L. 980.  >
À André Falconet,
le 11 avril 1670

Monsieur, [a][1]

Nous avons ici des malades que l’hiver a fort incommodés et qui s’attendent au lait d’ânesse, [2] duquel je n’ai pas encore osé me servir qu’il n’ait fait un peu plus chaud et que le soleil n’ait amendé par sa chaleur la crudité du suc des herbes qui sont sur la terre. Je viens d’apprendre que l’empereur [3] veut chasser tous les juifs [4] de ses provinces et dominations, et que cela se verra avant la Saint-Jean. Le parlement de Metz en a fait brûler un tout vif depuis trois mois, dont les juifs en ont fait de grandes plaintes au roi qu’ils ont tout exprès envoyés ici. [1][5][6][7][8] par des députés On parle ici d’un certain M. de Varillas [9] qui sait beaucoup de choses et qui écrit fort bien, qui s’en va nous donner l’histoire de quelques-uns de nos rois. On dit qu’il commencera par Henri ii[10] François ii[11] Charles ix [12] et Henri iii[13] mais qu’il en demeurera là sans toucher à Henri iv [14] ni aux deux suivants, Louis xiii et Louis xiv[2] Durum enim est ac periculosæ plenum opus aleæ historiam sui temporis conscribere : [3] M. le président de Thou, [15] qui a si bien fait, n’y a réussi qu’aux dépens de la vie de son pauvre fils aîné ; [16] il fait dangereux de tomber entre les mains d’un tyran irrité. Après que le premier tome aura été produit, il donnera les autres rois, dont il commencera l’histoire à Charles v [17] et ensuite, il donnera Charles vii[18] Louis xi[19] Charles viii[20] Louis xii[21] François ier[22] Ô que l’histoire de ces six rois sera belle s’il en dit ce qui est vrai et qui n’est pas commun, comme la maladie de Charles vi qui fut si longtemps fou que la France en pensa passer à Henri v[23] roi d’Angleterre, [4] et des amours de Charles vii qui tenait bien de son père du côté de l’esprit, mais qui fut bien plus heureux que lui à chasser les Anglais de son royaume par le moyen d’un bâtard d’Orléans, comte de Dunois, [24] et de cette brave Pucelle d’Orléans, [25] dans l’histoire de laquelle il y a bien du roman. Tout y est incertain, je m’en rapporte à ce qu’en ont dit Étienne Pasquier, [26] M. du Bellay, [27] Denis Lambin, [28] du Haillan, [29] feu M. Naudé [30] et plusieurs autres, qui disent qu’elle ne fut point brûlée à Orléans [31] et que l’on jeta dans le feu un billot au lieu d’elle, et qu’elle fut renvoyée en son pays de Barrois. [5] Après Charles vii viendra Louis xi, qui fut un étrange compagnon, habile mais rude et méchant, qui fit empoisonner son frère, [32] qui supposa un enfant qui régna après lui sous le nom de Charles viii. Ce Louis xi [33] fut un dangereux maître qui fit bien des fautes et surtout, qui nous laissa perdre les 17 provinces du Pays-Bas [34] qui étaient le patrimoine de Marie, [35] fille unique de Charles, ce malheureux duc de Bourgogne [36] qui fut tué devant Nancy [37] l’an 1477 (il la fallait marier à un prince du sang), qui fut l’aïeul de François ier[6] Après Louis xi, parut sur le théâtre Charles viii, jeune homme sans science et expérience, qui se laissa trop gouverner et qui mourut bientôt après. Louis xii suivit, qui fut le Père du peuple, optimus bonorum, je l’appelle ainsi quia optimus ille qui minimis urgetur. Duo duntaxat vitia illi obiiciuntur, quod fuerit mulierosus et avarus[7] dont l’un suit de près l’humanité, et l’autre la nécessité. Pour François ier, nous lui devons ceci qu’il a rendu la France savante, et qu’il a fait et fondé les professeurs du roi. [38] Dieu veuille leur pardonner à tous, tant qu’ils sont.

