L. 1019.  >
À Gilles Ménage,
le 20 juillet 1651

[…] [a][1][2]

Page 86, versu x, je voudrais dire Pithou in suis Adversariis[1][3] vu que le français n’est point intelligible. J’ai vu de savants hommes se moquer de celui qui avait dit « Turnèbe en ses Adversaires ». [2][4] Il est encore en la page 95, 193, 196, etc. [3]

Page 104, sur le mot Beanus. J’ai un traité grotesque en latin, fait par un Allemand, de Beanis[4]

Page 111, vers. antepenult. lege Bauhinus[5] et mettez après le mot de Commentateur [5] que personne n’a mieux parlé du bézoar que M. Guillemeau, médecin ordinaire du roi, et de la Faculté de Paris, dans ses observations françaises qu’il a faites sur sa belle thèse l’an 1648. [6][6]

Page 134, vers. 17, il faut mettre le sieur d’Aubigné[7][7]

Page 177, à la fin du mot Caniculares, on pourrait ajouter que le Père Petau a remarqué quelque chose de beau de cette Canicule, dans ses livres de Doctrina temporum, et qu’elle n’est pas comme le peuple pense au mois de juillet. [8][8][9] Houllier, Comment in aphorismos Hipp., dit que le peuple se trompe au fait de la canicule, et qu’elle est passée quand elle semble commencer. [9][10][11]

Page 180, sur le mot de Carême[10] M. Rigault en son Commentaire sur Tertullien, libro de jejunio, raconte diverses espèces de Carême. [11][12][13]

Page 189, Cerevisia quod cerebrum visat, ou quasi Cereris vis[12][14][15][16]

Page 294, vers. 8 après médecine, ajoutez : [13] où sur la fin de l’examen rigoureux qui dure une semaine entière, pour faire des nombreux bacheliers, l’examen finissant sur les six heures du soir, les anciens ont droit d’une légère collation, qu’on appelle vinum et species, qui sont des échaudés, des raisins, de l’eau et du vin. [14][17]

Page 337, sur la fin de la diction Galets, Rabelais a parlé de Ulrich Galet, de Chinon, comme d’un homme illustre. [15][18][19]

Page 345, à Gazette[16] J’apprends que Gazetta en italien signifie une pie, qui est un animal babillard, comme notre Gazette est babillarde. [17][20]

Page 376, Gesner [21] appelle en latin le hareng harengus : [18][22] les anciens n’ont point connu ce poisson ; est species thrissæ ; [19][23] il ne se pêche que par delà la Hollande vers la mer Baltique, qui étaient des pays presque inhabités à cause de la grande barbarie de ces pays septentrionaux. Le mot de hallex chez les anciens non est nomen piscis, sed condimenti piscium, aliud a muria[20] Le hareng ne se pêche aujourd’hui que vers la mer Baltique, et en nul autre endroit de l’Europe.

Page 450, Aquarioli dicebantur olim famuli prostibulares, qui mulieribus suppeditabant aquam et subministrabant, ut pudenda sua lavarent post coïtum[21] Quelque interprète l’a dit ainsi, en expliquant ces vers d’Ovide,

Ne ve suæ possent intactam scire ministræ
Dedecus injecta dissimulavit aqua
[22][24]

Page 482, tout en haut, moutons à la grande laine sont ainsi appelés de vieux écus d’or qui ont un agneau pascal d’un côté. J’en ai céans un à votre service ; et ai toujours ouï expliquer de la sorte les moutons à la grande laine de Rabelais. [23][25]

Page 488, Nicotiana vocatur à nonnullis Catharimaria ; à barbaris Petun : [24][26][27][28] c’est une espèce de hyoscyame du Pérou ; c’est ainsi que l’appelle Dodoens. [25][29][30] C’est une herbe narcotique qui a de la malignité ; les Indiens l’appellent Tabaco. Neander librum scripsit de Tabacologia[26][31] J’ai céans une belle thèse en médecine, qui a été soutenue l’an 1626 et en laquelle je me souviens d’avoir disputé, laquelle conclut ainsi : Ergo nulli bono tabaccocapnia per nares et os[27][32] Cette fumée est maligne, ennemie du cerveau et des viscères, surtout du poumon, du cœur et de l’estomac. Barclay en son Euphormion sur la fin a fait de fort beaux vers contre cette plante et contre la tabacocapnie, [28][33] que l’on pourrait aussi appeler tobacomanie[29] pour le grand nombre des fous qui s’y amusent. Le Mascardi, savant Italien, a fait une dissertation contre cet abus ; [30][34] et Raphael Thorius en a fait un grand poème, imprimé en Hollande, tout exprès. Le poème est latin, il était anglais, ut revocaret ab usu istius venenatæ tabacocapniæ suos populares[31][35] J’ai céans tous ces livres à votre service.

Scorbut, page 599, [32] morbus est lienis, Galeno incognitus, quem tamen videbat Hippocrates. Ejusmodi affectus non est dicendus stomacace, ut vulgo enuntiatur, sed stomacacce : κακκη enim apud Aristophanem in Nubibus est merda ; et est ni fallor a Latino caco, ut est alioqui mirus in his nequam poeta. Ideo στομακακκη est oris fœtor. [33][36][37][38][39][40][41] Plusieurs modernes en ont parlé et traité expressément, comme Wierus, Martinus, Eugalenus, Horstius, Sennertus, Reusnerus et alii multi, quos possem adfere[34][42][43][44][45][46][47] Cette maladie est rare partout, hormis vers la mer Baltique, où les mauvaises eaux, faute de bonnes, gâtent la rate et corrompent les autres viscères : témoin la corruption des gencives, la puanteur de la bouche, l’obstruction de rate, les ulcères des jambes, le ventre durci et constipé.

