L. 954.  >
À André Falconet,
le 29 mars 1669

Monsieur, [a][1]

Enfin la paulette [2] est arrivée pour plusieurs officiers, mais avec d’assez dures conditions. Il y en a plusieurs autres qui n’y sont pas admis, c’est qu’il n’a pas plu au Saint-Esprit ni au roi. [3] Plusieurs se plaignent ici, et les médecins aussi, vu qu’il n’y a ni malades, ni argent. Il n’y a plus que les comédiens qui gagnent au Tartuffe de Molière. [4] Grand monde y va souvent ; il ne s’en faut pas étonner, il n’y a rien qui ressemble tant à la vie humaine que la comédie. La Cour des monnaies [5] était exceptée de la paulette, mais aujourd’hui on dit qu’ils ont assurance de l’avoir. M. le comte de Saint-Pol [6] a écrit de Malte [7] au roi qu’il y a été bien malade et qu’il en est, Dieu merci, heureusement échappé avec l’aide de son médecin qui en a eu grand soin (c’est M. Thuillier, [1][8] médecin de Paris) ; qu’il se met en état de revenir à Rome, de voir toute l’Italie et de s’en revenir en France par le pays des Suisses, où il passera à Neuchâtel [9] dont il est seigneur, et delà par la Bourgogne, à Paris où il est fort attendu de Madame sa mère [10] et autres. Ce prince est bien spirituel et en bonne réputation, il est le cadet de M. de Longueville, [11] qui est tout à fait dans la dévotion et qui ci-devant s’était fait jésuite, mais cette envie lui a changé. [2]

Un vieux médecin huguenot nommé M. Du Four, [12] âgé de 78 ans, est mort depuis peu de jours. Il avait été longtemps à feu M. de Vendôme, [13] puis s’était retiré à Blois, [14] sa patrie. Enfin, étant revenu à Paris, il y est mort avec une prise de vin émétique [15][16] qu’un badin lui donna fort mal à propos car il n’y avait aucune indication. [3] Son mal était une excoriation de la vessie dont il m’avait autrefois demandé mon avis. [4][17] Je vous prie de le dire à M. Spon, je crois qu’ils étaient amis. Je vous enverrai sur la fin du carême les thèses [18] que je vous ai destinées et quelques autres nouveautés. On parle ici d’une nouvelle réformation pour les rentes de l’Hôtel de Ville. [19] Il court aussi un petit poème français intitulé L’Arrière-ban des moines. Adieu, Monsieur, et consolez-vous-en, le monde est si fou qu’ils ne seront jamais bannis. [5][20] Je suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 29e de mars 1669.


a.

Bulderen, no cccclxxxviii (tome iii, pages 304‑305) ; Reveillé-Parise, no L(tome iii, pages 691‑692).

1.

Matthieu Thuillier, natif d’Amiens, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1666 (Baron), gendre d’Eusèbe Renaudot (v. seconde notule {a}, note [21], lettre 80).

2.

Charles Paris d’Orléans (v. note [68], lettre 166), né en 1649 pendant le siège de Paris, était le fils adultérin de la duchesse de Longueville et du duc de La Rochefoucauld. Son frère, Jean-Louis Charles d’Orléans, avait l’esprit mal timbré.

3.

Un doute plane ici sur l’opinion qu’avait alors Guy Patin de l’antimoine : si l’émétique (accrédité par la Faculté depuis le printemps 1666) n’avait en ce cas « aucune indication », n’était-ce pas qu’en d’autres circonstances, il pouvait en avoir de bonnes ?

4.

Une excoriation est une écorchure, plaie superficielle d’origine traumatique, mais il s’agissait ici d’une lésion spontanée de la vessie (c’est-à-dire non consécutive à un acte chirurgical ou à un sondage). Sa seule manifestation concevable était une hématurie (émission d’urines sanglantes, v. note [3] de la Consultation 13), en lien avec une lithiase, un cancer ou une infection (tuberculose) de la vessie.

5.

Je n’ai pas mis la main sur les vers qui justifiaient cette nouvelle charge contre les moines.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 29 mars 1669

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(Consulté le 28/03/2024)

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