Toutes les villes frontières de notre Picardie sont pleines de gendarmerie sans en savoir le pourquoi, non plus que quand le roi partira pour aller en Flandres : [39][40]

Prudens futuri temporis exitum
caliginosa nocte premit Deus
[8]

Il vient de sortir de céans un honnête homme qui dit que le dessein du roi est si fort caché que personne n’y peut rien connaître. On s’étonne de ce que les cardinaux sont si longtemps dans le conclave [41] sans faire un pape. Je pense que les brigues de ces gens-là et les finesses politiques les plus rusées ne manquent pas d’être mises en œuvre pour une affaire de telle importance, et que la malice des hommes s’y est autant employée et aussi bien occupée que le Saint-Esprit duquel ils se targuent ; même, je crois que ce bon Seigneur fera bien sagement de ne s’y rencontrer, de peur de tomber en mauvaises mains.

Ce 9e d’avril. Le roi vint hier à Paris de Saint-Germain-en-Laye [42] et le même jour, y retourna. Il y a fait quelques visites et entre autres, il fut au Louvre [43] où il prononça sur le dessein du bâtiment et sur l’ordre qu’il veut être gardé pour en achever le bâtiment, à quoi on va travailler tout de bon[9] On dit partout que le voyage est certain, bien que la cause en soit inconnue ; car de dire que c’est une promenade pour le roi et pour toute la cour, on répond que ce n’est point encore là un temps propre pour s’aller promener si loin. Il vaut mieux dire que personne ne sait ce grand secret que le roi et tous ceux à qui il l’a révélé. C’est un mystère et une énigme duquel le temps nous apprendra la vérité. [10] Je vous prie de dire à M. Spon qu’il y a bien deux mois que je lui mandai que M. Sorbière, [44] son ancien ami, était hydropique [45] et asthmatique. [46] Je ne l’ai vu qu’une fois depuis ce temps-là. Aujourd’hui je puis vous dire qu’il est mort. Je viens de recevoir son billet d’enterrement et demain on fera son convoi à Saint-Eustache. [47]

Je viens d’apprendre que le voyage du roi est remis au 5e de mai à cause du mauvais temps. M. de La Hoguette, [48] neveu de M. l’archevêque de Paris, [49] a tué de guet-apens un gentilhomme, parent de M. le chancelier[50] Ce meurtrier est en prison, son oncle n’en a pu obtenir la grâce. [11] Il est mort depuis peu de jours un grand serviteur de Dieu nommé M. de Saint-Pavin, [12][51] grand camarade de des Barreaux, [52] qui est un autre fort illustre israélite, si credere fas est[13][53] On parle ici d’un sermon que le P. Bourdaloue [54] a fait ces dernières fêtes, touchant un curé d’Angleterre et un certain adultère à qui on donna absolution. On dit que le sieur Vallot [55] est hydropique et asthmatique, et de plus, qu’il a une maladie que Rabelais [56] dit être incurable à cause des années passées, qui est la vieillesse. [14]

Le curé de Saint-Nicolas [57] n’a pas voulu donner l’absolution à M. de Saint-Pavin qu’il n’ait auparavant jeté dans le feu son testament, à cause de la vie scandaleuse qu’il a menée, et qu’il n’ait fait des legs pieux du bien qui lui restait. Hier mourut ici le commandeur de Jars, [58] âgé de 76 ans. [15] je vous baise très humblement les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 11e d’avril 1670.


a.

Bulderen, no dxiv (tome iii, pages 365‑369) ; Reveillé-Parise, no dcccv (tome iii, pages 737‑740).

1.

Abraham-Nicolas Amelot de La Houssaye {a} a publié un récit anonyme de cette tragédie :

Abrégé du procès fait aux juifs de Metz, avec trois arrêts du Parlement qui les déclarent convaincus de plusieurs crimes, et particulièrement Raphaël Levi d’avoir enlevé sur le grand chemin de Metz à Boulay, un enfant chrétien âgé de trois ans : pour réparation de quoi il a été brûlé vif le 17 janvier 1670. {b}


  1. Mémorialiste français (Orléans 1634-Paris 1706) qui avait été secrétaire d’ambassade à Venise.

  2. Paris, Frédéric Léonard, 1670, in‑8o de 96 pages.

Il s’agit d’un virulent pamphlet contre les juifs (antisémite, dirait-on aujourd’hui).

