L. 998.  >
À André Falconet,
le 29 décembre 1670

Monsieur, [a][1]

On dit que les Hollandais se préparent à la guerre, qu’ils lèvent 30 000 hommes et qu’ils ont peur que l’on assiège Maastricht [2] sur eux, qui n’est pas loin de nos conquêtes et de nos frontières. Hier fut enterré un de nos médecins nommé Claude Tardy. [3] Si j’étais aussi savant que celui-là pensait l’être, je passerais Galien, [4] Aristote [5] et Fernel. [6] Notre Faculté lui donnait tous les ans 100 écus pour l’aider à vivre, il était fait comme un gueux et se consommait en procès à chicaner tout le monde ; mais il n’avait obtenu cette somme qu’à la charge qu’il ne ferait plus de livres et ne ferait plus rien imprimer sans la permission de notre Faculté. Un chirurgien de ses voisins m’a dit aujourd’hui qu’on lui avait bien trouvé de l’argent dans son coffre. Il passait 72 ans, il avait été marié et sans enfants, qu’il eût laissé mourir de faim s’il en eût eu. Il se vantait un jour dans nos Écoles, mais en colère parce qu’on se moquait de lui, qu’il était plus savant que Simon Piètre, [7] Nicolas Piètre [8] et M. Riolan. [9] C’était enfin un atrabilaire [10] qu’il eût fallu lier s’il n’eût été assez fou de se laisser mourir de faim et de froid comme il a fait. [1][11]

M. Mathieu de Mourgues, [12] sieur de Saint-Germain, jadis aumônier de la reine mère Marie de Médicis [13] et qui a tant écrit pour elle contre le cardinal de Richelieu, [14] est mort aux Incurables [15] dans le faubourg Saint-Germain, [16] âgé de 88 ans. Il a fait une Histoire de Louis xiii qui pourra dorénavant être imprimée car il ne l’a jamais voulu permettre de son vivant. [2] Je vous souhaite bon jour et bon an, et vous prie de croire que je suis de toute mon affection votre, etc.

De Paris, ce 29e de décembre 1670.


a.

Du Four (édition princeps, 1683), no clxxxvii (pages 499‑501) ; Bulderen, no dxxxii (tome iii, pages 413‑414).

1.

V. note [35], lettre 156, pour Claude Tardy et la liste de ses principaux ouvrages, dont le dernier avait paru en 1667. Il avait été un déraisonnable promoteur de bonnes idées (circulation et transfusion du sang). Quatre extraits du tome 15 des précieux Comment F.M.P. détaillent les tourments de sa dernière année d’existence.

  1. Assemblée de la Faculté le vendredi 29 novembre 1669 (page 399), sous le décanat de Jean Garbe : {a}

    Doctores decreverunt pensionem annuam concessam Magistro Claudio Tardy ducentarum libellarum, ad dimidium scilicet ad centum libellas in posterum esse redigendam, hac ducti ratione, quia ejus uxor altero anno fuisse defuncta, atque etiam statuetur ipsum dominum Tardy propter corporis pravam diathesim in omni casu absentem pro præsente habendum esse, ita ut omnes distributiones percipere valeat, ea cautione adhibita, ut in futurum nunquam in scholiis inferioribus publice disputer aut prosit aut in alterius cujusque doctoris locum suffectus et sit ex omnium doctorum consilio conclusit decanus.

    [Les docteurs ont décidé d’attribuer à Maître Claude Tardy une pension annuelle de deux cents livres, soit une rente de cent livres qui lui sera dorénavant versée chaque semestre. Ils y ont été conduits par le décès de son épouse survenu l’an passé, et aussi par le fait établi que ledit Monsieur Tardy, en raison de son piètre état de santé corporelle, est désormai à tenir pour constamment absent. Sur l’avis unanime des docteurs, le doyen a donc conclu qu’il pourra percevoir toutes les dites largesses, à la condition expresse de ne plus jamais disputer publiquement dans les salles basses des Écoles, {b} ni y servir ou y remplacer un autre docteur].