Page 654, [35] le mot de variola [48] est fort ancien : outre ce qu’en a dit M. de Saumaise, [49] un certain Marius Episcopus Aventicensis, qui vivait il y a près de mille ans, en a parlé. C’était l’évêque d’Avenches, dont l’évêché a été transféré à Lausanne, qui appartient aujourd’hui à Messieurs de Berne. [50] Le passage en est beau : c’est dans le tome ier du recueil des histoires de feu M. du Chesne, page 215, in medio, anno 4. consul. Iustini, ind. 3[36][51]

Page 714, vers. 7, la rue près des Innocents, où sont les marchands de soie, doit être nommée la rue aux fers[37][52]

Page 775, au milieu de la page, Bru n’est pas une épousée, mais la femme de mon fils. [38]

Page 811, [39] Ange Politien præfatione in Menæchmos a dit en parlant des moines, pavidamque plebem teritant minaciis[40][53][54][55]

Page 838, Sirop [41] est plutôt dit a συραω, id est traho[42][56]

Page 839, Spagirique [43] est dit de, Zwingero in Examine principorum chymicorum, cap. i, page. 11, απο του σπαν, quod vellere, divellere, et αγειρειν quod congregare significat : ibi quidem heterogenea, hic homogenea[44][57][58][59]

Iohannes de Hortis, alias des Jardins, Medicus Paris. et regius, obiit ultima die Ianuarii, 1548. Factus fuerat Doctor in nostra Facultate anno 1523[45][60][61][62][63]

C’est de la part de votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

Le 20e de juillet 1651.


a.

Le 27 avril 2016, en réponse à l’appel que M. Guy Cobolet, directeur de la BIU Santé, a lancé à ses collègues du monde entier (vActualité du site, en date du 2 mai 2016), Mme Caroline Chevallier, bibliothécaire chargée des manuscrits et de la musique à la Bibliothèque universitaire d’Uppasala, nous a très obligeamment communiqué le lien à cette précieuse feuille isolée d’une lettre conservée à l’Uppsala universitetsbibliotek, sous la cote Waller Ms fr-07023, provenant de la collection d’autographes du médecin suédois Erik Waller (1875-1955).

Datée du 20 juillet 1651, sa première feuille (sans doute une page et l’adresse) fait défaut et son destinataire n’est pas identifié ; mais sa lecture montre bien qu’il s’agit de Gilles Ménage, car c’est une suite de remarques critiques, page à page, de ses Origines de la langue française (Paris, Augustin Courbé, 1650, in‑4o de 845 pages).

1.

Page 86, 10e ligne (au mot Ban) : « En effet, il se prend souvent en cette signification d’amende dans les lois des Lombards, comme l’a observé Pierre Pithou, liv. ii de ses Adversaires, chap. 20. »

Adversaria (nom neutre pluriel) est un faux ami latin car il n’est pas à prendre au sens d’« adversaire, antagoniste, contradicteur » (adversarius, adjectif et substantif) ; mais de cahier qu’une personne a toujours devant les yeux (sous la main) et qu’on peut appeler brouillon, notes, registre ou main courante. Telle est l’acception qu’il convient en effet de donner au mot adversariorum dans le titre des :

Petri Pithœi I.C. Adversariorum subsecivorum libri duo regogniti. Auctorum Veterum loci qui in iis libris aut explicantur aut emendantur, proxime indice notati sunt.

[Deux livres revus des notes occasionnelles de Petrus Pithœus, {a} jurisconsulte. Édition revue, où l’index qui suit énumère les passages des anciens auteurs qui sont expliqués ou corrigés dans ces livres]. {b}

Le chapitre xx et dernier du livre ii (page 142) commence par cette définition :

Bannum in legibus Langobardorum solidorum lx. vel totidem ictuum pœnam signifcat : et id quidem constanter, nisi si legis ipsius verbis aliter difinitur. Bannum autem et ab eo Bannire verbum, eadem omnino significatione, qua a Francis hodie usurpatur […].

[Dans les lois des Lombards, bannum signifie punition de 60 coups de bâton, ou du double, {c} et ce constamment, à moins que les mots de ladite loi ne l’arrêtent autrement. En dérive le verbe « bannir », que les Français emploient aujourd’hui exactement dans le même sens (…)]. {d}


  1. Pierre i Pithou, v. note [4], lettre 45.

  2. Bâle, Petrus Perna, 1574, in‑8o de 148 pages.

  3. En latin classique (Gaffiot), bannum a le sens général d’« amende ». Le sens restreint donné par Pithou se lit néanmoins dans les capitulaires de Charles le Chauve (ixe s.) : {i}

    « S’il s’est élevé un tel malfaiteur ou infidèle envers nous, que le comte n’ait pu l’arrêter lui-même dans son comté, qu’il prenne avec lui les hommes y demeurant, tant les nôtres que ceux des évêques, abbés et abbesses, et poursuive le malfaiteur jusqu’à ce qu’il l’ait pris. Et que celui qui ayant été appelé pour prendre un tel malfaiteur et a refusé de donner secours, compose le ban, {ii} s’il est homme libre, ou reçoive soixante coups s’il est colon. » {iii}

    1. Extrait transcrit en latin et traduit en français dans le tome huitième de la Théorie des lois politiques de France (Paris, Nyon aîné et fils, 1792, in‑8o), époque ii, partie iii, livre iv, chapitre xxv, article i, page 15.

    2. Obligation de servir dans l’armée du suzerain.

    3. Serf cultivant la terre du seigneur (colonus en latin).

  4. Bannir (publier un ban), au sens d’exclure et exiler, est néanmoins attesté en français depuis le xiie s.

Ménage n’a pas tenu compte de la faute que lui signalait Guy Patin : on la retrouve intacte dans son Dictionnaire de 1694.

2.
Adriani Turnebi Adversariorum tomi iii, triginta libris distincti : in quibus variorum auctorum loca intricata explicantur, obscura dilucidantur et vitiosa restituuntur. Opus perquam utile ac necessarium ad infinitos pene modos in humanioribus literis solvendos. Additi præterea Indices tres copiosissimi, unus Rerum et Verborum Latinorum : alter Græcorum : tertius Auctorum qui explicantur aut emendantur. Omnia vero in hac postrema Editione summa fide ac diligentia recognita et emendata : auctorum Locis, qui in his sine certa nota appellabantur, suis locis inserta, auctoribusque suis ascriptis, vocumque præcipuarum ad oram appositione, tum typorum varietate distincta et illustrata exhibentur.