Le polémiste antidreyfusard Édouard Drumont (1844-1917) y a puisé pour alimenter son écœurante France juive (43e édition, Paris, Marpon et Flammarion, 1886, 2 volumes in‑18, tome ii, pages 391‑399). Sa narration n’a que l’intérêt de préciser les détails de cet épouvantable drame.

Le 25 septembre 1669, la femme de Lemoine, charron de Glatigny (douze kilomètres à l’est de Metz, dans l’actuel département de la Moselle), était allée laver du linge à la fontaine, accompagnée de son fils Didier, âgé de trois ans ; ayant un moment perdu l’enfant de vue, elle constata bientôt avec frayeur sa disparition ; on fouilla en vain les alentours, pour ne recueillir que le témoignage d’un soldat disant qu’il avait vu un juif

« monté sur un cheval blanc, qui avait une grande barbe noire, qui allait du côté de Metz, qui portait un enfant devant lui, pouvant être âgé de trois à quatre ans, et qu’à sa rencontre il s’était éloigné du grand chemin de la portée d’un coup de pistolet ».

Une rapide enquête identifia le suspect comme étant un dénommé Raphaël Lévy, marchand de bestiaux demeurant à Boulay (aujourd’hui Boulay-Moselle, à 23 kilomètres au nord-est de Metz) :

« ce Raphaël était un homme âgé de 56 ans et de moyenne taille, les cheveux noirs et frisés, la barbe noire et fort grande, hardi et entreprenant. Il avait voyagé en Levant, en Italie, en Allemagne, en Hollande et en d’autres endroits où les affaires des juifs, dont il avait toujours été l’agent, l’avaient appelé. Il y en a même qui ont dit qu’il avait porté les armes, et qu’il avait été coureur de partis durant les guerres, mais il n’y en a point de preuve au procès. […] Il s’était habitué depuis plusieurs années dans la ville de Boulay […] où il était comme le chef de la synagogue et y faisait la fonction de rabbin. »

le 26 novembre 1669, des porchers découvrirent la tête de l’enfant « à laquelle tenait encore partie du cou et des côtes » avec, à côté, ses vêtements « sans être ni déchirés ni ensanglantés ». On accusa les complices de Lévy d’être allés eux-mêmes exposer ces dépouilles pour faire croire que le garçonnet avait été dévoré par un loup. Ce reste de cadavre fut examiné par deux maîtres chirurgiens qui reconnurent « que les chairs étaient encore rouges et sanguinolentes, et que l’enfant n’avait été mis à mort que plusieurs jours après son enlèvement, depuis lequel jusqu’au jour que la tête avait été trouvée, il s’était écoulé deux mois et un jour ».

Les preuves furent jugées suffisantes pour que le parlement fît emprisonner Lévy et commencer son procès. Sur le chef de crime rituel d’un enfant catholique, il fut condamné à être brûlé vif ; la sentence fut exécutée le 17 janvier 1670.

« Ce criminel porta sa fermeté ou plutôt son obstination jusqu’au bout car étant près du bûcher qui lui était destiné, il s’aida à vêtir sa chemise ensoufrée. Après qu’il fut attaché au poteau, pressé encore par le gardien des capucins de reconnaître son erreur, et par le greffier du Parlement d’avouer son crime, il répondit à l’un et à l’autre avec autant d’opiniâtreté et de présence d’esprit que s’il eût été bien éloigné de la mort. Enfin, tournant la tête du côté de l’exécuteur, il le pria de lui donner le coup de grâce en l’étranglant par derrière le poteau. Ce malheureux mourut en cet état, sans confesser ni la vérité de la religion chrétienne, ni la vérité de l’enlèvement qu’il avait fait. »

Bienveillante lectrice de la Correspondance de Guy Patin, Simone Gilgenkrantz, professeur émérite de génétique humaine à l’Université de Lorraine et historienne de la médecine, m’a informé sur le lent dénouement de ce drame :

S. Gilgenkrantz a depuis publié son travail sur le drame de Raphaël Lévy dans le journal Histoire des sciences médicale, tome li, no 3, 2017, pages 339‑347).

