L. 991.  >
À André Falconet,
le 30 juillet 1670

Monsieur, [a][1]

Je viens d’apprendre la mort d’un des nôtres nommé Nicolas Langlois, [1][2] âgé de 66 ans, qui a été trouvé mort dans son lit. [3] C’était un philosophe fort mélancolique [4] et taciturne, qui se moquait de la pratique, qui est ce que les autres recherchent avec tant d’avidité. Nous en avons encore un autre qui marchande de passer par le même chemin. Il est si fort dégoûté de prendre des purgatifs [5] que, sans ce méchant et malheureux symptôme, je crois qu’il serait guéri, mais il a 73 ans. [2][6]

On parle ici d’un nouveau jubilé [7] comme d’une chose fort nécessaire, je pense que c’est pour faire trotter les femmes et faire gagner les moines. [8] On parle encore de la mort de Mme la duchesse d’Orléans. [9] Il y en a qui prétendent, par une fausse opinion, qu’elle a été empoisonnée ; [10] mais la cause de sa mort ne vient que d’un mauvais régime de vivre et de la mauvaise constitution de ses entrailles. [11] L’épiploon était si fort corrompu que sa seule puanteur était capable de lui causer une mort subite. [3][12] Il est certain que le peuple, qui aime à se plaindre et à juger de ce qu’il ne connaît pas, ne doit pas être cru en telle rencontre. Elle est morte, comme je vous ai dit, par sa mauvaise conduite et faute de s’être bien purgée selon le bon conseil de son médecin, auquel elle ne croyait guère, ne faisant rien qu’à sa tête. C’est ainsi que vivent les grands à la cour, ils donnent tout à leur fortune et à leurs plaisirs, et presque rien à leur santé ; aussi meurent-ils comme les autres et bien souvent avant que d’être vieux. Le feu roi [13] n’avait que 41 ans, le cardinal de Richelieu [14] que 57, et son successeur que 58 ; [15] mais il faut que Martial [16] ait dit vrai, Immodicis brevis est ætas et rara senectus[4] Je suis, etc.

De Paris, ce 30e de juillet 1670.


a.

Du Four (édition princeps, 1683), no clxxxiv (pages 492‑493) ; Bulderen, no dxxv (tome iii, pages 392‑393).

1.

Mort le dimanche 13 juillet 1670, Nicolas Langlois, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1631, fut enterré le lendemain en l’église Saint-Nicolas-des-Champs (Comment. F.M.P., tome xv, page 394, Obitus Doctorum, v. note [5], lettre 967).

2.

V. note [25], lettre 989, pour Jacques Mentel qui mourut le 26 juillet 1670.

3.

V. note [12], lettre 990, pour la mort, le soupçon d’empoisonnement et l’autopsie de la duchesse d’Orléans. La corruption de l’épiploon (repli du péritoine qui recouvre les intestins) peut être un argument supplémentaire en faveur d’une péritonite.

4.

« Les êtres extraordinaires ont la vie brève et vieillissent rarement. » Ce vers de Martial v. note [1], lettre 448) obsédait alors Guy Patin qui le citait pour la troisième fois depuis la mort de son fils Robert, le 1er juin 1670.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 30 juillet 1670

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(Consulté le 28/03/2024)

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