[Trois tomes des Cahiers d’Adrianus Turnebus, {a} divisés en trente livres, où les passages d’auteurs divers sont expliqués quand ils sont entremêlés, éclaircis quand ils sont obscurs, et restaurés quand ils sont corrompus. Ouvrage tout à fait utile et nécessaire pour comprendre un nombre presque infini de tournures qui se trouvent dans les belles-lettres. On y a aussi ajouté trois très épais index : l’un des matières et des mots latins ; l’autre, des grecs ; et le troisième, des auteurs qui sont expliqués ou corrigés. Le tout a été augmenté et revu avec les plus grandes fidélité et diligence en cette dernière édition : quant aux passages des auteurs qui étaient cités sans référence assurée, ils ont été replacés au bon endroit, et mis en exergue par la citation dans la marge, et par des caractères typographiques distinctifs et bien visibles]. {b} . On donne la source et l’auteur des citations que les écrivains ont faites sans référence certaine…].


  1. V. note [20], lettre 392, pour Adrien Turnèbe (ci-devant Tournebœuf).

  2. Strasbourg, Lazarus Zetznerus, 1604, en un volume in‑fo de 1 134 colonnes, pour la dernière de plusieurs éditions dont la première a paru en 1564 ; ouvrage dédié au chancelier Michel de L’Hospital (v. note [3], lettre 102).

    C’est une impressionnante compilation philologique sur les auteurs de l’Antiquité gréco-latine, dont la note [33] du Borboniana 10 manuscrit donne un échantillon.


3.

Le même contresens (tout de même assez grossier pour un linguiste tel que Ménage) sur les Adversaires de Pierre i Pithou se lit en effet pages 95 (pour le mot Baron) et 193 (Champagne) ; mais non page 196 (Chapeler), où François Pihou, frère de Pierre i, est cité sans employer le mot Adversaires.

4.

Page 104, au mot Béjaune, qui est une corruption de « bec jaune », pour dire niais, inexpérimenté et, à présent, blanc-bec :

« Les Allemands […] appellent aussi un niais gelbsnabel, c’est-à-dire mot pour mot jaune bec. Dans leurs universités, on appelle pareillement Beanus l’écolier qui n’a pas encore déposé, pour user de leurs termes, c’est-à-dire qui n’a pas encore souffert les avanies que le dépositeur, qui est une personne publique et à gages, fait aux écoliers nouvellement arrivés des basses écoles aux écoles de droit. […] Chaque lettre de ce mot Beanus en fait cette définition : Beanus est asinus nesciens vitam studiosorum. {a} Je ne doute point que beanus n’ait été dit par corruption pour bejanus, et que bejanus ne vienne du français béjaune. »


  1. « est un âne qui ne connaît pas les manières des étudiants. »

Le « traité grotesque en latin, fait par un Allemand, » dont parlait Guy Patin était peut-être la parodie de thèse académique intitulée :

Themata Medica de Beanorum, archibeanorum, beanulorum et cornutorum quorumcunque affectibus et curatione. Ad quæ, Præsidente admodum præcellenti et exquisito Cornelio Cerasto Cornano, Medico et Cheirurgo Regio Beanorum, respondebit Cariollinus Tevetio Crufenas.

[Thèse médicale sur les affections et le traitement des niais, des archiniais, des petits niais et des cornus. {a} À laquelle répondra Cariollinus Tevetio Crufenas, sous la présidence du fort excellent et distingué Cornelius Cerastus Cornanus, médecin et chirurgien royal des niais]. {b}


  1. Sans doute les cocus.

  2. Cornanæ, Wolphgangus Blass ins Horn, sans date, in‑4o de 16 pages ; l’article 25 contient une épitaphe grotesque, datée du 6 juillet 1651, ce qui est tout de même fort tardif pour une mention dans une lettre que Patin aurait écrite le 20 du même mois.

5.

Page 111, au mot Bézoar, « antépénultième ligne, lisez Bauhinus » :

« Voyez […] Gaspar Bauchinus, {a} médecin de Bâle, au livre qu’il a fait de lapide Bezaar, Pancirolle tit. iii de sa 2e partie, {b} et Salmuth son commentateur. » {c}


  1. Sic pour Caspar Bauhinus :

    Caspari Bauhini Basileens. Archiatri et Praxeos Profess. ordinar. de Lapidis Bezararis Oriental. et Ocident. Cervin. et Germanici ortu natura differentiis veroque usu ex veterum et recentiorum placitis Liber priore editione auctior.

    [Livre de Caspar Bauhin, {i} archiatre de Bâle et professeur ordinaire de pratique médicale, sur l’origine, la nature, les diffrénces et l’emploi de la pierre de bézoard {ii} d’Orient et d’Occident, des cervidés et d’Allemagne, tiré des prescriptions énoncées par les auteurs anciens et modernes, plus riche que la première édition]. {iii}

    1. V. note [7], lettre 159.

    2. V. note [9], lettre 5.

    3. Bâle, Ludovicus Rex, 1625, in‑8o de 294 pages, première édition ibid. 1613.

  2. Livre premier des Antiquités perdues, et si au vif présentées par la plume de l’illustre jurisconsulte G. Pancirol {i} qu’on en peut tirer grand profit de la perte ; {ii} accompagné d’un second, des choses nouvellement inventées et auparavant inconnues. En faveur des curieux. Traduits tant de l’italien que du latin en français par Pierre de La Noüe. {ii}

    1. Guido Pancirole (Pancirollus, 1523-1599) est un jurisconsulte et antiquaire italien.

    2. Sic pour « qu’on peut tirer frand profit de ce qui a été perdu ».

    3. Lyon, Pierre Roussin, 1617, in‑12 de 261 pages ; v. note [2], lettre latine 176, pour Pierre de La Noüe.

      La pierre de bézoard est traitée dans le livre ii, chapitre iii, pages 209‑211.

  3. Le théologien réformé allemand Heinrich Salmuth (1522-1576) a traduit et richement commenté en latin les deux livres de Pancirole. Ménage renvoyait au titre iii (pages 257‑275) du second tome des Rerum memorabilium Guidonis Pancirolli (Amberg, Michael Forsterus, 1608, in‑8o de 740 pages).

6.

Observation vii de Guy Patin et Charles Guillemeau sur les us et abus des apothicaires (1648), « Du bézoard ».

7.