Quand à l’empereur Léopold ier de Habsbourg, sous l’influence de son épouse Margurite d’Autriche, ci-devant infante d’Espagne (v. note [4], lettre 837), il fit chasser en 1670 tous les juifs du faubourg qu’ils occupaient à Vienne, et en changea le nom de Judenstadt en Leopoldstadt.

2.

Antoine Varillas (mort en 1696, v. note [5], lettre 566) a écrit les histoires de tous les rois que Guy Patin citait ici, mais la première d’entre elles (Charles ix) ne parut qu’en 1683.

3.

« Écrire l’histoire de son propre temps est en effet une tâche ardue et pleine de dangereux hasard ».

4.

Henri v (1387-1422), roi d’Angleterre en 1413, fut le vainqueur de la bataille d’Azincourt (1415) et parvint à se faire reconnaître comme héritier de la Couronne de France en 1420, mais il mourut à Vincennes deux mois avant son beau-père, Charles vi le Fol (v. note [6], lettre 927).

5.

Guy Patin accréditait ici les thèses des « mythographes survivalistes » qui tiennent que Jeanne d’Arc ne fut pas brûlée à Rouen en 1431 (v. note [17], lettre 925), mais qu’elle réapparut à Metz en 1436 sous les traits d’une femme prénommée Claude qui prétendit être Jeanne du Lys, la Pucelle de France. Elle épousa Robert des Armoises, chevalier seigneur de Tichémont, et lui donna deux fils. Cela avait permis, vers 1630, à la famille Sermoise, descendante de celle des Armoises, de revendiquer son appartenance à la plus haute et prestigieuse noblesse de France. Bien des arguments font pourtant penser que Claude des Armoises ne fut qu’une usurpatrice (Colette Beaune, chapitre 11, Vraie Claude, fausse Jeanne).

Patin en appelait à Étienne Pasquier, qui a pourtant vilipendé ceux qui ne croyaient pas en la sainte histoire de Jeanne d’Arc dans ses Recherches de la France, livre vi (pages 459‑466), chapitre v, Sommaire du procès de Jeanne la Pucelle : {a}

« Grande pitié, jamais personne ne secourut la France si à propos et plus heureusement que cette Pucelle, et jamais mémoire de femme ne fut plus déchirée que la sienne. Les Anglais l’estimèrent et sorcière et hérétique, et sous cette proposition la firent brûler. Quelques-uns des nôtres se firent accroire que ce fut une feintise {b} telle que Numa Pompilius dans Rome quand il se vantait communiquer en secret avec Égérie la Nymphe pour s’acquérir plus de créance envers le peuple, et telle est l’opinion du seigneur de Langey au troisième livre de la Discipline militaire, chapitre 3e. À quoi les autres ajoutent et disent que les seigneurs de la France supposèrent cette jeune garce, feignant qu’elle était envoyée de Dieu pour secourir le royaume ; même < que >, quand elle remarqua le roi Charles à Chinon entre tous les autres, on lui avait donné un certain signal pour le reconnaître. J’en ai vu de si impudents et éhontés qui disaient que Baudricourt, capitaine de Vaucouleur, en avait abusé et que, l’ayant trouvée d’entendement capable, il lui avait fait jouer cette fourbe. Quant aux premiers, je les excuse, ils avaient été malmenés par elle et nul ne sait combien douce est la vengeance de celui qui a reçu l’injure. Quant aux seconds, bien qu’ils méritent quelque réprimande, si est-ce que je leur pardonne aucunement {c} parce que le malheur de notre siècle aujourd’hui est tel que pour acquérir réputation d’habile homme il faut machiavéliser. Mais par le regard des troisièmes, non seulement je ne leur pardonne, mais au contraire, ils me semblent être dignes d’une punition exemplaire pour être pires que l’Anglais et faire le procès extraordinaire à la renommée de celle à qui toute la France a tant d’obligation. Ceux-là lui ôtèrent la vie, ceux-ci l’honneur, et l’ôtent par un même moyen à la France, quand nous appuyons le rétablissement de notre État sur une fille déshonorée. De ma part, je répute son histoire un vrai miracle de Dieu. La pudicité que je vois l’avoir accompagnée jusqu’à sa mort, même au milieu des troupes, la juste querelle qu’elle prit, la prouesse qu’elle y apporta, les heureux succès de ses affaires, la sage simplicité que je recueille de ses réponses aux interrogatoires qui lui furent faits par des juges du tout voués à la ruine, ses prédictions qui depuis sortirent effet, la mort cruelle qu’elle choisit, dont elle se pouvait garantir s’il y eût eu de la feintise en son fait. Tout cela, dis-je, me fait croire (joint les voix du Ciel qu’elle oyait) que toute sa vie et histoire fut un vrai mystère de Dieu.

