L. 1001.  >
À André Falconet,
le 17 mai 1671

Monsieur, [a][1]

Je présiderai, Dieu aidant, bientôt à une thèse cardinale [2] laquelle conclura ainsi : Ergo febris pestilenti theriaca venenum[1][3] pour refuser l’erreur commune et populaire d’un tas de barbiers [4] ignorants et autres charlatans [5] qui, entendant le mot de peste, [6] pour amasser de l’argent, promettent sa guérison par la thériaque qu’ils ne connaissent ni n’entendent. La thériaque des anciens ne fut jamais inventée pour la peste, seulement pour les morsures des animaux venimeux ; encore ne voudrais-je point m’y fier. Andromachus, [2][7][8] médecin de Néron, [9] n’était qu’un charlatan et fort ignorant ; par conséquent, digne opérateur de ce tyran qui fit tant de mal avant que de mourir, et qui entre autres, fit empoisonner son frère Britannicus [10][11] et assommer sa mère Agrippine [12] qui était une méchante chenille, [3] indigne de si bons père et mère. Elle était fille de Germanicus, [13] le meilleur de tous les bons princes, et de cette Agrippine [14] qui était si femme de bien qu’elle en était glorieuse, au dire de Tacite [15] qui en a si illustrement parlé dans ses Annales[4] Je ne veux pas oublier d’ajouter à l’éloge de Néron qu’entre autres crimes, il fit brûler la ville de Rome, qu’il fit empoisonner son brave gouverneur Burrhus [16] et mourir son précepteur Sénèque, [17] et qu’il fut le premier persécuteur des chrétiens, comme assure Tertullien [18] dans son Apologétique[5] que Scaliger [19] a nommé quelque part le boucher de l’ancien christianisme ; mais laissons là ce tyran. M. Boucherat, [20] doyen de la Chambre des comptes, est ici mort âgé de 96 ans. Il savait par cœur son Homère [21] grec et était père du conseiller d’État. [6][22] Vale.

De Paris, ce 17e mars 1671.


a.

Du Four (édition princeps, 1683), no clxxxix (pages 504‑505), le 17 mai ; Bulderen, no dxxxv (tome iii, pages 419‑420), et Reveillé-Parise, no dcccxxiv (tome iii, pages 778‑779), le 17 mars 1671.

1.

« Donc la thériaque {a} est un poison pour la fièvre pestilentielle ». {b}


  1. V. notes [9], lettre 5, et [2] infra.

  2. Ce qu’on appelait alors la peste, vraie comme fausse, v. note [1], lettre 5.

Guy Patin présida le 5 mars 1671 (et ce pour la dernière fois de sa vie) la thèse cardinale de Jean Cordelle (dont il avait déjà dirigé la première quodlibétaire en décembre 1670, sur la négation de la circulation du sang). Le titre exact en est Estne Theriaca pestilenti febre iactatis venenum ? [La thériaque n’est-elle pas un poison pour ceux qui sont frappés de fièvre pestilentielle ?] (conclusion affirmative). Dans cette thèse, Patin n’a guère dévié des arguments qu’il avait développés avec Charles Guillemeau en 1648 dans leur observation xi contre les us et abus des apothicaires contre la thériaque.

Cordelle a soutenu sa seconde quodlibétaire le 18 février 1672, sous la présidence de Claude de Quantéal, sur la question An in febribus malignis, aute spasmum purgatio ? [Dans les fièvres malignes, la purgation favorise-t-elle le spasme ?] (affirmative).

2.

Andromaque l’Ancien, médecin de Néron (ier s. apr. J.‑C.), originaire de Crète, fut le premier décoré du titre d’archiatre. Ses cures lui acquirent à Rome une grande célébrité, mais on ne sait rien de sa doctrine ni de sa méthode pratique. Galien l’a mis au rang des auteurs qui avaient le mieux écrit sur les médicaments. Il nous a conservé un grand nombre de formules qu’Andromaque avait recueillies et dont une partie était de son invention.

Il est surtout resté fameux comme inventeur de la thériaque : il en exposa la composition et les propriétés dans un poème intitulé Γαληνη (calme, tranquillité) que Galien a transcrit dans le chapitre vi, livre i de son traité des Antidotes (Kühn, volume 14, pages 32‑42). Ce nom de galênê (galena en latin) fut le premier qu’on attribua au médicament d’Andromaque ; le mot thériaque (de θηρ, animal venimeux) ne fut créé et adopté que plus tard. Destiné principalement dans l’origine à remédier aux morsures venimeuses, cet électuaire, monstrueuse composition entassant confusément rien moins que 61 substances, fut bientôt regardé comme une panacée, un médicament capable de soigner toutes les maladies (M.S. in Panckoucke).

3.

V. note [40], lettre 219, pour ce surnom d’Agrippine.

4.

Agrippine l’Aînée (Agrippina Maior), mère d’Agrippine la Jeune (Agrippina Minor, mère de Néron, v. note [17], lettre 644) était l’épouse de Germanicus (15 av. J.‑C.-19 apr. J.‑C., général romain, petit-fils d’Octavie et d’Antoine). Voici comme Tacite en a « si illustrement parlé dans ses Annales » (livre i, chapitre xxxiii) :

ipsa Agrippina paulo commotior, nisi quod castitate et mariti amore quamvis indomitum animum in bonum vertebat.

[quant à Agrippine, elle était un peu trop emportée, mais sa chasteté et l’amour qu’elle portait à son mari tournaient vers le bien de son âme, si indomptable fût-elle].

Britannicus (41-55 apr. J.‑C), fils de l’empereur Claude et de Messaline, sa première épouse, fut écarté du pouvoir et empoisonné au profit de son demi-frère, Néron.

5.

Sextus Afranius Burrus (ou Burrhus dans le Britannicus de Racine), préfet du prétoire sous l’empereur Claude, tenta, avec Sénèque le Jeune, son précepteur, d’endiguer les mauvais penchants de Néron pendant les cinq premières années de son règne, mais il ne fut pas assassiné par son maître : il périt de mort naturelle en l’an 62. En revanche, il est exact que Néron condamna Sénèque à se suicider en s’ouvrant les veines (an 65).

V. note [59] du Borboniana 7 manuscrit pour Tertullien contre Néron dans L’Apologétique.

6.

V. note [12], lettre 957, pour Jean Boucherat, père de Louis (v. note [6], lettre 655).

Le livre v (pages 470‑472) de Joseph Scaliger de Emendatione temporum [sur la Correction des temps] (Cologne, 1629, v. note [53] du Borboniana 3 manuscrit) contient un chapitre De Roma a Nerone incensa et persecutione Christianorum [Sur Rome incendiée par Néron et la persécution des chrétiens], mais je n’y ai pas lu de latin ressemblant à la citation française de Guy Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 17 mai 1671

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(Consulté le 25/04/2024)

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