Page 134, ligne 17 (au mot Bourdon, au sens de « bâton »), à propos des « bourdes » : {a}

« Daubigny dans son Baron de Feneste : {b} Il faut que vous confessiez que les boiteux {c} y ont laissé un amas de bourdes plus haut que le plancher {d} de cette salle. C’est au chap. 5 du liv. ii, {e} où il produit ensuite cette épigramme :

Que dites-vous, disait naguère,
< Le bon curé des Ardilières, 
{e}
Des miracles qu’on fait céans
À la barbe des mécrants ? 
{b}
Je réponds qu’ils sont invisibes.
Vous êtes, dit l’autre, terribles :
Si vous ouvrez encore les yeux,
Si vos oreilles ne sont sourdes, > 
{f}
Tant de bourdes de ces boiteux ?
Qu’en dites-vous ? ce sont des bourdes
. » {g}


  1. « Potences dont se servent les estropiés pour se soutenir » : béquilles, qu’un miracle leur permet de transformer en ex-voto, dont on décore les sanctuaires.

  2. V. note [26], lettre 97, pour cet ouvrage de Théodore Agrippa d’Aubigné (1630).

  3. De Marthe la démoniaque, et autres miracles (page 61) : v. note [10], lettre 37, pour Marthe Brossier et la diablerie de Romorantin (1599). Dans sa citation, Ménage a corrigé le défaut d’élocution du baron, qui déformait les v en b.

  4. Esprits tordus, mécréants.

  5. Sic pour « plafond ».

  6. Notre-Dame des Ardilliers, v. note [19], lettre 535.

  7. J’ai ajouté entre chevrons les vers que Ménage a remplacés par « etc. ».

  8. « Mensonges dont on se sert pour s’excuser, ou pour se divertir de la crédulité des autres » (Furetière) : autre sens, plus commun de « bourdes » (billevesées).

8.

Page 177 (sic pour 176), avec cette définition des Jours caniculaires :

« Ces jours-là ont été ainsi appelés par les Latins, du lever Héliaque, {a} c’est-à-dire de la première apparition de la Canicule, {b} qui arrivait il y a environ deux mille ans vers le 20 juillet ; duquel temps ils commencent et durent selon l’opinion de quelques-uns trente jours, et quarante ou cinquante selon l’opinion des autres. À présent, la Canicule ne se lève que vers la mi-août. »

Guy Patin voulait faire étalage de son érudition en citant le volumineux ouvrage du P. Denis Petau « sur la science des temps », {c} principalement destiné à critiquer les travaux chronologiques de Joseph Scaliger. Sans doute pensait-il au passage du chapitre intitulé De anno Ægyptiaco, Scaligeri doctrina [Doctrine de Scaliger sur l’année égyptienne], {d} où Petau se réfère à Diodore de Scicile {e} pour dire que dans la Thèbes (Louxor) antique, la Canicule se levait le 1er août ou le 31 juillet selon un cycle quadriannuel.


  1. Terme d’astronomie : « on appelle le lever d’un astre héliaque [comme la Lune], lorsqu’il sort des rayons du Soleil qui l’offusquent [le dissimulent] de sa lumiere ; et son coucher héliaque, lorsqu’il entre dans ses rayons, soit que cela arrive par l’approche du Soleil vers l’astre, ou de l’astre vers le Soleil » (Furetière).

  2. La Canicule est autrement nommée l’étoile du Chien (Sirius). Les jours caniculaires sont ceux pendant lesquels « la Canicule domine, depuis le 24 juillet jusqu’au 23 août » (ibid.).

  3. Paris, 1627, v. note [4], lettre 119.

  4. Livre iii, chapitre i, § ii (tome premier, page 252).

  5. V. note [33] du Borboniana 3 manuscrit.

9.

Dans ses sept « commentaires sur les Aphorismes d’Hippocrate », {a} Jacques Houllier consacre les pages 170 vo‑171 vo au 5e de la 4e section :

Sub canicula et ante caniculam difficiles ac molestæ sunt purgationes.

[Pendant la canicule et avant la canicule, les évacuations sont laborieuses].

On y voit bien les contorsions auxquelles les préceptes d’Hippocrate contraignaient ses malheureux disciples au xviie s. :

Nam vehemens ille æstus Canis foras evocat materiam, quam medicamentum contra a circumferentia corporis trahit ad centrum. Quare hunc temporis purgationes sunt difficiles et molestæ, quia gravia et molesta inferunt accidentia. Loquitur autem hic Hipp. de medicamentis vehementibus et agitatoriis, quæ quidem etiamsi suspecta esse debeant per id tempus, magis tamen post 10. dies quam orta est Canicula, aut plus, sed non pauciores. Hoc quidem præceptum locum habet in Hipp. regione calidissima, et similibus, sed non item in his regionibus. Nam præterquam quod habemus benigna et levia medicamenta quibus utamur, qualia sunt cassia, catholicon, lac asininum etc. hic nullum tempus salubrius magisque temperatum (præsertim quum flant Etesiæ) experimur, quam dies caniculares, adeo ut experientia constet morbos Iunio et Iulio mense natos, solvi solere mense Augusto et sub Canicula. Quare si in hosce dies incidat morbus, non veremur sæpe venam aperire, et fortiora medicamenta imperare. Verumtamen si exoriatur vehemens ardor et canicularis (ut sæpe in Gallia mense Maio et Iunio) utemur consilio Hippocratis, tum in phlebotome, tum in purgationibus præscribendis.

[De fait, cette forte chaleur du Chien attire la matière à l’extérieur, alors que les remèdes la font au contraire passer de la périphérie vers le centre du corps. Voilà pourquoi, dans cette période, les purgations sont difficiles et laborieuses, et provoquent de graves et pénibles accidents. Toutefois, Hippocrate parle ici de médicaments puissants et fort perturbants qui, même s’ils sont à tenir pour suspects, sont requis durant ladite saison, surtout à partir du 10e jour de la maladie, mais jamais plus tôt. Ce précepte valait dans le pays d’Hippocrate, qui est très chaud, mais n’est pas à appliquer pareillement dans les nôtres car, outre que nous recourons à des remèdes plus anodins et légers, comme sont la casse, le catholicon, le lait d’ânesse, etc., {b} nous ne jouissons jamais ici d’un climat plus salubre et tempéré (en particulier quand soufflent les vents étésiens) {e} que pendant les jours caniculaires ; à tel point que l’expérience montre que les maladies qui naissent aux mois de juin et juillet se dissipent ordinairement au mois d’août et pendant la canicule. Si la maladie apparaît dans ces jours-là, nous ne craignons pas de saigner souvent et d’ordonner de puissants médicaments. Tant pour la phlébotomie que pour les purgatifs, nous nous rangerons néanmoins à l’avis d’Hippocrate s’il survient une forte chaleur caniculaire (comme il arrive souvent en France aux mois de mai et juin)]. {f}


  1. Genève, 1620, v. note [12], lettre 503.

  2. V. notes [13], lettre 15, pour la casse, [13], lettre 95, pour le catholicon, et [3], lettre 153, pour le lait d’ânesse : Guy Patin aurait sûrement ajouté le séné à cette liste de purgatifs, réputés doux, qui n’existaient pas au temps d’Hippocrate.

