L. 938.  >
À André Falconet,
le 27 juillet 1668

Monsieur, [a][1]

Vous aurez pour nouvelle de ce pays que le lieutenant criminel [2] travaille au procès d’un prêtre accusé de sorcellerie, [3] mais je ne crois point à ces bagatelles. Delrio [4] n’en a que trop dit, de même que Bodin dans sa Démonomanie[5] quoiqu’il n’y crût pas lui-même et qu’il soit mort juif[1][6] Un savant hollandais nommé Martinus Schoockius, [7] professeur à Groningue [8] en philosophie, est mort chez l’électeur de Brandebourg [9] où il avait été appelé par ce prince pour y décrire l’histoire du pays. Il a fait beaucoup de livres et était fort savant en diverses sciences, mais il était grand ennemi de M. Gronovius [10] qui est aujourd’hui le docteur de Leyde [11] le plus éminent. [2] Ce Martinus Schoockius est celui qui avait écrit entre plusieurs traités, un de l’aversion que plusieurs ont pour le fromage, [12] un traité de la bière [13] qu’il m’avait dédié, et un de la fermentation. Il fait ici fort chaud, mais il y a peu de malades. La raison en est dans Hippocrate, [14] c’est que les saisons sont comme elles doivent être quand il fait bon été, car alors il n’y a pas de dérèglement des saisons qui cause bien des maladies. [3] Deux voleurs d’églises et de saints ciboires ont été ce matin condamnés au Châtelet [15][16] à avoir le poing coupé [17] et être brûlés tout vifs, ce qui a été exécuté aujourd’hui. [18] Je suis, etc.

De Paris, ce 27e de juillet 1668.


a.

Du Four (édition princeps, 1683), no clxv (pages 451‑452) ; Bulderen, no cccclxxv (tome iii, pages 284‑285) ; Reveillé-Parise, no dcclxx (tome iii, page 679).

Ces trois éditions datent la lettre du 27 juillet 1668, mais elle annonce la mort de Marten Schoock, réputée survenue en 1669 (v. infra note [2]).

1.

V. notes [25], lettre 97, pour la Démonomanie de Jean Bodin (Paris, 1580) et le prétendu judaïsme de son auteur, et [54], lettre 97, pour les Disquisitiones magicæ [Recherches sur la magie] de Martin Anton Delrio (Mayence, 1603).

2.

V. note [5], lettre 97, pour Johann Friedrich Gronovius. Marten Schoock a publié quantité de livres curieux sur une grande varité de sujets, dont un traité sur la bière dédié à Guy Patin. Sa correspondance avec Patin (9 lettres de notre édition), entamée en 1657, s’est arrêtée en 1665. Toutes ses biographies donnent 1669 pour année de sa mort, à Francfort-sur-l’Oder. {a} Le dernier de la soixantaine d’ouvrages qu’il a signés est intitulé :

Tractatus de quadruplici lege regia. Autore Martin. Schoockio, Serenissimi atque Potentissimi Electoris Brandenburgici Consiliario et Historiographo. Editio altera, priori auctior et emendatior. Cum Indice Sectionum et Capitum.

[Traité de la quadruple Loi royale. Par Marten Schoock, conseiller et historiographe du sérénissime et tout-puissant électeur de Brandebourg. Seconde édition, revue et augmentée, avec un index des sections et des chapitres]. {c}


  1. V. notes [6], lettre latine 318, pour son installation définitive dans le duché de Brandebourg en 1664.

  2. Francfort-sur-l’Oder, héritiers de Jobus Wilhelmus Fincelius, 1668, in‑12 de 312 pages.

Paquot en a résumé le contenu (1764, tome troisième, page 326) :

« L’auteur y traite 1o. de la Loi royale de la charité, qui est la reine des vertus, sur Jac. ii:8. 2o. De la Loi royale des Israélites, sur Deut. xvii:2 et i. Reg. viii. {a} soutenant qu’il s’agit dans ces deux endroits d’une autorité légitime. 3o. De la Loi royale des Romains, qu’il attribue à Tribonien. {b} 4o. De la Loi royale, en tant qu’elle a lieu dans toutes les monarchies. »


  1. Les références en italique renvoient à la Bible : Épître de saint Jacques, Deutéronome et Premier Livre des Rois.

  2. Juriste byzantin du vie s., principal fondateur du droit romain.

Les vols de ciboires (v. note [9], lettre 935) mentionnés à la fin de la présente lettre renvoient à ce qui est dit dans la dernière phrase de celle que Patin a écrite le même jour à Charles Spon (authentifiée par son manuscrit autographe). Force est donc de penser que ou bien les biographes de Schoock se sont trompés, ou bien la nouvelle que Patin divulguait sur la mort de son ami était fausse, mais pourquoi n’en a-t-il pas dit mot à Spon ?

3.

Hippocrate a exposé ses idées sur les relations entre l’équilibre des saisons et la santé humaine dans son traité De l’Air, des eaux et des lieux, dont le premier paragaphe commence ainsi (Littré Hip, volume 2, page 13) :

« Celui qui veut approfondir la médecine doit faire ce qui suit : il considérera d’abord les saisons de l’année et l’influence respective que chacune d’elles exerce ; car non seulement elles ne se ressemblent pas l’une l’autre, mais encore, dans chacune d’elles, les vicissitudes apportent de notables différences […]. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 27 juillet 1668

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0938

(Consulté le 20/04/2024)

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