L. 1014.  >
À André Falconet,
le 31 décembre 1671

Monsieur, [a][1]

Depuis le 19e de décembre que je vous écrivis, toutes les villes de Picardie et de Champagne sont extrêmement pleines de soldats qui ne sont bons qu’à la guerre, [2] mais contre qui ? personne n’en sait rien. On dit que M. de Louvois [3] est parti pour quelque affaire et qu’il est allé en Lorraine, [4] dont on tire de différentes conjectures. Il vaut mieux n’en rien dire, le mois de mars viendra qu’on se mettra en campagne, et alors on verra l’effet.

Nous fûmes hier, tout le Collège royal [5] des 17 professeurs du roi, chez M. le cardinal de Bouillon [6] lui faire la révérence, comme ayant été depuis peu nommé par le roi [7] à la charge de grand aumônier de France. [8] Le roi est notre maître et fondateur, et le grand aumônier est notre directeur. C’est de lui que nous relevons et qui nous donne nos augmentations. M. Moreau, [9] comme notre syndic, en l’absence de notre doyen qui est M. de Flavigny, [1][10] docteur en Sorbonne, [11] lui fit une petite harangue latine, à laquelle M. le cardinal de Bouillon répondit sur-le-champ, aussi en latin, fort élégamment, nous promettant qu’il aurait grand soin de notre Collège. Nous avons perdu un des nôtres qui est Florimond Langlois, [12] âgé de 65 ans. Il a fait miracle en mourant : il est mort sans rendre l’esprit ; au moins n’en eut-il jamais guère ; il était devenu bête et est mort de la poudre émétique d’antimoine. [2][13] Il n’y a guère de maladies, jamais Paris ne fut si sain ni sec ; si les médecins ne meurent de faim, il y en a de bien empêchés de leur contenance. On crie ici à la prise de Jérusalem par les Arabes, mais le bruit des coups de canon ne peut pas venir jusqu’à nous. [3][14] On dit que le roi ira à Châlons [15] et à Metz ; [4] il y en a qui parlent du siège de Strasbourg ou de Cologne, [16] mais il n’y a rien de certain. Tout ce que je vous puis dire de très assuré est que je suis tout à vous, etc.

De Paris, ce 31e de décembre 1671.


a.

Bulderen, no dlvi (tome iii, pages 441‑443) ; Reveillé-Parise, no dcccxxxv (tome iii, pages 794‑795).

1.

V. note [35], lettre 525, pour Valérien de Flavigny, alors doyen des professeurs royaux.

2.

Florimond Langlois (v. note [1], lettre 977), qui avait signé pour l’antimoine en 1652 (v. note [3], lettre 333), était mort le 26 décembre 1671. Son corps fut exposé le lendemain en l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, puis enterré en celle de Saint-André-des-Arts (Comment. F.M.P., tome xv, page 533).

J’ai remplacé « la poudre émétique d’un moine » par « la poudre émétique d’antimoine », car j’imagine mal un médecin se faisant soigner par un moine.

3.

Jérusalem, capitale de la Palestine, était sous domination turque depuis 1516. Les derniers numéros de la Gazette de 1671 ne parlent pas de sa prise. On y apprend seulement, par lettre de Venise le 27 novembre, que « les troubles de l’Asie sont assoupis [v. note [2], lettre 1009], les Arabes s’étant retirés avec leur butin sur ce qu’ils ne recevaient pas les assistances qui leur avaient été promises par plusieurs bassas » (ordinaire no 151 du 19 décembre 1671, page 1211).

4.

Louis xiv ne quitta Saint-Germain que le 27 avril, pour aller faire la guerre en Hollande.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 31 décembre 1671

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1014

(Consulté le 29/03/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.