  2. Assemblée de la Faculté le mercredi 26 mars 1670 (page 405), sous le décanat du même Garbe, Decretum adversus M. Claudium Tardy [Décret contre M. Claude Tardy] :

    horis pomeridianis examine Candidatorum confecto de rebus non naturalibus M. Ioannes de Mauvillain scholarum censor legit coram omnibus doctoribus aliquod programma typis mandatum a M. Claudio Tardy collega, in quo pollicitus erat se docturum Modum quo posset unusquisque Mares aut feminas pro arbitrio generare et plura alia quæ visa fuerunt prorsus ridicula et a ratione aliena, quæ non decebant doctorem facultatis medicinæ parisiensis, sed potius redolebant artem agyrtarum, qui populo semper imponere student, quod omnibus doctoribus maxime displicuit ; Quapropter censuerunt omnes doctores nemine reclamante ipsum Magistrum Claudium Tardy, ne esset in posterum dedecori facultati acriter esse arguendum, ipsumque omnibus emolumentis et juribus esse privandum ; illi tamen decreverunt sub titulo pauperitatis summam ducentarum libellarum singulis annis illi esse concedendam, ea tamen conditione ut nullum programma typis in postremum mandaret et publice faceret, alioquin illa annua ducentarum libellarum distributione foret privandus. decanus tamen emolumenta percipiet ipsius Claudii Tardy de quibus facultati reddet rationes et illud erit partim ad solvendam annuam pensionem et sic ex omnium consilio conclusit decanus.

    [en début d’après-midi, après avoir achevé l’examen des candidats sur les choses non naturelles, {c} M. Jean de Mauvillain, {d} censeur des Écoles, a fait lecture, en présence de tous les docteurs, d’un programme de leçons que notre collègue Claude Tardy a fait imprimer, où il promettait d’enseigner un moyen permettant à tout un chacun d’engendrer à volonté des garçon ou des filles, et plusieurs autres choses qui ont paru tout à fait ridicules et contraires au bon sens, lesquelles n’étaient pas dignes d’un docteur de la Faculté de médecine de Paris, mais sentaient fort la charlatanerie, art qui s’applique toujours à en imposer au peuple, ce qui a extrêmement déplu à tous les docteurs présents. {e} Ils ont donc jugé à l’unanimité que ledit Maître Tardy devait être sévèrement blâmé afin de n’être plus dorénavant un sujet de honte pour la Faculté, et être privé de tous ses émoluments et privilèges. {f} Tenant néanmoins compte de sa pauvreté, ils ont décidé qu’une somme de deux cents livres lui serait versée chaque année, {g} mais à condition qu’il ne fasse plus imprimer aucun programme ni n’en enseigne publiquement les leçons, faute de quoi il sera privé de cette gratification annuelle de deux cents livres ; mais le doyen percevra les émoluments dus au dit Claude Tardy et en rendra compte à la Faculté, ce qui couvrira une partie de sa pension annuelle. Ainsi le doyen en a-t-il conclu, conformément à l’avis de tous].

  3. Comptes de la Faculté pour l’exercice de novembre 1669 à novembre 1670, rendus par le doyen Garbe le samedi 8 novembre 1670, et approuvés par la Compagnie des docteurs régents.

    • Chapitre des recettes (page 431) :

      Hic numeranda est summa decem libellorum ex emolumentis M. Claudio Tardy debitis pro actibus vesperiarum et doctoratus M. Petri Yvelin atque M. Claudii Puylon et pro festo divi Lucæ penes decretum latum a doctoribus in scholis superioribus die 26. mensis Martii 1670.

      [Doit ici être comptée la somme de dix livres tournois issue des émoluments dus à M. Claude Tardy pour les actes de vespéries et de doctorat de M. Pierre Yvelin et de M. Claude Puilon, et pour la fête de la Saint-Luc, en application du décret prononcé par les decoteurs dans les salles hautes des Écoles, le 26e de mars 1670]. {h}

    • Chapitre des dépenses (page 445) :

      Magistro Claudio Tardy Collegæ secundum decretum Facultatis latum die Martis 4. decembris 1669 pro anni dimidio pensionis illi a Facultate concessæ, cadente in ultimum diem Martii 1670 solvit decanus, ut patet ex acceptilatione quinquaginta libellas.

      Eidem M. Claudio Tardy penes alterum decretum latum die 26 Martii 1670 pro anni dimidio pensionis illi a Facultate concessæ et adauctæ cadente in ultimum diem mensis Septembris solvit decanus, ut patet ex aceptilatione centum libellas.