  3. V. note [10], lettre 709.

  4. Ces incompréhensibles tergiversations de Houllier sont la source probable de la conclusion qu’en a tirée Patin : « la canicule est passée quand elle semble commencer ».

10.

Page 180, Ménage donne quadragesima [espace de quarante jours, en latin] pour origine du mot Caresme, « à cause des quarante jours de jeûne qui précédaient la fête de Pâques » (v. note [10] du Naudæana 3).

11.

Guy Patin renvoyait à l’Observatio vo ad lib. de Oratione [ve Observation sur le livre de l’Oraison dominicale] (pages 27‑42) des observations de Nicolas Rigault « sur les neuf livres de Tertullien » : {a}

Osculum pacis post orationem. Jejunii celandi studium. Jejunia communia sive publica, et propria sive privata. Jejunia solida. Semijejuni. Stationes. Eucharistia reservata.

[Baiser de paix après l’oraison ; Observation du précepte qui commande de cacher son jeûne ; Jeûnes communs ou publics, et personnels ou privés ; Jeûnes complets ; Demi-jeûnes ; Stations ; {b} Eucharistie reportée]. {c}


  1. Paris, 1628, v. note [12], lettre 195 ; ce passage est aussi mentionné dans la note [10‑1] du Naudæana 3, avec le propos de Tertullien que Rigault y a commenté.

  2. Jours de jeûne prolongés jusqu’au coucher du soleil (comme la station ou faction du soldat).

  3. Pour cause de jeûne.

12.

Page 189, au mot Cervoise, {a} à l’érudite dissertation de Ménage sur l’étymologie du mot, Guy Patin propose d’ajouter le fruit de ses lectures latines : « Cervoise parce qu’elle rend visite au cerveau, {a} ou qu’elle est comme la vigueur de Cérès ». {c}


  1. La bière, v. note [34], lettre 176.

  2. Le trait vient des Epistolarum familiarum [Lettres familières] (Amsterdam, 1639, v. note [3], lettre latin 194) de son futur correspondant Reiner von Neuhaus (Regnerus Neuhusius). Une lettre écrite à son jeune frère Alexander Neuhusius, datée de Harlingen (Frise), le 1er décembre 1637, contient une longue suite de fantaisies étymologiques, dont : « Cerevisia : quod cerebrum visat » (7e ligne, page 197).

  3. De très nombreux ouvrages citent ce dicton, que le juriste allemand Andreas von Knichen (1560-1621) a ainsi expliqué dans le premier chapitre iv, pages 84‑85, de sa De Vestiturarum pactionibus, Pars altera… [Seconde partie sur les Conventions vestimentaires…] : {i}

    Isis uxor Osyris Ægyptia, dum parentibus suis, qui omnes reges fuisse scribuntur, sacrificaret, invenit hordei segetem, atque inde spinas marito regi et eius consiliario Mercurio, demonstravit. Unde Ægyptii eandem Cererem esse volunt, et ab hoc nomine cerevisia potus, qui de hordeo præcipuus fit, dicitur et etymologisatur cerevisia, cereris vis in aqua, meminit Gobelin.

    [L’Égyptienne Isis, épouse d’Osiris, quand elle offrait un sacrifice à ses ancêtres, qui, écrit-on, avaient tous été des rois, découvrit la pousse d’orge et en montra ensuite les épis à son royal mari et à son conseiller Mercure. De là vient que les Égyptiens ont voulu l’identifier à Cérès {ii} et en tirer le nom de la cervoise, boisson qui est principalement faite d’orge. Au dire de Gobelinus, {iii} la cervoise tire sa dénomination et son étymologie de Cereris vis in aqua]. {iv}

    1. Hanau, Claudius Marnius et héritiers de Ioannes Aubrius, 1607, in‑4o en deux parties de 148 et 487 pages.

    2. V. note [18], lettre 539, pour Cérès, déesse romaine des moissons et des céréales, qui est ici mêlée une curieuse réunion des panthéons égyptien et gréco-romain.

    3. Person Gobelinus (1358-1421), chroniqueur de Westphalie.

    4. « La vigueur de Cérès en liquide ».

13.

Page 294, au mot Épices, {a} « ligne 8 », le propos de Ménage que Guy Patin offre d’allonger est :

« ce mot d’épices est encore en usage en la signification de dragées et de confitures aux festins solennels des Écoles de théologie de Paris, où l’on a accoutumé de demander sur le dessert le vin et les épices ; la même chose se pratique dans les Écoles de médecine. »


  1. V. note [15], lettre 544.

14.

On appelait échaudé un « gâteau fait en forme de triangle ou de cœur avec de la pâte échaudée, de l’eau, du sel, et quelquefois avec du beurre et des œufs » (Furetière).

L’examen du baccalauréat (v. note [2], lettre 39) occupait toute la Semaine sainte, la dernière du carême. La collation des examinateurs respectait la règle de l’abstinence alimentaire catholique. « On appelle fruits de carême, les fruits secs et réservés pour le carême, comme raisins, figues, pruneaux, brignoles, etc. » (ibid. v. note [10] du Naudæana 3). L’abstinence du vin n’était de mise que le vendredi saint, jour où les examinateurs ne siégeaient que brièvement, se contentant de donner à chaque candidat un aphorisme d’Hippocrate à commenter le lendemain.

15.

Page 337, la définition du mot Galets se termine par : « Il y a une famille à Chinon qui s’appelle Galet. »

Le chapitre xxx du Gargantua de Rabelais, Comment Ulrich Gallet fut envoyé devers Picrochole, commence par ce paragraphe :

« Les lettres dictées et signées, Grandgousier ordonna que Ulrich Gallet, {a} maître de ses requêtes, homme sage et discret, duquel en divers et contentieux affaires il avait éprouvé la vertu et bons avis, allât devers Picrochole {b} pour lui remontrer ce que par eux avait été décrété. »


  1. Les éditeurs de Rabelais ont fait d’abondants commentaires sur l’identité réelle de ce personnage dénommé Ulrich Gallet ou Galet.

