il a suivi le conseil d’Ovide [52] au premier livre des Fastes :
His dictis, postquam nostros pervenit ad annos,
Substitit in medio præscia lingua sono. [12]
Je vous baise très humblement les mains et suis de toute mon âme votre, etc.
De Paris, ce 16e de septembre 1667.
De Paris, ce 9e de septembre 1667.
1. |
Francum amicum habeas, vicinum ne habeas, en latin : v. note [3], lettre 970. Aventin est le nom français de Iohannes Aventinus (Abensberg, Basse-Bavière 1477-Regensburg 1543). Né Johann Georg Turmair, il était fils d’un cabaretier et devint précepteur des fils du duc de Bavière, Ludwig et Ernst. Ce fut par ordre de ces princes qu’il composa son ouvrage le plus célèbre, la Bayrischer Chronicon [Chronique de Bavière] (1522), qui a été traduite en latin (Annales Boiorum, 1554, v. la note [3] susdite). |
2. |
À propos des gabelles imposées par le prédécesseur de Clément ix, l’historien protestant italien Gregorio Leti, {a} a comparé les prévarications de donna Olimpia Maidalchini, née Pamphili, {b} sous le pontificat de son beau-frère, Innocent x, à celles de don Mario Chigi {c} sous celui de son frère, Alexandre vii :
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3. |
Les deux bonnets rouges étaient les défunts cardinaux ministres, Richelieu puis Mazarin. |
4. |
Le comte de Broglio, Victor-Maurice de Broglie (1644-1727), fils de François-Marie (v. note [25], lettre 290), avait épousé le 29 août 1666 Marie de Lamoignon de Bâville (1645-1733), fille de Guillaume, le premier président du Parlement de Paris. Broglio fit avec distinction les campagnes de Flandre (1667) puis de Franche-Comté (1668), suivit le roi à la conquête de Hollande (1672), servit tour à tour sous Condé, Turenne et le maréchal de Créqui, se couvrit de gloire à Senef (1674), reçut le gouvernement du Languedoc et réprima cruellement les mouvements des protestants dans les Cévennes. Il fut créé maréchal de France en 1724 (G.D.U. xixe s.). |
5. |
La seconde fille du premier président, Magdelaine de Lamoignon (1649-8 octobre 1671), demoiselle de Boissy, allait épouser le 12 septembre 1667 le procureur général Achille iii de Harlay (v. note [5], lettre 915), fils d’Achille ii et arrière-petit-fils d’Achille i (v. note [19], lettre 469). Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome ii, page 520) :
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6. |
Christophe de Thou (vers 1508-1582), père de Jacques-Auguste i, le magistrat historien, avait été reçu premier président au Parlement de Paris en 1562. Il avait marié sa fille Catherine à Achille i de Harlay le 30 mai 1558 (Popoff, no 106). De son mariage avec Gasparde de La Châtre, Jacques-Auguste i eut six enfants. Guy Patin parlait ici de trois d’entre eux : l’aîné, François-Auguste (v. note [12], lettre 65), décapité à Lyon en 1642 pour avoir participé à la conspiration de Cinq-Mars ; Jacques-Auguste ii (v. note [36], lettre 294), alors président au mortier ; Louise (v. note [11], lettre 77), épouse d’Arnaud de Pontac, président au parlement de Bordeaux. Ce paragraphe termine la première des deux lettres que j’ai soudées. |
7. |
La paix entre la France, l’Angleterre, les Pays-Bas et le Danemark avait été signée à Breda, le 31 juillet (v. note [3], lettre 909). Son article le plus célèbre est resté la cession aux Anglais de Nieuw Amsterdam, la future ville de New York. La guerre de Dévolution continuait entre l’Espagne et la France. |
8. |
L’étoile du Chancelier Edward Hyde (1609-Rouen 1677), comte de Clarendon, pâlissait en effet à vue d’œil. Il s’était rangé du côté du roi Charles ier durant la révolution et avait été l’un des principaux conseillers de son fils, Charles ii, durant l’exil et la restauration. Lord chancellor dès 1658, il avait marié sa fille Ann (v. note [2], lettre 647) au duc d’York, frère du roi et son futur successeur sous le nom de Jacques (James) ii. Outre les indélicatesses citées par Guy Patin, on lui reprochait les infortunes de la seconde guerre anglo-hollandaise dont le dernier combat avait été la plus grande défaite navale jamais endurée par la marine britannique (raid sur la Medway ou Four days battle, 11‑14 juin, v. note [1], lettre 871). Mis en accusation par la Chambre des Communes, Clarendon dut s’exiler en France en novembre 1667. Il consacra principalement le reste de sa vie à terminer son History of the Rebellion and Civil Wars in England bebun in the year 1641 [Histoire de la révolution et des guerres civiles d’Angleterre commencée en 1641] qui parut pour la première fois à Oxford de 1702 à 1704. Louis xiv a parlé de Hyde dans son commentaire sur l’état des affaires européennes après la paix de Breda et la défaite navale des Anglais face aux Hollandais (Mémoires, tome 2, pages 265‑267, année 1667) :
Samuel Pepys a relaté dans son Journal, en date du 2 septembre, 12 septembre nouveau style, 1667, une conversation sur le sujet avec sir William Coventry, où ce puissant ministre lui révélait avoir soufflé le renvoi du Chancelier Hyde à l’oreille du duc d’York :
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9. |
Mémoires de Louis xiv (tome 2, pages 272‑273, année 1667), sur les positions de ses armées après de sa brillante campagne de Flandres :
Il y a discordance entre Louis xiv et Guy Patin, qui nommait Charles-François de Joyeuse, comte de Grandpré (v. note [26], lettre 216) sans citer Louis de Crevant, marquis d’Humières (v. note [9], lettre 909). Aymard de Poisieux, marquis Du Passage, avait reçu le gouvernement de Condé en 1655 (Levantal). |
10. |
« entre les deux Junon », Mlle de La Vallière et Mme de Montespan (v. note [3], lettre 286, pour Junon), la seconde étant en train de prendre la place de la première dans les faveurs royales (Mlle de Montpensier, Mémoires, seconde partie, chapitre viii, page 51‑52) :
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11. |
V. note [11], lettre 776, pour cet Abrégé de François Eudes de Mézeray (Paris, 1667). |
12. |
« Ayant dit ces choses, elle en vint aux choses de notre temps et sa prophétie s’arrêta au milieu du récit » (v. note [39], lettre 183). |
a. |
Soudure de deux lettres à André Falconet :
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