L. 935.  >
À Charles Spon,
le 17 juillet 1668

Monsieur, [a][1]

Je vous remercie de la vôtre du 6e de ce mois. J’attendrai patiemment le livre de M. Bonet [2] et après l’avoir vu, je l’en remercierai. [1] Le livre des éloges de feu M. Moreau, [3] illustrium medic. Paris., n’a jamais été fait, nec unquam videbitur[2] Le fils de M. Moreau [4] a bien aujourd’hui d’autres affaires, il a ses malades, il a l’Hôtel-Dieu, [5] il a ses leçons publiques, etc. qui l’empêchent d’avoir du temps de reste. M. Le Vasseur, [6] notre collègue, n’a rien fait imprimer. C’est un autre médecin ainsi nommé, qui a par ci-devant étudié à Leyde, [7] dont j’ai autrefois connu le père qui avait jadis été secrétaire de M. le maréchal de Bouillon, [8] père de M. de Turenne. Je vous en enverrai deux exemplaires, pour vous et pour M. Falconet. Ce M. Le Vasseur [9] demeure à Paris, est de la petite paroisse et ne se soucie guère de voir des malades. [3] L’on m’a dit qu’il avait refusé d’être professeur à Leyde à la place de feu M. Vander Linden. [10] On ne parle ici que du beau banquet / carrousel [4][11] qui est préparé pour Versailles, [12] qui me semblerait bien plus raisonnable et plus beau si les soldats qui ont été congédiés avaient reçu quelque douceur ad repetendum solum patrium[5] On parle aussi de quelques nouveaux cardinaux et maréchaux de France, et même d’un gouverneur pour M. le Dauphin. [13] Une impudente femme, outrée de quelque forte passion, a passé les bornes de la modestie et sur ce qu’elle n’avait pas eu réponse favorable d’un placet qu’elle avait présenté, s’est laissé emporter à un excès de paroles et d’injures ; pour quel crime, elle a été condamnée au fouet [14] et aux Petites-Maisons, [15] ce qui a été exécuté. [6][16] Il y a ici alentour une troupe de voleurs qui ont volé à quantité d’églises, et des faubourgs et de la ville. Aujourd’hui au matin trois ont été attrapés, saisis de leur vol, qui pourront servir à découvrir les uns et à retenir les autres. Ils ont été pris dans le faubourg Saint-Antoine [17] avec des ciboires et des calices d’argent. Voilà de la pratique pour M. le lieutenant criminel. [18] Je vous prie de m’apprendre quid sit ille liber Lugduni nuper excusus[7] d’un médecin italien, Febrilogia, in‑fo[19] On a mis dans la Bastille [20] un prêtre que l’on dit être sorcier, ad populum phaleras ! [8][21] Je n’en crois non plus ce qu’en dit le peuple que ce qu’en a dit Delrio in Disquisitionibus magicis[22] Vive, vale et me ama. Tuus ex animo, G.P.

Parisiis, 17. Iulii, 1668[9][23]


a.

Ms BnF no 9357, fo 367, « À Monsieur/ Monsieur Spon,/ Docteur en médecine,/ À Lyon » ; à côté de l’adresse, de la main de Charles Spon : « 1668./ Paris, du 17 juillet./ Lyon, adi 27 dudit./ par M. Falconet./ Rispost./ Adi 21 août. »

1.

Pharos Medicorum, hoc est cautiones, animadversiones, et observationes practicæ ex operibus Gulielmi Ballonii, Medici Parisiensis celeberrimi excerptæ, et in libros decem distinctæ. Opera Theophili Boneti D.M. Pars prior.

[Phare des médecins, qui contient les précautions, remarques et observations pratiques tirées des œuvres de Guillaume de Baillou, {a} très célèbre médecin de Paris, et distribuées en dix livres. Par les soins de Théophile Bonet, {b} docteur en médecine. Première partie]. {c}


  1. V. note [19], lettre 17.

  2. V. note [2], lettre 909.

  3. Genève, Johann Hermann Widerholdt, 1668, in‑fo ; réédition à Paris, Joannes d’Houry, 1673, in‑12 de 695 pages divisé en dix livres, couvrant l’essentiel de la thérapeutique.