[…] Et puis au bout de tout cela, après tant de bons actes, après tant de prédictions véritables en une querelle si juste, après tant d’heureux succès, nous dirions que c’étaient illusions du diable ? Certes, il ne faut point avoir de piété en la tête qui le soutiendra. Ajoutez, et cestui {d} est un trait d’Histoire fort mémorable : si les anciennes histoires sont vraies, on trouve une Sémiramis et < une > Jeanne qui, sous habillement d’hommes, exercèrent, celle-là une royauté, celle-ci la papauté ; toutefois, avant que la partie fût parachevée, elles nous servirent d’un plat de leur métier parce que chacune fit un enfant, chose qui leva leur masque. Mais notre Jeanne, encore que l’Anglais recherchât tous les moyens de la calomnier, si ne lui impropéra-t-il {e} impudicité par tout le discours de son procès, jaçoit qu’elle {f} eût vécu au milieu de plusieurs grandes armées où telle débauche est plus que souvent en usage. Et c’est pourquoi la postérité, non sans grande raison, lui donna le titre de Pucelle qui lui est demeuré jusques à hui. {g} Ce néanmoins, il y a aujourd’hui quelques plumes si éhontées qui ne doutent de la pleuvir {h} pour garce de Baudricourt. Au demeurant je ne veux oublier que sa mémoire fut de si grande recommandation entre nous après sa mort qu’en l’an 1440 le commun du peuple se fit accroire que la Pucelle vivait encore et qu’elle était échappée des mains des Anglais qui en avaient fait brûler une autre en son lieu ; et pour ce qu’il en fut trouvé une en la gendarmerie {i} en habillement déguisé, le Parlement fut contraint de la faire venir, la représenter sur la pierre de marbre du Palais au peuple, pour montrer que c’était une imposture. Je serais ingrat envers la mémoire du roi Charles {j} premièrement, puis de cette miraculeuse guerrière, si pour clôture de ce chapitre, je n’y enchassais cet éloge qui me semble d’une singulière recommandation. Elle avait trois frères, Jaquemin, Jean et Pierre dit Pierrelot, dont les deux derniers s’embarquèrent à pareille fortune que leur sœur, faisant profession des armes. Le roi, en considération des grands et signalés services qu’il avait reçus de la Pucelle, tant à la levée du siège d’Orléans que son sacre, dont elle avait été le principal porte-bannière, l’anoblit, ensemble ses père, mère, frères et leur postérité tant masculine que féminine, par ses patentes en forme de charte, données à Mehun-sur-Yèvre, au mois de décembre 1429, vérifiées le 16e de janvier ensuivant en la Chambre des comptes de Paris, lors transférée à Bourges.