    • Note d’Abel Lefranc : {i}

      « Il y avait à Chinon un avocat du roi nommé Gallet. Proche parent et collègue d’Antoine Rabelais, {ii} Jean Gallet fut envoyé auprès du Parlement de Paris pour défendre les intérêts des marchands de la Loire et de ses affluents contre Gaucher de Sainte-Marthe {iii} (sept. 1532-août 1536). » {iv}

    • Note d’Esmangart et Éloi Johanneau : {v}

      « “ Il n’y a pas encore longtemps, dit Ménage, qu’il y avait à Chinon une famille du nom de Gallet. Gallet le joueur, qui a fait bâtir à Paris l’hôtel de Lully, {vi} était de cette famille ; et Ulrich ou Hurly Gallet, maître des requêtes de Gradgousier, en était aussi, à ce que nous apprend Ménage, qui l’avait ouï dire de Gallet le joueur ” (L.). {vii}

      Dupuy, {viii} dans ses remarques manuscrites sur Rabelais, dit en effet que Gallet était un habitant de Lerné, {ix} et qu’il y en avait encore de son temps à Chinon qui portaient ce nom. Bernier {x} dit également que c’est un nom de famille chinonnoise, dont le fameux joueur de ce nom se disait, […] . »

      1. Œuvres de François Rabelais (Paris, Honoré et Édouard Champion, 1913, tome second, page 278).

      2. Père de François.

      3. Père de Scévole i de Sainte-Marthe (dont le prénom originel était aussi Gaucher, v. note [9], lettre 48).

      4. Jacques Boulenger a détaillé ce long procs dans le tome 6 (1921) de La Revue des Deux Mondes (Au pays de Rabelais, 2e partie, pages 668‑670).

      5. Œuvres de Rabelais, Paris, Dalibon, 1823, tome second, page 96.

      6. Demeure que Jean-Baptiste Lully, surintendant de la Musique du roi, fit construire en 1670, à l’angle des rues Sainte-Anne et des Petits-Champs dans le ier s. arrondissement de Paris, sans avoir trouvé autre trace du dénommé Gallet le joueur dans son édification.

      7. Jacob Le Duchat, éditeur de Rabelais en 1741.

      8. Pierre Dupuy, v. note [5], lettre 181.

      9. En Touraine (Indre-et-Loire).

      10. Jean Bernier, v. note [53] du Faux Patiniana II‑2.

  2. V. notes [101], lettre 166, et [10], lettre 435.


16.

Page 345, Ménage donne cette définition du mot Gazette :

« De l’italien Gazetta, qui signifie proprement une espèce de monnaie de Venise, et pour laquelle on avait le cahier des nouvelles courantes. Depuis on a transporté ce nom au cahier même. »

17.

En italien, pie se dit gazza, et la gazzetta, piécette de monnaie, devait en effet son nom à la petite pie qui était frappée dessus.

V. note [3], lettre 90, pour la manière dont Guy Patin avait traité Théophraste Renaudot de babillard (blatero) en 1641, puis devant le Parlement un an plus tard.

18.

Page 376, au mot Haran :

« De l’allemand Haring qui signifie la même chose. Haring, hareng, haran. Arentia pour haran se trouve dans les anciens statuts de Saint-Benoît-sur-Loire. L’allemand haring peut avoir été fait du latin halec. » {a}

Guy Patin citait le quatrième livre de l’Historia animalium [Histoire naturelle des animaux] de Conrad Gesner, qui est consacré aux animaux aquatiques (aquatilibus). {b} Le hareng y est décrit et illustré sous le nom néolatin de Harengus {c} (édition de Francfort, 1604, pages 408‑411). {d}


  1. V. infra note [20] pour ce mot.

  2. V. note [7], lettre 9.

  3. Dans la nomenclature de Linné, le hareng de l’Atlantique porte le nom de Clupea harengus, où clupea est le nom latin de l’alose (v. infra note [19]).

  4. V. notes [28] et [29] du Grotiana 2 pour de riches compléments sur les harengs.

19.

« c’est une espèce d’alose ».

L’alose est une « sorte de poisson de mer ressemblant à la sardine, mais bien plus grosse, qui monte au printemps par les rivières, et surtout par les graveleuses, où elle devient fort grasse. On fait grand trafic d’œufs d’alose dans les Indes, où on en voit plusieurs grands navires tout chargés. En Latin alausa, d’où on a fait le mot français. Quelques-uns dérivent ce mot du Grec hals, qui signifie sel : car en effet l’alose aime tant le sel qu’elle suit les bateaux qui en sont chargés plus de trois cents lieues en terre. On l’a aussi appelée en latin clupea, et en grec thrilla » (Furetière).

20.

« n’est pas le nom d’un poisson, mais d’un condiment à base de poissons, différent de la saumure ».

Du grec alukos, salé, allec (hallec, allex, hallex) est un mot latin, sans équivalent français, désignant une « préparation culinaire à base de poisson décomposé » (Gaffiot), dont les Romains agrémentaient leurs plats. Équivalent antique du nuoc-mâm vietnamien, c’était la partie la moins prisée du garum, « assaisonnement liquide obtenu après décomposition de poissons gras dans du sel et des herbes aromatiques » (ibid.).

Furetière a assimilé le garum à la saumure : « Liqueur qui se fait du sel fondu, quand on a salé des viandes, du beurre ou autres choses. Les Latins l’ont appelée garum, les Grecs et Arabes muria, qui est la saumure de chair ou poisson salé ; quoique Pline dise que les anciens appelaient garum, la composition qui se faisait des intestins d’un poisson particulier nommé garum, qu’ils faisaient résoudre en sel. »

Contrairement à ce que disait Guy Patin, le hareng est présent dans presque toutes les mers froides du globe, et pas seulement en mer Baltique.

21.