      [Conformément au décret de la Faculté prononcé le mardi 4e de décembre 1669, pour le semestre de la pension que la Faculté lui a accordée, échue le dernier jour de mars 1670, le doyen a versé cinquante livres tournois {i} à notre collègue Me Claude Tardy, comme en atteste la quittance.

      En vertu du second décret de la Faculté prononcé le 26 mars 1670, le doyen a versé au même M. Claude Tardy la somme de cent livres pour le semestre de la pension que la Faculté lui a attribuée et qu’elle a augmentée, échue le dernier jour de septembre, {j} comme en atteste la quittance].

  4. Le doyen Denis Puilon {k} a annoté le tableau des docteurs régents dressé le jeudi 20 novembre 1670 (page 453) :

    M. Claudius Tardi obiit die 22a decembris 1670, de ejus morte novuisse uno aut altero post exequiæ dies moriri fuerunt doctores quo ipsiæ non interfecerunt.

    [M. Claude Tardy mourut le 22e de décembre 1670, les docteurs n’ont appris son décès qu’un ou deux jours après ses obsèques et n’y ont donc pas assisté].


    1. Reçu docteur régent en 1645, v. note [46], lettre 442.

    2. Là où avaient lieu les cours aux étudiants et les examens (actes) de la Faculté : on peut penser que Tardy y avait défendu et enseigné des préceptes que la Compagnie avait jugés blâmables.

    3. La baccalauréat de 1670, pendant l’avant-dernière semaine du carême, se déroulait du lundi 4 au samedi 29 mars, dont l’épreuve de pathologie (choses non naturelles) avait toujours lieu le mercredi (v. notule {c}, note [2], lettre 39). Cinq philiatres se présentaient à l’examen cette année-là.

    4. Armand-Jean de Mauvillain, v. note [16], lettre 336.

    5. Le catalogue qui scandalisait la Compagnie était le programme des leçons publiques (et payantes) qu’entendait donner Tardy. À la fin de sa lettre du 6 septembre et constamment par la suite, Guy Patin l’a qualifié d’esprit mal timbré.

    6. En interdisant à Tardy l’accès aux salles basses des Écoles, le précédent décret l’avait de fait déjà privé de ses émoluments et privilèges (v. supra notule {b}).

    7. Cette rente allouée à Tardy pour le faire taire s’ajoutait à celle, de même montant, que la Faculté lui avait attribuée précédemment (29 novembre 1669), pour un total annuel de 400 livres. Cela pourrait donner une idée du revenu qu’un docteur régent tirait de ses activités académiques publiques, mais surtout privées : v. note [60] des Décrets et assemblées de la Faculté en 1651-1652.

    8. Outre la chapelle et le bureau du doyen, les salles hautes de la Faculté abritaient la grande salle où se réunissait la Compagnie pour délibérer. Les dix livres perçues par le doyen donnent une idée du maigre revenu que la très salubre Faculté versait ordinairement à ses docteurs pour leurs activités académiques publiques.

      V. note [155] des Déboires de Carolus pour Claude Puilon. Pierre Yvelin était le fils de son homonyme (v. note [11], lettre 97).

    9. Cette somme correspondait à un demi-semestre (premier trimestre ou quartier de 1670) de la première rente de 200 livres allouée à Tardy lors de l’assemblée du 29 novembre (et non 4 décembre) 1669.

    10. Cette somme correspondait au premier semestre (avril-septembre 1670) de la seconde rente de 200 livres allouée à Tardy le 26 mars précédent.

      Ces comptes versaient à Tardy la somme de 150 livres : cela explique les « cent écus » (300 livres) que Patin comptait dans sa lettre, soit 100 livres de moins que la rente annuelle effectivement accordée par la Faculté au docteur dont elle avait suspendu l’activité, mais sans l’exclure de ses bancs (le rayer du tableau), comme le prouve l’extrait suivant.

    11. V. note [16] du Diafoirus et sa thèse.

2.

V. notes [4], lettre 100, pour cette Histoire de Mathieu de Mourgues, abbé de Saint-Germain, restée inédite, et [13], lettre 286, pour l’hôpital des Incurables.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 29 décembre 1670

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(Consulté le 28/03/2024)

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