Au sujet de cette première publication de Bonet (qui n’eut jamais de seconde partie), Éloy écrit :

« Dans le premier qu’il fit imprimer, il prit Baillou pour modèle et le suivit dans la description de toutes les maladies du corps humain. […] Ce qui le porta à écrire ce livre, fut la peine qu’il ressentait des fautes fréquentes dans lesquelles il voyait tomber le commun des médecins, et la réflexion qu’il avait faite sur les bévues que les auteurs commettaient dans leurs ouvrages. »

Mme Caroline Chevallier, bibliothécaire en charge des manuscrits et de la musique à l’Université d’Uppasala (v. note [a], lettre 1019), nous a très obligeamment communiqué la référence d’une lettre autographe de Théophile Bonet à Charles Spon, le 25 juillet 1668 (Uppsala universitetsbibliotek, Waller Ms ch-00042, ro et vo) :

« Genève, ce 15/25 juillet 1668. {a}

Monsieur, {b}

Si je vous avais déja de l’obligation de ce que vous avez pris à gré {c} les exemplaires que j’ai pris la liberté de vous envoyer, je vous en ai encore davantage de ce que vous vous êtes voulu charger de ceux que j’adressais à Monsieur Patin ; mais principalement de votre charité à m’avertir des fautes qui sont survenues en l’impression, en partie par la mienne, en partie par celle de l’imprimeur. Quant aux citations fausses, elles doivent être imputées à celui-ci, quoique mon exemplaire, un peu en désordre, lui en ait peut-être donné occasion, lequel je n’ai pas pu prendre la patience de transcrire. {d} Au reste, il importe peu, à mon avis, si une observation est tirée d’un livre ou d’un autre ; car il n’en est pas de cet auteur {e} comme d’Hippocrate et Galien, lesquels on ne peut pas citer erronément sans passer pour faussaire ; mais j’espère que chacun n’aura pas les yeux si ouverts que vous, comme il n’est pas à souhaiter pour mon intérêt, mais plutôt que je puisse trouver autant de charité, laquelle j’implore derechef afin que je puisse m’en défaire. Si cela peut arriver, je donnerai ordre que la partie suivante soit correcte, et marquerai en fin les erreurs de la première. Je n’ose pas dire qu’ayant remarqué ce nombre de fautes, j’ai été obligé de couper là où je me suis arrêté avec intention de faire imprimer le tout en autre forme et caractères ; car je découvrirais mon {f} et m’attirerais ce que l’on dit de la grive, {g} prétendant de débiter le mieux que je pourrai cette première partie. Quant à la méthode, elle ne mérite aucune louange, comme elle est sans artifice ; vu que la matière s’est arrangée presque d’elle-même. Je ne croyais pas, au reste, qu’un des exemplaires tomberait en si bonnes mains, et suis ravi que Monsieur votre fils l’ait pris en si bonne part, m’estimant heureux d’être entré dans l’honneur de sa bienveillance, avant qu’avoir celui de le connaître et savo[ir que] {h} vous aviez un fils de la profession. Quant à ce jeune chirurgien qui me vient de rendre la présente, je me suis employé dès le moment pour lui trouver de l’emploi, quoiqu’inutilement, mais je ferai tous mes efforts pour le loger ou ici, ou dans le voisinage, nonobstant le temps peu favorable, car tous les maîtres se pourvoient {i} en mars et septembre ; vous priant de croire que je prendrai à gré et honneur les occasions de pouvoir vous témoigner que je suis sincèrement, Monsieur, votre très humble et très obligé serviteur,

Bonet de St Germain, {i} D.M. »


  1. Double date : le 15 juillet julien (ancien style encore en vigueur en Suisse) correspondait au 25 juillet grégorien (nouveau style alors en vigueur en France).

    Cette lettre ne figure pas dans la Correpondance de Jacob Spon éditée par Yves Moreau en 2013.