« On appelait jadis porteurs d’eau les esclaves des prostituées, qui portaient de l’eau en abondance aux femmes pour qu’elles lavent leurs parties intimes après le coït » ; sur le mot Maquereau, pages 450‑451, avec ce propos de Ménage :

« Tripault dans son Celthellenisme, {a} et Savaron sur l’épître vi du livre ix de Sidonius Apollinaris, {b} le dérivent de aquariolus, qui dans Festus, Apulée et Tertullien, se prend pour un homme qui sollicite la pudicité des filles, et croient que nous avons ajouté une m à ce mot, comme à Mars de Αρης, etc. »


  1. Celt’-hellénisme, ou Étymologique des mots français tirés du grec. Plus Preuves générales de la descente de notre langue. Par Léon Trippault, sieur de Bardis, conseiller du roi au siège présidial d’Orléans (Orléans, Éloy Gibier, 1581, in‑4o de 311 pages), page 196 :

    « Mais pourquoi macquereau ne serait étymologisé de aquariolus, la lettre de m étant mise devant, et aussi macquerelle ? »

  2. Caii Sollii Apollinaris Sidonii Arvenorum episcopi Opera. Io. Savaro Claromontensis, Regis Christianiss. Consiliarius, Præses et præfectus Arveniæ, multo quam castigatius recognovit, et librum commentarium adjecit. ii. Editio multis partibus auctior et emendatior ; accesserunt indices locupletissimi.

    [Œuvres de Caius Solius Apollinaris Sidonius, évêque d’Auvergne ; {i} Jean Savaron, natif de Clermont-Ferrand, {ii} conseiller du roi très-chrétien, président et lieutenant général d’Auvergne, les a très abondamment corrigées et y a ajouté un commentaire. Deuxième édition augmentée et plus correcte, avec de très riches index]. {iii}

    On y lit ce commentaire du livre ix, lettre vi (première partie, pages 572‑573), portant sur les mots meretricii blandimenta naufragii [les séductions du naufrage entre les bras d’une sirène], où Sidonius implore la clémence du pape envers un de leurs amis communs qui avait renoncé à se débaucher avec une servante lubrique, semblable aux sirènes {iv} qui voulurent séduire Ulysse :

    Recte, nam in mythologicis Syrenum nomine meretrices intelliguntur, quæ in acta Siculi maris merebant, olimque meretrices in acta littoris cellas suas collocabant, unde expositis Romani imperii auctoribus in Tiberino littore meretrix ubera admovit, Livius, Florus, et reliqui, quæ Lupa dica est, à qua Lupanaria. […] Suetonius in Nerone c. 27 Quotiens Ostiam Tiberi deflueret, aut Baianum sinum præternavigaret, dispositæ per littora et ripas diversoriæ tabernæ parabantur insignes ganea matronarum institorio copas imitantium atque hinc inde hortantium ut appelleret, ex Seneca clarum est, Controver. 2 lib. i unde aquarii, et aquarioli, Festo, Apuleio in Apolog. et Tertull. oxinde Gallis adjecta m litera, maquereau, et bordeau.

    [Le mot est correct, car dans les écrits mythologiques, le mot sirènes est à entendre comme voulant dire prostituées ; elles sévissaient sur le rivage de la mer de Sicile et jadis, les prostituées installaient leurs cabanes sur les plages de la côte. De là est venu ce qu’ont conté des auteurs de l’Empire romain comme Tite-Live, Florus et d’autres, d’une opulente courtisane qui s’installa sur la rive du Tibre ; dénommée Lupa, elle a donné le mot lupanar. {v} (…) Suétone, au chapitre 27 de la Vie de Néron : « Chaque fois qu’il descendait le Tibre pour se rendre à Ostie ou dans l’anse de Baïes, on disposait, le long du rivage, des guinguettes et d’insignes bouges pour le commerce des matrones ; de là, elles s’exhibaient et l’incitaient à accoster. » {vi}. Il est clair que les mots aquarii et aquarioli viennent de Sénèque, Controverse 2, livre i, {vii} de Festus, d’Apulée en son Apologie, et de Tertullien, {viii}pour ensuite donner en français maquereau, après addition d’une lettre m, et bordel. {ix} »

    1. V. note [28], lettre 282.

    2. Jurisconsulte et historien (1566-1622).

    3. Paris, Hadrianus Perrier, 1609, in‑4o en deux parties de 620 et 210 pages.

    4. V. notule {b}, note [2], triade 1 du Borboniana 11 manuscrit.

    5. V. note [7], lettre 580, pour Lupa, la Louve, la putain, et pour son lupanar.

    6. Avec correction des coquilles que Savaron avait glissées dans le latin de Suétone. Ostie se situe à l’embouchure du Tibre et l’anse de Baïes, plus au sud, dans le golfe de Naples.

    7. Cette 2e controverse du livre i des Lucii Annæi Senecæ Controversiarum libri x [Dix livres de Controverses de Sénèque (l’Ancien ou le Rhéteur, v. note [22] du Naudæana 4)] discute le cas d’une prêtresse qu’on a prostituée de force.

    8. V. notes [12], lettre 460, pour Sextus Pompeius Festus, [33], lettre 99, pour Apulée, et [9], lettre 119, pour Tertullien.

    9. Assimilation de bordel, bordeau, à « bord de l’eau ».

.
22.

« Et pour que ses servantes ne pussent savoir que je ne l’avais pas touchée, elle a dissimulé son déshonneur en s’aspergeant d’eau » : Ovide, Les Amours (livre iii, élégie vii, vers 83‑84), concluant la mésaventure d’une femme qui, en dépit de toutes ses caresses, n’était pas parvenue à mettre le narrateur en capacité de l’honorer.

23.

Le haut de la page 482 correspond à la fin de la définition de Moutons à la grande laine :

« Espèce de monnaie de France. Rabelais au Prologue du Quart Livre. En Chinon il change sa coingnée d’argent en beaux testons et autre monnaie blanche, sa coingnée d’or en beaux saluts, beaux moutons à la grande laine, belles riddes, < beaux royaux, > beaux écus au Soleil. {a} À cause qu’elle avait d’un côté saint Jean-Baptiste, et de l’autre un mouton avec toute sa toison, dans la gueule duquel était une banderole avec ces mots, Ecce Agnus Dei. {b} On en voit encore dans les cabinets des curieux. »


  1. Histoire de Couillatris, « abatteur et fendeur de bois » qui, ayant perdu sa cognée, implora si bien les cieux que Jupiter ordonna qu’on lui rendît celle qu’il avait perdue et qu’on lui en donnât aussi deux autres, l’une en or, l’autre en argent.

