L. 993.  >
À André Falconet,
le 19 août 1670

Monsieur, [a][1]

Nous n’avons rien de nouveau ni de certain des affaires du Vivarais. [1][2] Les Espagnols ne disent mot, non plus que les Hollandais, mais l’on parle ici d’un certain duc de Buckingham, [3] ambassadeur d’Angleterre, qui est venu pour traiter d’une affaire de grande importance et faire une belle alliance pour l’avantage des deux couronnes[2] Ô que je serais ravi de voir cela bien achevé et bien entretenu ! Peut-être que les Bataves n’en seraient pas si fiers ni si orgueilleux.

M. Vallot [4] est bien malade et en danger de mourir bientôt : il a de la fièvre, il est asthmatique [5] et il a 74 ans. Il avait été porté au Jardin royal ; [6] mais ayant entendu que sa présence était requise à la cour, où il s’agit de lui choisir un successeur, il a aussitôt quitté le bel air de son beau Jardin et est revenu au Louvre. Ainsi n’est-il pas permis à Paris, non plus qu’à Athènes, de mourir à son aise ni à bon marché. Cette belle charge ne se vendra pas dorénavant comme l’on fit du temps de Mazarin l’an 1646 [7] et l’an 1652. [3] M. Colbert [8] a aujourd’hui bien plus de soin de l’honneur et de la santé du roi que l’on ne faisait en ce temps-là, où l’avarice des ministres emportait et ravageait tout. On parle de MM. de La Chambre [9] et D’Aquin [10] le jeune, mais le cœur du roi [11] est en la main du Seigneur. M. Vallot est pourtant retourné à son Jardin pour sa commodité.

Hier sur les six heures du matin, est mort M. le président Miron, [12] consommé d’une fièvre lente [13] et d’une mauvaise disposition des viscères, qu’un vieux et opiniâtre rhumatisme [14] lui avait laissée et qui n’a pas pu être corrigée par le régime de vivre, [15] les purgations [16] ni les eaux minérales. [17] Encore faut-il que je vous dise que, depuis son retour des eaux, que je n’ai jamais approuvées, je ne l’ai point vu comme médecin, mais il a été visité par M. Brayer [18] et après, par Renaudot [19] qui l’a achevé. Ce pauvre homme, atténué et desséché dedans et dehors, n’avait pas besoin de vin émétique, [20] qui lui a coupé la gorge sans épée. [21] Il n’avait que 46 ans, il ne laisse que deux fils fort délicats avec peu de bien, hormis de sa femme [22] qui est riche, [4] car de son côté, il prend beaucoup sur ses deux charges de conseiller de la Cour et de président à mortier. Mais si vous voulez savoir pourquoi M. Brayer l’a vu, c’est que sa fille, [23] avec 100 000 écus, a été mariée à M. Leschassier, [24] conseiller de la Cour, fils de Marguerite Miron [25] sœur du défunt président, laquelle mourut pulmonique l’an 1663. [5] Leur père a été M. Robert Miron, [26] ambassadeur en Suisse, frère de M. François Miron, [27] lieutenant civil, qui mourut ici l’an 1609. La mémoire de ces Messieurs est ici en fort bonne odeur pour leur vertu et intégrité. Ces deux derniers frères étaient de fort habiles gens, qui tous deux avaient passé par de belles charges avec grande réputation. Ils étaient sortis d’un vieux médecin de Paris nommé François Miron, [28] médecin de Charles ix[29] et qui avait eu le premier lieu de sa licence [30] l’an 1514 sous le bon roi Louis xii[31] Père du peuple ; mais voilà toute cette bonne famille presque éteinte, hormis ces deux petits qui restent aujourd’hui, Dieu les veuille bien conserver. Vale[6]

De Paris, ce 19e d’août 1670.


a.

Du Four (édition princeps, 1683), no clxxxv (pages 494‑497) ; Bulderen, no dxxvii (tome iii, pages 396‑398) ; Reveillé-Parise, nos DCCCXVII (tome iii, pages 760‑761) et DCCCXIII (tome iii, pages 752‑753, du 20 juin 1670) pour le 2e paragraphe, sur Vallot.

1.

V. note [3], lettre 988, pour la révolte fiscale du Vivarais.

2.

George ii Villiers, deuxième duc de Buckingham (1628-1687), fils du plus fameux George i (v. note [21], lettre 403), avait été fidèle à la cause royale tout au long des guerres civiles anglaises. Il était devenu un éminent personnage de la cour et Charles ii l’envoyait alors en ambassade à Paris pour négocier les traités franco-anglais qui préludèrent à la guerre franco-hollandaise de 1672. Le 13 août, le roi reçut secrètement le duc de Buckingham (Levantal).

Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome ii, page 600) :

« Le 27 août précédent fut fait à Saint-Denis le service de Madame avec toute la magnificence possible. Le duc de Buckingham s’y trouva. Toutes les cours souveraines y assistèrent, mais elles ne furent point saluées, ni Messieurs du Clergé, et ainsi la contestation entre eux pour le salut fut terminée. M. l’abbé Bossuet fit l’oraison funèbre avec un très grand succès, quoique sa matière fût fort stérile. »

3.

Achats de la charge de premier médecin du roi par François Vautier en 1646 (v. note [3], lettre 134) et par Antoine Vallot en 1652 (v. note [29], lettre 287), moyennant, respectivement, 60 000 et 70 000 livres (v. note [32], lettre 318).

4.

François-Pierre Miron (v. note [12], lettre 519), mort le 17 août, avait épousé Marie Renouard, fille de Charles Renouard, contrôleur général de l’Ordinaire des guerres ; mais Popoff (no 1771) ne leur donne qu’un fils, prénommé Louis-François. Toutefois il vaut mieux se fier à Guy Patin, qui était très proche de la famille Miron, leurs maisons étant même mitoyennes place du Chevalier du Guet.

5.

Marguerite Leschassier, née Miron (v. note [14], lettre 190), était fille de Robert i, et sœur de Robert ii et de François ii (« défunt président »). Anne Brayer fille de Nicolas Brayer, avait épousé en 1666 Robert Leschassier, fils de Marguerite et Christophe Leschassier (v. note [5], lettre 871).

6.

François i Miron, fils de Gabriel ii, médecin de Louis xii et chancelier d’Anne de Bretagne, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris, fut lui-même médecin de trois rois de France : Henri ii, François ii et Charles ix (v. note [9], lettre 82).

Auteur d’une Relation de la mort du duc de Guise et du cardinal son frère (manuscrite, 1588), François i était le père de Marc (v. note [6], lettre 550), et le grand-père de Robert i (v. note [20], lettre 180) et François ii (v. note [9], lettre 211). Dans cette dernière évocation épistolaire de la famille Miron (v. note [9], lettre 82), Guy Patin n’a pas parlé de Robert ii, qui fut son ami, tué en 1652 dans le massacre de l’Hôtel de Ville (v. note [3], lettre 292).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 19 août 1670

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(Consulté le 25/04/2024)

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