L. 979.  >
À André Falconet,
le 8 avril 1670

Monsieur, [a][1]

Une lettre de Bayonne [2] porte que don Juan [3] a manqué d’être empoisonné. [1][4] Mme de Montespan [5] est accouchée d’un fils. [2][6][7] On parle ici d’une nouvelle Histoire de Louis xi [8] qui, à mon avis, a été le plus spirituel et le plus méchant de tous nos rois (le bon Henri iv [9] a sans doute mérité d’être honoré comme le meilleur). Cette histoire est de M. Philippe de Commynes, [10] mais elle est tout autre et bien meilleure que celle qui est imprimée depuis tantôt 200 ans. On a bien appris des choses de ce roi qu’on ne savait pas auparavant. [3] M. le duc d’Orléans [11] et Mme la duchesse [12] n’étaient pas bien ensemble. Le roi [13] a voulu les accorder par l’entremise de Mme la princesse Palatine [14] et y a réussi ; et même ils ont couché ensemble, iamdudum enim[4] On dit que les Hollandais auront grand sujet de se repentir d’avoir quitté notre parti et nos intérêts, et que leur commerce diminuera, tant par la haine et l’envie de leurs voisins, qui sont plusieurs en nombre, Anglais, Français et autres, que par leur dissension manifeste qui éclate aujourd’hui entre la Hollande et la Zélande.

Ce 4e d’avril. Un honnête homme me vient de dire qu’il doute fort que le roi fasse le voyage de Flandres [15] dont on a tant parlé, pour plusieurs incommodités qui se rencontrent, tant à aller qu’à demeurer là quelque temps avec tant de gens et d’officiers qui sont nécessaires à son service et à toute sa cour. [5]

On fait ici diverses loteries, [16] tant riches que médiocres ; enfin, elles ont été défendues sous ombre qu’il y a trop peu à dire entre loterie et filouterie. Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 8e d’avril 1670.


a.

Bulderen, no dxiii (tome iii, pages 363‑365).

1.

V. note [9], lettre 953, pour la rivalité entre Don Juan d’Autriche, bâtard du feu roi Philippe iv d’Espagne, et la veuve de ce dernier, la régente Marie-Anne d’Autriche.

2.

Le 31 mars, à Saint-Germain-en-Laye, Mme de Montespan, favorite attitrée de Louis xiv, avait donné naissance non pas à une fille (erreur des anciennes éditions des lettres, que j’ai corrigée) mais à un fils : Louis-Auguste (mort en 1736), légitimé Bourbon (en 1673), devint duc du Maine (en 1676), puis pair de France (en 1694), et prince du sang (en 1714).

3.
V. note [13], lettre 209, pour l’édition alors la plus récente de cet ouvrage était alors des Mémoires de Philippe de Commynes, sur les règnes des rois Louis xi et Charles viii (Paris, Imprimerie royale, 1649). Les catalogues donnent 1682 pour date de l’édition suivante, et 1523 pour celle de la première (Paris, Galliot Dupré et Antoine Couteau, in‑fo).

4.

« ça n’était en effet pas arrivé depuis longtemps. »

V. note [10], lettre 533, pour la princesse Palatine (qui allait devenir tante par alliance de Monsieur en 1671).

Mlle de Montpensier (Mémoires, seconde partie, chapitre x, pages 101‑102) a donné sa version de la brouille :

« Monsieur et Madame eurent un sérieux démêlé. L’absence du chevalier de Lorraine {a} rendait Monsieur fort chagrin. Un jour que la reine avait été saignée, en sortant de chez la reine, elle alla chez les dames (car on ne disait plus “ chez Mme de La Vallière ”, elle commençait dès lors à n’être plus que la suivante de Mme de Montespan) ; on le vint dire à la reine. La reine jugea qu’il y avait quelque chose. Le lendemain, Madame lui en parla. Monsieur fit un vacarme horrible, je ne me souviens plus sur quoi ; lui ramena tout ce qu’il lui avait pardonné et qui était passé. La reine alla, le soir d’après, à Paris. Madame y vint avec elle, qui conta ses douleurs à la reine avec tant d’honnêteté que la reine, qui ne l’avait jamais aimée, la prit en amitié.

Le soir, comme on revint, Monsieur parla à la reine ; puis, comme elle alla jouer, il me prit dans une fenêtre et me dit rage de Madame. Je m’en allai fermer la porte. Enfin, il me dit qu’il ne l’avait jamais aimée que quinze jours et me conta des choses qui m’étonnaient comme il les pouvait dire. Je lui disais : “ Ah ! Monsieur, songez que vous en avez des enfants ; que c’est une jeune créature qui a pu manquer dans les choses extérieures, mais qui n’est point coupable ; qu’elle reviendra et que vous serez au désespoir de tout ce que vous m’avez dit. ” Enfin, je fis tout ce que je pus pour le radoucir. Madame me disait le lendemain : “ Si, quand j’ai fait quelque faute, il m’avait étranglée, il aurait bien fait ; mais il m’a pardonné et me vient tourmenter pour rien. ” Elle se plaignait fort, de son côté, de sa manière de vivre, mais avec une grande sagesse, hors un peu de mépris, dont elle se fût bien passée, car cela est désagréable à un mari quand il le sait. Enfin les choses, à force d’aller mal, allèrent bien : on les raccommoda. Le roi, à la prière de Madame, mit le chevalier de Lorraine hors de prison et on l’envoya en Italie ; de sorte que Monsieur prit d’autres airs avec Madame ; mais je crois qu’ils ne vécurent guère mieux ensemble. »


  1. V. note [4], lettre 976.

5.

Ce voyage du roi, pour inspecter en grand apparat la Flandre française, eut bien lieu : la cour quitta Paris le 28 avril.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 8 avril 1670

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(Consulté le 29/03/2024)

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