[…] Or pour plus signalée remarque de cette gratification, le roi Charles voulut que les frères de la Pucelle portassent en leurs armoiries un écu en champ d’azur auquel y aurait deux fleurs de lys d’or et au milieu, une couronne ; et en outre, qu’au lieu de surnom d’Arc qu’ils avaient apporté du ventre de leur mère, ils fussent de là en avant surnommés du Lys, comme si la Couronne de France et le Lys eussent par les paradoxes {k} exploits et chefs-d’œuvre de la Pucelle repris leur ancienne force, dignité et vertu. »


  1. Édition de Paris, 1621, v. note [16], lettre 151.

  2. Feinte.

  3. « il est bien certain que je ne leur pardonne aucunement ».

  4. Ceci.

  5. « même s’il ne lui reprocha pas ».

  6. Bien qu’elle.

  7. Ce jour.

  8. Tenir.

  9. Cavalerie.

  10. Le roi Charles vii (mort en 1461).

  11. Extraordinaires.

6.

V. notes [5], lettre 692, pour l’échec de Louis xi à marier Marie de Bourgogne avec un prince de France, et [5], lettre 869, pour la mort de Charles le Téméraire.

Louis xi ne fut aïeul de François ier que par deux mariages successifs : François avait épousé en 1514 Claude de France, fille de Louis xii et d’Anne de Bretagne, veuve de Charles viii (fils de Louis xi).

7.

« le meilleur des hommes de bien… parce qu’est le meilleur celui qui se préoccupe des plus petits. Il avait seulement deux défauts, il aimait les femmes et était avare ».

8.

« Dieu dans sa sagesse a enveloppé d’une nuit épaisse les événements futurs » (Horace, v. note [20], lettre 564).

Le dessein éloigné du roi était de préparer une guerre contre les Provinces-Unies en se ménageant l’alliance, ou du moins la neutralité de l’Angleterre et de l’Espagne. Cela acquis, la guerre put commencer en avril 1672.

9.

Le 8 avril, le roi et la reine s’étaient rendus de Saint-Germain à Paris pour assister au baptême de leur nièce, Mademoiselle de Valois (fille de Philippe d’Orléans), par l’évêque de Vabres (Louis de La Vergne de Monteynard de Tressan), premier aumônier de Monsieur, en la chapelle de la galerie du Palais-Royal. La jeune princesse, tenue par le dauphin et Mademoiselle d’Orléans (Anne Marie Louise), reçut le prénom d’Anne Marie. La cérémonie fut précédée d’un dîner offert par Monsieur au roi et à la reine en son grand cabinet.

Toute la cour retourna ensuite à Saint-Germain après que le roi fut allé voir l’arc de triomphe en cours de construction au faubourg Saint-Antoine, un autre ouvrage édifié entre les faubourgs Saint-Michel et Saint-Jacques, et les travaux du Louvre (Levantal).

10.

Les mieux renseignés n’en savaient guère plus (Mlle de Montpensier, Mémoires, seconde partie, chapitre x, page 102) :

« On parla de faire un voyage en Flandre ; et quoique l’on eût la paix, le roi ne marchait point sans corps d’armée. Le roi déclara que M. de Lauzun la commanderait »

La cour partit de Saint-Germain pour la Flandre le 28 avril 1670.

11.

Philippe Fortin de La Hoguette, le « soldat philosophe » (v. note [4], lettre 181), avait épousé vers 1630 Louise de Péréfixe. Elle était fille de Jean, écuyer, seigneur de Beaumont et de La Papinière, et de Claude de Lestang, et sœur d’Hardouin de Péréfixe, archevêque de Paris (v. note [38], lettre 106). Philippe et Louise avaient eu deux filles et trois fils (L’Armorial général et nobiliaire français, tome xl, fascicule 1, page 25) :

  1. Armand Fortin de La Hoguette, tué lors du siège de Candie en 1669 ;

  2. Hardouin Fortin de La Hoguette (1643-1715) qui se fit prêtre et devint évêque de Poitiers puis archevêque de Sens ;

  3. Charles Fortin de La Hoguette (vers 1647-1693) sous-lieutenant en 1667, qui avait participé en 1669 à l’expédition de Candie où son frère fut tué, fut mestre de camp de cavalerie en 1676, maréchal de camp en 1688, lieutenant général des armées du roi en 1693.

