Enfin, Dieu a fait un roi de Pologne, qui est de Pologne même. J’apprends que la France y a réussi, ne s’en étant mêlée que pour donner l’exclusion au duc de Lorraine [2] qui était porté par la Maison d’Autriche. Ce prince qu’ils ont fait roi est de fort bonne Maison, mais il n’était pas riche, la feu reine mère [3] lui faisait présent tous les ans de 6 000 livres parce que sa Maison avait été ruinée par les Cosaques. [4] Il s’appelle Michel Coribon Wisniowiecki, [5] nous en saurons l’inclination avec le temps. [1][6]
Plusieurs ont ici belle peur de ce que le roi [7] ira bientôt au Parlement pour plusieurs règlements [8] et entre autres, de la Chambre de justice, [9] des procès, de grands et de petits commissaires qu’on veut leur ôter, du retranchement des vacances, tant de l’automne que de Pâques, et de plusieurs suppressions en la Chambre des comptes. [2] On dit même que le roi veut faire le Parlement de semestre, ce qui fut sous Henri ii [10] l’an 1554, et tous nos conseillers en sont alarmés. [3] Un prisonnier d’État s’est empoisonné dans la Bastille, [11][12] épouvanté du supplice qui ne le pouvait manquer pour avoir parlé fort mal de Domino priore. [4][13][14]
On parle ici d’un chiaoux, [15] capigi ou bacha du Grand Seigneur, [5][16][17] qui vient de la part de son Grand Seigneur saluer le roi en tant qu’il est le plus grand et le plus puissant roi de la chrétienté. On s’enquiert déjà de l’entrée qu’on lui fera : an per Portam Sacram, an per Capenam ? [6][18][19] Ceux qui viennent de Saint-Germain [20] disent que M. le Dauphin [21] est malade, je prie Dieu qu’il guérisse bientôt. La France a grand besoin de ce petit prince qui est columna familiæ regiæ, et firmamentum. [7] On dit qu’il est fort gentil, qu’il a bon esprit et qu’il étudie bien. De nostris annis illi Iupiter augeat annos ! [8][22] c’est un vers d’un ancien païen à un empereur, dont Tertullien [23] a fait mention quelque part. Je prie Dieu que M. le Dauphin ait les vertus du bon roi Louis xii [24] et du grand roi Henri iv, [25] et qu’il soit aussi heureux que Trajan. [9][26] Un jeune Provençal nommé M. de Blain m’est ici venu consulter. [27] Vous l’avez vu à Lyon, et M. Meyssonnier qui lui a donné son Almanach in‑fo. [10][28] N’y a-t-il pas moyen que j’en aie un pareil par votre moyen ? Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.
De Paris, ce 16e de juillet 1669.
1. |
La guerre russo-polonaise dite de Treize Ans (v. note [7], lettre 374) avait pris fin en janvier 1667 (traité d’Andrusovo) après trois ans de délicates négociations. Le 19 juin, Michel Korybut (Coribon pour les Français) Wisniowiecki (Wisniowiec 1640-Lvov 1673) avait enfin été élu roi de Pologne, sous le nom de Michal ou Michel ier, en un moment où le pays se trouvait dans une situation très difficile. Il était le premier roi polonais de Pologne depuis 1572. En 1670, il épousa Elena Maria Josefa, fille de l’empereur Ferdinand iii (laquelle épousa en secondes noces Charles v de Lorraine). Sobieski, le futur roi Jean iii, ayant formé contre lui une ligue puissante, Michel ier ne parvint à se maintenir qu’avec l’aide de l’Autriche, puis il dut combattre les Turcs qui pénétrèrent en Pologne, et mourut peu après avoir signé avec eux un traité de paix. La « feu reine mère » qui versait une pension à Wisniowiecki n’était pas Anne d’Autriche : Guy Patin devait attribuer ce titre curieux (car la monarchie polonaise n’était pas héréditaire) à la reine de Pologne, Louise-Marie de Mantoue, morte le 10 mai 1667. Olivier Le Fèvre d’Ormesson en a donné confirmation (Journal, tome ii, page 568) :
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2. |
Le 10 août, le roi se rendit à Paris pour tenir un lit de justice en la Grand’Chambre du Parlement et faire enregistrer l’ordonnance de Saint-Germain sur la réformation de la justice, l’édit de Saint-Germain portant règlement général pour les Eaux et Forêts, la déclaration sur la Chambre de la Tournelle du Parlement de Paris, et des édits sur certains offices de secrétaires du roi, sur les receveurs et contrôleurs des domaines, sur les offices des trésoriers généraux des guerres (Levantal). |
3. |
Cela aurait voulu dire doubler le nombre des conseillers du Parlement… en divisant par deux et leurs revenus et leur pouvoir. En 1554, quand Henri ii avait rendu le Parlement semestre, il avait vendu 70 nouvelles charges. Les édits n’en furent pas vérifiés, mais ils furent exécutés pendant l’espace d’une année, après quoi le Parlement ne fut plus semestre ; mais il demeura surchargé de 70 membres inutiles qui avaient acheté leurs offices. |
4. |
