Je suis bien aise d’apprendre qu’on achève l’édition de la Physiologie et Pathologie de Gaspard Hofmann [2][3] chez M. Anisson, [4] car j’ai encore de lui deux autres manuscrits très bons qui pourront quelque jour paraître, quand j’aurai été assez heureux de trouver quelque libraire qui en voudra entreprendre l’impression. [1] Dans peu de temps, le roi, [5] la reine [6] et M. le Dauphin [7] iront à Saint-Germain [8] d’où, après quelques jours, ils partiront pour aller plus loin et ne reviendront que longtemps après. On dit qu’ils iront vers la Lorraine, [9] et qu’on a arrêté tous les grands bateaux qui sont sur la rivière pour y envoyer du canon et que cela menace la Franche-Comté. [2][10] On dit aussi que l’électeur de Brandebourg [11] donne au roi 12 000 hommes. [12]
Ce 16e de janvier. On dit des mauvaises nouvelles de Candie, [13] et qu’enfin les chrétiens la perdront puisque les Turcs s’y obstinent si fort et que les Vénitiens ne la peuvent conserver. L’Europe est aujourd’hui presque en pareil état qu’elle fut l’an 1453 lorsque Mahomet [14] prit Constantinople. [15] O dolor ! [3]
Comme le roi va bientôt sortir de Paris, il a mandé à Messieurs du Parlement qu’ils vinssent le trouver au Louvre pour recevoir ses ordres avant que de partir ; ce sera pour demain à deux heures. On a soupçon de la fidélité du duc de Lorraine, [16] et on craint qu’il n’ait traité de nouveau avec la Maison d’Autriche, et c’est ce qui fait aller le roi de ce côté-là. [4] Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.
De Paris ce 17e de janvier 1668.
1. |
Parution que Guy Patin espérait avec acharnement {a} des : Caspari Hofmanni Philos. ac Medici, nec non in Academia Altorfina Medicinæ quondam Profess. Publ. Præstantiss. Apologiæ pro Galeno, sive Χρησθομαθειων, libri tres. Le privilège est daté du 19 septembre 1667, et le Desiit prælum huius editionis [achevé d’imprimer], du 3 janvier 1668. La courte épître dédicatoire en latin n’offre guère d’autre intérêt que d’être signée par Patin et adressée à Guillaume de Lamoignon, illustrissimo Galliarum Senatus Principi [très illustre premier président du Parlement des Français]. Suit un poème de Car. Sponius, Doct. Med. Collegio Lugdun. Aggregatus [Charles Spon, docteur en médecine, agrégé au Collège des médecins de Lyon] :
La préface (Præfatio generalis) de Hofmann est datée d’Altdorf en 1635. Les deux derniers des trois livres sont divisés en sections ; leurs titres traduisent la relative incohérence de l’ouvrage :
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2. |
Territoire espagnol, la Franche-Comté (v. note [6], lettre 29) fut du 2 janvier au 19 février 1668 la proie d’une conquête éclair par les troupes royales que menaient le Grand Condé du côté de Besançon et Louis xiv en personne du côté de Dole. Le roi quitta Paris le 2 février. Il a lui-même relaté tout le soin qu’il mit à organiser cette dernière campagne de la guerre de Dévolution (Mémoires de Louis xiv, tome 2, pages 328‑329, année 1668) :
Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome ii, pages 542‑543, année 1668) :
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3. |
« Quelle pitié ! » Nouvelle Rome et capitale de l’Empire byzantin, Constantinople (v. note [5], lettre 578), déjà éprouvée par la peste de 1076, ne retrouva jamais, même avec le retour des Grecs dans la ville (1261), la prospérité économique et le dynamisme démographique qu’elle avait connus avant 1204. Elle n’était plus au début du xve s. qu’une ville dépeuplée (40 000 à 50 000 habitants) aux quartiers partiellement abandonnés, dans le cadre d’un Empire qui rétrécissait comme peau de chagrin. Elle ne pouvait compter pour se défendre que sur une armée réduite à quelques milliers d’hommes, et sur l’appui financier des membres des colonies italiennes qui avaient accaparé la totalité de son commerce et dont les rivalités étaient souvent cause de troubles au sein de la cité. Elle était en outre déchirée religieusement par la proclamation à Sainte-Sophie, le 12 décembre 1452, de la réunion des Églises de Rome et de Constantinople, proclamée à Florence en 1439. Les Ottomans, qui n’avaient pu s’emparer de la ville lors du siège dirigé par Murad en 1422, tentèrent alors un assaut décisif : Mehmed ii dit le Conquérant, Fatih, fils de Murad né en 1432, sultan de 1444 à 1446, puis de 1541 à sa mort en 1481, assiégea la ville à la tête de 200 000 hommes (dont 60 000 combattants) ; Constantin xii Dragasès ne put leur opposer que 6 000 ou 7 000 soldats, mais il résista pendant plus de deux mois, jusqu’à sa mort lors du dernier assaut turc (29 mai 1453). La prise de Constantinople consacra l’effondrement définitif de l’Empire byzantin, qui représentait le dernier reste de l’Empire romain fondé en l’an 27 avant la naissance du Christ (G.D.E.L.). Elle est à tenir pour l’un des événements fondateurs de la Renaissance (ou rétablissement) qui eut lieu en Europe occidentale (v. note [49] du Naudæana 2). Chute de l’Empire romain d’Orient, découverte de l’Amérique et invention de l’imprimerie ont fait de la seconde moitié du xve s. une période d’immenses renversements qui ont changé la face du Monde.Entamée en 1645, la guerre de Candie (Crète) opposait alors les Vénitiens aux Turcs (v. note [15], lettre 45). L’emprise progressive des Ottomans allait aboutir à leur victoire finale, malgré le secours d’un corps expéditionnaire français, le 27 septembre 1669 (v. notes [1] et [3], lettre 968). |
4. |
Cette alliance n’eut pas lieu. Bien au contraire, le 19 janvier 1668, un traité secret fut signé à Vienne entre Jacques Bretel, commandeur de Grémonville, agent diplomatique de Louis xiv, et l’empereur Léopold ier. Il réglait le partage de la succession d’Espagne : en cas de décès de son jeune roi Charles ii, les Pays-Bas, la Sicile et Naples reviendraient à la Couronne de France, et l’empereur aurait l’Espagne, les Indes et Milan. Ce traité permit une conclusion rapide de la guerre de Dévolution (traité d’Aix-la-Chapelle, 5 mai 1668), mais n’eut jamais d’application pratique car Charles ii survécut (J. Bérenger, Dictionnaire du Grand Siècle). |
a. |
Bulderen, no cccclxix (tome iii, pages 273‑274) ; Reveillé-Parise, no dcclxv (tome iii, pages 672‑673). |