L. 1007.  >
À André Falconet, le 27 septembre 1671

Monsieur, [a][1]

Je viens de voir un officier de l’armée qui dit que les Espagnols offrent au roi [2] Aire [3] et Saint-Omer, [4] Le < Cateau- >Cambrésis [5] et quelques autres villes, [1] et que nous leur rendions tout ce que nous avons pris sur eux cette campagne dernière. Toutes ces conditions sont au-dessous de nos conquêtes et de la majesté de notre conquérant ; c’est pourquoi il faudra que les Espagnols cherchent de nouveaux moyens de pacification, ou qu’ils fassent naître de nouveaux soldats pour se défendre l’année prochaine contre nos attaques, car ces offres-là ne méritent point qu’on y ait égard. Les Espagnols se piquaient autrefois de finesses, mais la mine est éventée, [2] il y en a encore aujourd’hui en France de plus fins qu’eux, Iampridem Sirus in Tiberim defluxit Orontes[3][6]

J’ai vu aujourd’hui passer près de Saint-Eustache, [7] sa paroisse, le corps de feu M. Maillet, [8] riche et ancien bourgeois de Paris qui était un des directeurs et administrateurs de plusieurs maisons de communautés de Paris, comme de l’Hôpital général, [9] de la Trinité [10] et des Enfants bleus, [11] des Enfants rouges, etc. [4] Il était presque octogénaire, le voilà mort, il n’y a plus de différence entre son corps et celui d’un gueux : omnis caro fænum[5][12] On prépare de belles comédies à la cour pour l’hiver prochain et je ne doute pas qu’il ne nous vienne dès le mois de décembre prochain, en vertu de toutes nos conquêtes en Flandres, [13] de beaux almanachs. On dit que le cardinal Visconti [14] est arrivé ce soir à Paris, qui vient apporter au roi de la part du pape [15] des articles de pacification avec l’Espagne, sed me pudet tot ineptiarum[6] Je vous baise très humblement les mains et suis de toute mon âme votre, etc.

De Paris, ce 27e de septembre 1671.


1.

Le Cateau-Cambrésis (Nord), ville du Hainaut espagnol, ne fut rattachée à la Couronne française qu’en 1678 (traité de Nimègue).

2.

« Cette conspiration ne réussira pas, on a éventé la mine » (Furetière).

3.

« Il y a beau temps que le fleuve de Syrie, l’Oronte, se dégorge dans le Tibre » : que les mœurs étrangères corrompent Rome (Juvénal, v. note [18], lettre 566).

La politique française de conciliation avec l’Espagne (qui voulait conclure un traité d’assistance mutuelle avec les Provinces-Unies) visait à préparer la guerre de Hollande.

4.

Les Enfants rouges, les Enfants bleus, et l’hôpital de la Trinité étaient des orphelinats de Paris.

5.

Isaïe, 40:6‑8 :

« Toute chair est comme l’herbe, {a} et sa délicatesse est celle de la fleur des champs. L’herbe sèche, la fleur se fane, lorsque le souffle du Seigneur passe sur elles. Oui, le peuple c’est l’herbe. L’herbe sèche, la fleur se fane, mais la parole de notre Dieu demeure pour l’éternité. »


  1. Omnis caro fænum (Vulgate).

L’article 3 de l’Édit d’établissement de l’Hôpital général, daté d’avril 1656, {a} fournit la liste de ses 26 directeurs et perpétuels administrateurs ; Christophe Maillet, « ancien consul, marchand, bourgeois de Paris » s’y trouve et 22e position. {b} S’ajoutaient trois articles précisant les devoirs et privilèges desdits directeurs et perpétuels administateurs :

  • Art. 73. « Afin que les directeurs soient d’autant plus obligés aux soins des pauvres, et de tous les emplois que nous leur confions par ces présents, nous voulons qu’eux et leurs successeurs à perpétuité, fassent le serment en Parlement, et qu’ils y soient en effet présentés par notre procureur général. »

  • Art. 79. « Nous voulons que les directeurs soient à toujours, et même leur receveur, {c} durant le temps de sa recette, ou après vingt années de service, en notre spéciale protection et sauvegarde ; et afin qu’ils ne puissent être distraits d’un service si important, entendons et nous plaît qu’en cette qualité de directeurs et de receveurs, ils jouissent, chacun en son particulier, du privilège de committimus du grand sceau {d} en nos requêtes de l’Hôtel ou du Palais à Paris, à leur choix, et qu’ils y puissent renvoyer ou évoquer leurs causes de tous nos parlements et lieux de notre royaume. »

  • Art. 80. « Voulons aussi qu’ils soient exempts de tutelle, curatelle, guets, fortifications, gardes aux portes, et généralement de toutes taxes de ville et autres contributions publiques, de quelque qualité et manière qu’elles puissent être, privilégiées ou non, quoique non ici exprimées. »

    1. V. note [20], lettre 464.

    2. Code de l’Hôpital général de Paris, ou Recueil des principaux édits, arrêts, déclarations et règlements qui le concernent, ainsi que les maisons et hôpitaux réunis à son administration (Paris, veuve Thiboust, 1786, in‑4o de 627 pages), Directeurs et administrateurs, page 104.

    3. « Pourront les directeurs choisir un receveur de l’Hôpital général, tel que bon leur semblera, bourgeois ou à gages, l’un et l’autre destituables à volonté, et sans que ledit receveur, pendant le temps de son emploi, puisse être du nombre des directeurs, ni avoir séance, ni voix délibérative » (art. 34).

      « Fera le receveur, à cause du maniement, serment au Parlement, y étant aussi présenté par notre procureur général, sans néanmoins qu’à cause de ce, ni autrement, il soit comptable ailleurs qu’au bureau ; faisant défenses à toutes autres personnes qu’aux directeurs, de prendre connaissance des revenus, comptes et biens présents et à venir, et de quelque qualité qu’ils soient » (art. 87).

    4. V. note [2], lettre 90.

6.

« mais toutes ces inepties me font honte. »

a.

Bulderen, no dli (tome iii, pages 433‑434) ; Reveillé-Parise, no dcccxxx (tome iii, pages 788‑789).


Correspondance complète et autres écrits de Guy Patin, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Lettre de André Falconet à Guy Patin, le 27 septembre 1671.
Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1007
(Consulté le 29.03.2023)

Licence Creative Commons "Correspondance complète et autres écrits de Guy Patin, édités par Loïc Capron" est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.