« du premier seigneur [le roi]. » Bien que les dates et les circonstances ne correspondent pas exactement, cette allusion évoque la sinistre histoire narrée par Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome ii, pages 566‑567, année 1669) :
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5. |
Un capigi (portier, ou capigi bachi) était l’un des plus hauts dignitaires du sérail, avec le chiaoux bachi : avec bacha pour bachi, Guy Patin (ou ses transcripteurs) s’emmêlait un peu dans les dignités turques. V. note [2], lettre 949, pour la venue annoncée de Soliman Aga, émissaire du Grand Seigneur, le sultan Mehmed iv. |
6. |
« sera-ce par la Porte Sainte, ou par celle de Capène ? ». Déroutés par ce latin, les précédents éditeurs ont remplacé par Campenam (mot dénué de sens en latin) l’adjectif Capenam, qui se lit chez d’autres et s’accorde parfaitement au contexte. Il existait en effet à Rome une Porta Capena, d’où partait la route menant à Capène. {a} Guy Patin possédait les Dies Caniculares [Jours Caniculaires] de Simone Maiolo, {b} dont le colloque i du tome ii (page 483, 2e colonne, repère D), {c} De origine, cultu atque oraculis Deorum [Sur l’orignine, le culte et les oracles des dieux], contient cette réponse de PH [Philosophus, le Philosophe] à EQ [Eques, le Chevalier], qui lui a fourni la matière de son ironique allusion : Romæ olim ad portam Capenam, postea Appiam vocatam, aqua, quæ Mercurio sacra fuit, alii alios aspergebant, ut hac conspersione abstergerentur et delerentur, ceu inustæ corporibus notæ deformitate flagitiorum, ac præcipue periurorum. Tali persuasione seu ablutione Peleus Patroclum absoluisse, et Acastus expiasse Peleum a cæde fratris Phoci, et Ægeus Medeam a cæde liberorum traditur. Idem mos lustrandorum corporum Turcis usu est, hoc enim extergi luem peccatorum, et tolli labem omnem, persuasum habent, de propagata a maioribus et inueterata opinione. Ideo et lauationibus utuntur creberrimis, et templa sua ingressuri, priusquam pedem inferant, aqua sese, quæ in aditu templi, vase ad hos usus asseruatur, perluunt. Sed his omissis, quæ iam dudum interciderunt, atque in earum locum vera Christianorum lustratio substituta est. Ainsi compris, ce rituel de purification que les anciens Romains pratiquaient à la porte de Capène, contraste avec la cérémonie d’ouverture par le pape, instituée au xve s., de la Porte Sainte [Porta sacra] de chacune des sept basiliques de Rome pour inaugurer l’Année sainte (ou jubilé, v. note [7], lettre 31), vouée à raviver la foi des catholiques et à effacer leurs péchés en leur attribuant des indulgences. Pour l’émissaire ottoman, franchir la Porte Sainte c’était se convertir la religion romaine, tandis que passer par la Porte de Capène le maintenait dans son incroyance en ne l’absolvant de ses péchés que devant Allah. À bord des navires que Louis xiv avait en vain envoyés à Constantinople pour ramener son ambassadeur, Denis de La Haye (v. note [1], lettre 955), Soliman Aga (v. note [2], lettre 949) allait débarquer à Toulon le 4 août (Mémoires du chevalier d’Arvieux, Paris, 1735, tome iv, pages 129 et 157) :
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7. |
« la colonne de la famille royale, et son principal soutien. » |
8. |
« Que Jupiter prenne sur nos années pour ajouter aux siennes ! » ; Tertullien (Apologétique, xxxv, 7) :
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9. |
Ce fut sous le règne de Trajan (89-117) que l’Empire romain atteignit la plus grande étendue de toute son histoire. |
10. |
D.D.R.C.F. {a} Le Médecin charitable abrégé. Pour guérir toutes sortes de Maladies avec peu de Remèdes. Et l’Almanach perpétuel ou Régime Universel dont se sert celui duquel le portrait est en la page ci-après {b} pour son salut, sa santé et celle de ses amis. Seconde édition revue, corrigée et augmentée pour le bien public. {c}
Le Médecin charitable (pages 3‑34) fournit des recettes pour les remèdes, et des recommandations à l’intention des malades et de leurs familles. L’Almanach perpétuel (pages 35‑51) est une suite de conseils pour le salut (prières) et pour la santé (pratiques hygiéniques) selon le jour, la semaine, le mois et l’année. L’opuscule se termine (pages 52‑58) par un « Sommaire des sentiments de M. Lazare Meyssonnier, extrait de ses Œuvres sur les Comètes de 1664 et 1665, dont les effets dureront 19 ans, et le moyen de remédier aux maladies qui en peuvent provenir ». Une brève conclusion met en garde :
Guy Patin n’avait pas tout à fait tort de tenir Meyssonnier pour un fou. |
a. |
Bulderen, no ccccxciii (tome iii, pages 314‑315) ; Reveillé-Parise, no dcclxxxv (tome iii, pages 697‑698). |