  2. Trouvé agréables.

  3. La lettre est adressée « À Monsieur/ Monsieur Charles Spon/ docteur agrégé en la/ Faculté de médecine à [sic pour “ au Collège des médecins de ”] Lyon/ en la rue du Mulet, enseigne/ Saint-Antoine,/ À Lyon » ; avec cette annotation de la plume de Spon, verticalement sur le côté gauche de la feuille : « 1668./ Genev. du 25 juillet/ Lyon, 29 dud, par M./ Bullot de Neuchâtel./ Ripost./ Adi 26 août,/ sous le pli de MM. de Tournes. »

  4. Réécrire entièrement tout le manuscrit pour le mettre en ordre et au propre ; sans faire confiance au libraire-imprimeur pour faire ce travail.

  5. Guillaume de Baillou.

  6. En retournant sa feuille à cet endroit, Bonet a omis d’écrire ce qu’il craignait de mettre au jour : sa négligence, son peu de soin à surveiller le travail de l’imprimeur et à relire ses épreuves.

  7. Allusion à la grive qui « chie sa propre mort » (v. note [2], lettre de Charles Spon, le 13 août 1657).

  8. Reconstitution d’une lacune due à une perforation de la feuille ; v. note [6], lettre 883, pour Jacob Spon, fils aîné de Charles, qui était alors âgé de 21 ans.

  9. Recrutent leurs apprentis.

  10. Bonet allongeait sans doute son nom pour dire qu’il habitait le quartier Saint-Germain, près l’église de même nom, dans le centre de Genève.

2.

« et jamais on ne le verra » ; v. note [1], lettre 22, pour le projet avorté d’éloges « des médecins illustres de Paris » par feu René Moreau.

3.

V. note [5], lettre 583, pour le surnom de « petite paroisse » que Guy Patin donnait à la Religion réformée.

V. note [5], lettre latine 242, pour Louis Le Vasseur, docteur en médecine de Montpellier qui vivait à Paris, dont Guy Patin avait appris l’existence par Johannes Antonides Vander Linden car, comme lui, il combattait les opinions de Frans Sylvius de Le Boë (Leyde, 1663, réédité à Paris, 1668, v. note [13], lettre 759).

Son homonyme, Claude Le Vasseur, natif de Paris, avait été reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1638 (Baron). Dans les commentaires portant sur la seconde année de son décanat (1683-1684, Comment. F.M.P., tome xvi, fo 275 ro), le doyen Bertin Dieuxivoye a consigné la mort de Le Vasseur survenue en 1684, sans indiquer le jour, mais avec cette mention :

Nosocomii fratrum Charitatis medicus plurimis annis fuit.

[Durant maintes années, il a été médecin de l’hôpital des frères de la Charité]. {a}


  1. V. note [4], lettre latine 71.

4.

Sans biffer « carrousel », la plume de Patin a écrit au-dessus le mot « banquet », mieux choisi, il est vrai, pour désigner le Grand Divertissement royal de 1668 (v. note [4], lettre 932).

5.

« pour avoir reconquis la terre de nos pères » : c’est-à-dire la Flandre espagnole, soit une grande partie de ce qui est aujourd’hui la Belgique et de la région des Hauts-de-France (sans la Picardie).

6.

Guy Patin a fourni un complément d’information sur le gouverneur du dauphin et sur l’« impudente femme » dans la lettre à André Falconet de même date que celle-ci.

Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome ii, page 552) :

« Une femme qui avait perdu son fils d’une chute pendant qu’il travaillait aux machines de Versailles et qui avait été taxée à la Chambre de justice, {a} outrée de douleur, présenta un placet en blanc {b} pour être remarquée, et en effet, on lui demanda en riant ce qu’elle prétendait ; en même temps elle dit des injures au roi, l’appelant putassier, {c} roi machiniste, {d} tyran, et mille autres sottises et extravagances, dont le roi, surpris, demanda si elle parlait à lui. À quoi elle répliqua que oui, et continua. Elle fut prise et condamnée sur-le-champ à avoir le fouet et menée aux Petites-Maisons. {e} Le fouet lui fut donné par le bourg de Saint-Germain avec une rigueur extrême et cette femme ne dit jamais mot, souffrant ce mal comme un martyr et pour l’amour de Dieu. Beaucoup ont blâmé cette punition si sévère, et dit qu’il fallait traiter cette femme de folle et la faire mettre aux Petits-Maisons, et ne pas faire éclater cet emportement par la punition. » {f}


  1. V. note [5], lettre 715, pour la Chambre de justice qui œuvra de 1661 à 1669, principalement pour sévir contre les prévaricateurs des finances publiques.

