Le roi de Danemark [2] a fait publier dans tous ses états une liberté de conscience. [1] N’est-ce point qu’il veut augmenter le nombre de ses sujets en quelque façon ? S’il veut des moines, [3] il n’en manquera point, pourvu qu’il leur donne bien à dîner et de l’argent de reste, pour ne pas dire autre chose ; mais laissons-les faire, ils en trouveront bien. On parle ici d’une grande révolte des Arabes contre le Turc, [4] on dit que ces Arabes ont pillé et brûlé La Mecque [5] et qu’ils ont fait un butin de plus de 50 millions ; je crois que c’est une fable pour amuser le peuple. [2] Il court un bruit que le roi [6] fait venir d’Afrique un régiment de cavalerie de Nègres pour être employés dans son armée. [3][7] Cela sera bon contre les Hollandais quand nous commencerons la guerre contre eux, ils se connaissent déjà. M. Colbert, [8] qui était intendant de justice en Alsace, a été fait par le roi président de Metz, [9] et M. Colbert, évêque de Luçon, est évêque d’Auxerre ; [10][11] celui-ci est frère du grand Colbert, surintendant des finances et secrétaire d’État. [4][12][13]
On ne parle ici que du mariage de M. le duc d’Orléans [14] avec la fille [15] de M. l’électeur palatin [16] et des présents qu’on lui envoie de deçà, tant de la part du duc, son futur mari, que du roi même. Mme la Palatine, [17] tante de cette princesse nubile, est allée au-devant d’elle. [5] Le premier aumônier de M. le duc d’Orléans, qui est M. l’abbé de Montagu, [18] a promis à M. de Robineau, notre très cher ami et allié, de s’employer après ce mariage pour le retour de mon cher fils Carolus, [19] et j’espère que cela nous aidera ; mais auparavant, il faudrait savoir à qui nous avons affaire. Il n’y a que la bonté de Dieu et la justice du roi en qui je me fie : in filios hominum non est salus. [6][20]
On dit ici tout haut que la reine [21] est grosse. [7][22][23] Plût à Dieu qu’elle nous donnât un petit roi qui vaille quelque jour saint Louis [24] ou le bon roi Louis xii, [25] ou tout au moins Henri iv [26] qui délivra la France en son temps de la tyrannie des Espagnols et de la Ligue, [27] aussi bien que de la malice de nos mauvais voisins, et surtout des huguenots. [28] Vous trouverez ici une lettre pour notre bon ami M. Spon, je vous prie de faire en sorte qu’elle lui soit rendue avec toute assurance, à cause d’un papier qui est dedans et qui importe fort aux affaires de mon Carolus. Quand le verrai-je, quand le roi aura-t-il le loisir d’y songer ? Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.
De Paris, ce 23e d’octobre 1671.
Bulderen, no dliii (tome iii, pages 436‑438) ; Reveillé-Parise, no dcccxxxii (tome iii, pages 790‑791).
Christian v (v. note [13], lettre 748), fils de Frédéric iii, avait pris en 1670 la succession de son père sur le trône de Danemark et de Norvège. Le protestantisme luthérien était devenu religion d’État au Danemark en 1536.
La Mecque, première ville sainte de l’Islam, était alors un chérifat d’Arabie placé sous la tutelle des Turcs depuis le début du xvie s. La Gazette a relaté ces événements.
Ordinaire no 121 du 10 octobre 1671 (page 971) :
« De Venise, le 18 septembre 1671. On ne doute plus ici de la nouvelle, qui était venue la semaine passée, que les Arabes avaient tué une partie et fait esclaves le reste de ceux qui allaient en pèlerinage à la Mecque, comme aussi saccagé ce lieu où se conserve le tombeau de Mahomet ; et l’on ajoute qu’ils attendaient l’assistance des Perses, qui venaient se joindre à eux pour envahir l’Empire ottoman. Les dernières lettres qu’on a reçues de Bellegrade, du 18e du passé, portent que le Grand Seigneur était tellement consterné de ces désordres qu’il avait résolu, non seulement, d’abandonner ses divertissements de chasse, mais tous ses desseins dans l’Europe, pour se rendre à Bursia et delà, envoyer le premier vizir, avec l’armée, à Alep, afin que, s’y étant grossie, il la fasse marcher contre ces rebelles. »
« De Venise, le 25 septembre 1671. Nous avons appris par un navire arrivé de Constantinople que le soulèvement des Arabes était encore plus considérable qu’on ne l’avait cru ; et qu’il a été causé par le chérif de la Mecque, le plus proche parent de Mahomet. Cet officier, indigné de ce qu’il n’avait pas reçu depuis deux ans les régales accoutumées du Grand Seigneur, s’étant rendu avec un grand nombre d’autres Arabes aux environs de Médina, où est le corps de ce faux prophète, attaqua la caravane des pèlerins qui allaient visiter son tombeau, avec une escorte de mille soldats, en massacra la plus grande partie et fit sur eux un très riche butin ; ce qui a obligé, ainsi qu’on vous l’a mandé, Sa Hautesse à prendre la route de Bursia pour envoyer contre eux le premier vizir avec son armée. »
L’extraordinaire no 128 du 30 octobre 1671 (pages 1029‑1040) contient Les particularités du soulèvement des Arabes, avec la suite des affaires des Vénitiens et des Turcs, en une lettre de Venise [le 3 octobre 1671]. On y apprend entre autres que le chérif de la Mecque, après avoir attaqué les pèlerins, « mit cette fameuse ville de la Mecque au pillage, avec le trésor de Mahomet ; et par de seconds avis, on a su qu’ayant attiré dans son parti plusieurs des principaux bassas, avec d’autres mécontents, et eu assurance d’être secouru par les Perses, qu’on croit même avoir fomenté cette rébellion, il continuait ses ravages par mer et par terre, en résolution de se faire déclarer prince de la Mecque, en cette qualité de descendant de Mahomet ».