L’assassin de 1670 ne pouvait raisonnablement être que le dernier des trois, Charles. Un tel meurtre récompensait bien mal l’auteur du Testament ou Conseils fidèles d’un père à ses enfants… Le chapitre xxix (pages 165‑172, l’édition d’Amsterdam, Georges Gallet, 1695, in‑12) est intitulé Des Duels et du remède qui s’y peut apporter suivant la raison :

« L’injure la plus atroce parmi nous est le coup de main et le démenti. Viens-ça, mon enfant ; si après avoir reçu cette offense on te livrait celui qui te l’aurait faite pour l’égorger et qu’après, il te fallût quitter le royaume, perdre ton bien ou être égorgé toi-même, n’est-il pas vrai que ce parti te ferait horreur et que tu ne l’accepterais jamais ? Et néanmoins, mon enfant, en te battant, soit que tu tues ou que tu sois tué, tu l’acceptes sans y penser : dent pour dent, œil pour œil et coup pour coup, selon la loi de la nature. Si tu demandes plus que cela, tu t’engages aussi à souffrir davantage selon la même loi. Pour ce qui est du démenti, démêle ce différend avec l’Écriture qui te dit que tout homme est menteur, et non pas avec ton prochain. Si tu mens et que je te le dise, est-ce un crime capital de t’en avertir ? Si tu dis vrai et que je te démente, l’injure que je m’imagine te faire retombe sur moi, tu dois en être satisfait. Le prince et la loi ont pourvu à la réparation de toutes sortes d’injures, ce n’est pas à l’offensé de les arbitrer, de peur qu’il ne devienne lui-même l’offenseur en l’excès de sa réparation ; il n’est pas juste qu’il soit juge et partie en sa propre cause.

[…] Fermez, Sire, fermez cette sanglante digue où se perd tant de beau sang ; et le vôtre se multipliera en mille générations. »

12.

Denis Sanguin, sieur de Saint-Pavin (Paris 1595-ibid. 8 avril 1670), était le fils benjamin de Jacques Sanguin, conseiller au Parlement de Paris et prévôt des marchands de 1606 à 1612 (Popoff, no 2239). Entré dans les ordres, il avait été pourvu de l’abbaye Notre-Dame de Livry (aujourd’hui Livry-Gargan, Seine-Saint-Denis), dont il fit une sorte d’abbaye de Thélème, où la liberté dans la conversation et la débauche effrénée attiraient les beaux esprits. Surnommé le prince de Sodome et amant de Jacques iii Vallée, sieur des Barreaux (v. note [13], lettre 868), Saint-Pavin avait une réputation bien établie de libertin. Il revint sur le tard à la religion et mourut dans la dévotion, mais en laissant une œuvre poétique aussi enjouée que licencieuse.

13.

« si on en croit la rumeur », expression empruntée (entre autres) à Florus (v. note [4], lettre 435 ; Abrégé de l’histoire romaine, livre iii, iv, 19, Guerre contre les Cimbres, les Teurons et les Tigurins) :

Hunc tam lætum tamque felicem liberatæ Italiæ adsertique imperii nuntium non per homines, ut solebat, populus Romanus accepit, sed per ipsos, si credere fas est, deos.

[Cette nouvelle si agréable, si heureuse, de la délivrance de l’Italie et du salut de l’Empire, le peuple romain ne l’apprit pas, comme d’habitude, par des hommes, mais si on en croit la rumeur, par les dieux eux-mêmes].

« Israélite » serait ici à prendre au sens de mécréant, mais si bizarre que je me demande si les éditeurs de la lettre imprimée n’ont pas substitué ce mot à « sodomite ».

14.

V. note [6] du Borboniana 9 manuscrit pour cet adage rabelaisien.

15.

V. note [10], lettre 39, pour François de Rochechouart, chevalier puis commandeur de Jars, dans l’Ordre de Malte.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 11 avril 1670

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(Consulté le 29/03/2024)

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