  2. Requête où on laisse en blanc le nom de celui qui doit agir ou recevoir.

  3. Amateur de putains.

  4. Illusionniste, manipulateur.

  5. V. note [29], lettre 97.

  6. Le fouet.

7.

« ce qu’est ce livre récemment publié à Lyon ».

V. note [2], lettre 932, pour la Febrilogia [Étude des fièvres] (Lyon, 1668) du médecin espagnol Juan Lazaro Gutiérrez, que Guy Patin persistait à prendre pour un Italien.

8.

« du clinquant bon pour le peuple ! » : à d’autres, mais pas à moi ! (Perse, v. note [16], lettre 7).

9.

« Vive et vale, et aimez-moi. Vôtre de tout cœur, Guy Patin.

À Paris, ce 17e de juillet 1668. »

V. note [54], lettre 97, pour les six livres des Disquisitionum magicarum [Recherches sur la magie] de Martin Anton Delrio (Mayence, 1603). Les punitions des prêtres qui pratiquent la sorcellerie sont traitées dans le livre cinquième, section xvi, De la Peine et Supplice des Sorciers, pages 806‑807 de la traduction française (Paris, 1611) :

« Les prêtres qui, par vengeance ou par dépit, dépouillent les autels, éteignent les luminaires, ou font des choses semblables à dessein de nuire à ceux pour lesquels ils les emploient aux offices de sépulture, doivent être simplement privés de leurs honneurs et dignités, et marqués d’une ineffaçable note d’infamie. Mais ceux qui, poussés de quelques inimitiés et haines particulières, célèbrent des messes des trépassés pour des vivants, afin que ceux pour lesquels ils les célèbrent fondent plus tôt dedans les coffres de la mort, doivent être premièrement dégradés, et puis bannis à perpétuité, quant et {a} ceux qui les ont induits à ce faire ; si ce n’est toutefois que volontairement ils s’en soient confessés devant leur évêque ou métropolitain, et qu’ils en aient fait une condigne pénitence {b} […].

Le prêtre offrant sacrifice sur choses profanes, et lesquelles sont vulgairement estimées propres pour les sortilèges – comme sont une hostie non consacrée, toute pleine de certaines notes et lettres de sang tiré du doigt annulaire, une coiffe {c} d’enfant nouveau-né, du pain non cuit ou de la pâte crue faite en façon de gâteau, la pierre vulgairement dite calamite, {d} et semblables – doit être privé de tous bénéfices et relégué dedans une prison. Et faut en dire autant s’il a pour même effet abusé des vaisseaux ou vêtements sacrés : pour exemple, de la nappe de l’autel, du calice, de l’encensoir, du saint ciboire ou boîte de la sainte eucharistie, de la châsse des reliques, de la pierre sacrée, {e} du corporeau, {f} de l’étole, de l’aube, des parements ou voiles du sanctuaires, etc. {g}

Le prêtre qui, pendant le solennel sacrifice de la messe, aura fait des prières tendant plutôt à péché qu’au culte divin, ou salut des âmes […] doit être puni de pareille peine que les précédents. »


  1. Avec.

  2. Une satisfaction parfaitement égale à la faute.

  3. Arrière-faix, v. note [2], lettre latine de François Rassyne datée du 27 décembre 1656.

  4. Aimantée (et supposée magique).

  5. Pierre d’autel.

  6. Ou corporal : « linge sacré fort propre et délié, qu’on étend sous le calice en disant la messe, pour recevoir les fragments de l’hostie, s’il en tombait quelques-uns » (Furetière).

  7. Tous ces rites sataniques ont pris le nom de messes noires à la fin du xviie s., avec l’affaire dite des poisons : Guy Patin avait donc tort de les prendre pour des rêveries du jésuite Delrio (qui épargnait ici les plus chastes oreilles).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 17 juillet 1668

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(Consulté le 20/04/2024)

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