L’ordinaire no 130 du 30 octobre (page 1047) est revenu sur le sujet :
« De Venise, le 9 octobre 1671. Nous avons eu avis que le chérif de la Mecque, continuant ses hostilités, avec les Arabes qu’il a soulevés, dont le nombre s’augmentait tous les jours par l’espérance du butin, avait pris le titre de roi d’Arabie et attiré dans son parti les bassas des places voisines ; qui, ayant le même dessein que lui de se rendre absolus, {a} s’étaient assurés de tous les passages considérables et y avaient mis des troupes. On nous mande aussi que le Grand Seigneur et le premier vizir avaient envoyé ordre au bassa de Damas, et autres des environs, d’amasser toutes les milices qu’il serait possible pour s’opposer promptement aux séditieux ; et que, cependant, Sa Hautesse s’avançait vers Bursia pour donner de plus près les ordres nécessaires à assoupir ces mouvements. Les lettres ajoutent que ces bassas qu’elle avait chargés du soin de donner la chasse aux rebelles étaient déjà venus aux mains avec tant de succès qu’ils en avaient taillé en pièces quantité, et fait prisonnier le fils du chérif avec sa femme et douze autres personnes ; et que le premier ayant été enfermé dans les Sept Tours de Constantinople avec deux de sa compagnie, le reste fut conduit aux prisons d’Alep, où est aussi un autre fils dudit chérif. Depuis, nous avons su de Vienne qu’on y avait appris que ces désordres ont été apaisés par la distribution de sommes notables à ceux qui en étaient les principaux auteurs ; mais on croit que c’est un article des mécontents de Hongrie, qui ont répandu ce bruit pour entretenir la crainte des Impériaux qu’ils soient secourus des Infidèles. »
- Libres.
La Gazette (ordinaire du 17 octobre 1671, no 124, page 1004) n’annonce pas cette arrivée, mais dit seulement que :
« Les directeurs généraux de la Compagnie des Indes Occidentales ont eu avis que trois navires de ladite Compagnie sont arrivés depuis quelques jours : deux, nommés le Florissant et l’Harmonie, dans le port de Honfleur, et un autre appelé la Bergère, en celui de Dieppe, venant du Sénégal et du Cap Vert, en Afrique, chargés de cuirs, gomme, ivoire, plumes d’autruche, cire, poudre d’or, et ambre gris et noir, avec d’autres marchandises, estimées plus de cent mille écus ».
V. note [7], lettre 600, pour Charles Colbert marquis de Croissy, frère cadet de Jean-Baptiste, le ministre, nommé président au parlement de Metz.
Son frère puîné, Nicolas Colbert (Reims 1628-Auxerre 1676), était évêque de Luçon depuis 1661 (celui qu’avait en son temps occupé Richelieu) et avait été promu au siège d’Auxerre le 16 juillet 1671 (Gallia Christiana). Il avait été nommé garde de la Bibliothèque royale en 1656 et conserva cette charge jusqu’à sa mort.
Mme la Palatine était Anne de Gonzague de Clèves (v. note [10], lettre 533), épouse d’Édouard de Bavière, frère cadet de l’électeur palatin, Karl Ludwig, père de la prochaine Madame palatine (v. note [5], lettre 1005), Élisabeth-Charlotte, alors âgée de 19 ans.
Psaumes (145:3) :
Nolite fidere in principes, et in filios hominum quibus non est salus.[Ne mettez pas votre foi dans les princes, ni dans les fils des hommes, car en eux il n’y a point de salut].
Guy Patin espérait que ce remariage de Monsieur allait éteindre le ressentiment du prince contre Charles Patin, durement condamné pour avoir trahi la confiance de feu Madame, Henriette-Anne d’Angleterre (v. les Déboires de Carolus).
Annonce de la naissance du sixième et dernier enfant du couple royal, Louis-François, duc d’Anjou (14 juin‑4 novembre 1672).