    « Le teston, {i} frappé à l’effigie des rois de France, était la principale monnaie d’argent. Les saluts portaient sur une de leurs faces la salutation angélique, les moutons à grande laine un Agnus Dei ; les riddes (monnaie hollandaise), un chevalier en armes (ridder) ; les royaux, l’effigie du souverain ; les écus au Soleil, l’écu de France avec les fleurs de lys, surmonté d’une couronne et d’un petit soleil. ». {ii}

    1. V. note [25], lettre Boroboniana 2 manuscrit.

    2. Note de Mireille Huchon sur ce passage de Rabelais.

  2. « Voici l’Agneau de Dieu ».


24.

« Certains appellent catharma la nicotiane, {a} petun pour les indigènes ». {b}

En 1559, le roi François ii, fils aîné de Henri ii et de Catherine de Médicis, avait nommé Jean Nicot (Nîmes 1530-1604) ambassadeur de France au Portugal. Là-bas, le diplomate cultiva dans ses jardins des plants de tabac venus des Amériques et en envoya des feuilles à la reine, qui en apprécia les vertus médicinales. La nicotiane doit son nom à Nicot, mais il doit aussi sa célébrité à ses travaux philologiques, qui figurent dans le :

Trésor de la langue française, tant ancienne que moderne. Auquel entre autres choses sont les noms propres de marine, vénerie et fauconnerie, ci-devant ramassés par Aimar de Ranconnet, {c} vivant conseiller et président des Enquêtes en Parlement. Revu et augmenté, en cette dernière impression, de plus de la moitié par Jean Nicot, vivant conseiller du roi et maître des requêtes extraordinaires de son Hôtel. Avec une grammaire française et latine, et le recueil des vieux proverbes de la France. Ensemble le Nomenclator de Junius, {d} mis par ordre alphabétique, et crû d’une table particulière de toutes les dictions. {e}


  1. Ménage définit le mot Nicotiane à la page 488 des Origines de la langue française, en insistant surtout sur ses liens avec la reine Catherine de Médicis.

  2. V. note [18], lettre 822, pour les différentes dénominations du tabac ; en l’appelant « catharimaria » au lieu de « catharma », Guy Patin s’est perdu entre le prénom de Catherine de Médicis et le surnom qu’on lui donnait (v. infra notule {c}, note [28]).

  3. V. note [52] du Patiniana I‑4.

  4. Nomenclator, omnium rerum propria Nomina variis linguis explicata indicans ; multo quam antea emendatior ac locupletior ; omnibus politioris literaturæ Studiosis necessarius. Hadriano iunio medico auctore. Cum indice locupletissimo.

    [Répertoire, qui procure les noms particuliers de toutes choses expliqués en diverses langues : {i} mieux corrigé qu’auparavant et fort enrichi, indispensable à tous ceux qui étudient les belles-lettres. Par Hadrianus Junius, médecin. {ii} Avec un trs riche index]. {iii}

    1. Définitions des mots en latin, suivies de leur traduction en allemand, français, italien et espagnol.

    2. Adriaen de Jonghe (Hoorn, Frise occidentale 1511-Arnemuiden, Zélande 1575).

    3. Francfort, Egnolphus Emmelius, 1620, in‑8o de 545 pages, pour l’une de nombreuses éditions.

  5. Paris, David Douceur, 1606, in‑fo en 4 parties de 674, 32, 24 et 190 pages.

25.

À la suite d’une erreur commise, en 1554, par le botaniste et médecin flamand Rembert Dodoens (Malines 1517-Leyde 1585), {a} professeur de médecine à Leyde en 1582, on a longtemps assimilé le tabac à la jusquiame {b} jaune (Hyoscyamus lutea) ; il lui en est resté l’autre nom de hyoscyame (ou hyosciame) du Pérou.


  1. Dodonæus en latin, écrit Dodones par Guy Patin.

  2. V. notule {b}, note [21] de la Leçon sur le Laudanum et l’opium.

26.

« Neander a écrit un livre sur la Tabacologie » :

Tabacologia : hoc est Tabaci, seu Nicotianæ descriptio medico-chirurgico-phamaceutica vel ejus præparatio et usus in omnibus ferme corporis humani incommodis. Per Johannem Neandrum Bremanum, Philosophum et Medicum.

[Tabacologie, qui est la description médico-chirurgico-pharmaceutique du tabac ou nicotiane, avec sa préparation et son usage dans absolument toutes les incommodités du corps humain. Par Johannes Neander, {a} médecin et philosophe natif de Brême]. {b}


  1. Le portrait du très beau Johann Neander (1596-1632) figure au début du livre. Dessiné en 1622, en sa 26e année d’âge, il est accompagné de ces vers, signés « P.S. » :

    Qui nitet hîc Phœbo Juvenis formiosor ipso,
    Non minor herbarum est, non minor arte lyræ.
    Hunc tenuit Sophie, Clariæ tenuere sorores ;
    Sed fuit Hippocratis maxima cura sui.
    En nunc fumifici surgit cantata Tabaci
    Gloria : virtutes quas habet herba, legis.
    Quid audes, Philocapne ? tuo non ista palato
    Serviet, affectis sed, Panacea, locis
    .

    [Le jeune homme qui brille ici, plus beau que Phébus {i} en personne, ne lui est inférieur ni dans l’art des plantes, ni dans celui de la lyre. {ii} Sophie {iii} l’a habité, les sœurs de Claros {iv} l’ont habité, mais il s’est voué au très grand art d’Hippocrate. Et voilà maintenant que par son chant s’élève la gloire du tabac vaporeux : tu recueilles les vertus que possède cette herbe. Que n’oses-tu, toi l’ami de la fumée ? {v} Cette panacée ne rendra pas service à ton palais, mais à tes parties affectées].

    1. Apollon, v. note [8], lettre 997.

    2. Principal attribut d’Apollon, dont les talents thérapeutiques, chantés par Virgile (v. note [2], lettre latine 22), reposaient sur l’habile emploi des plantes.

    3. Déesse de la sagesse.

    4. Claros est un autre nom d’Apollon, à qui le mythe a donné les neuf Muses pour sœurs.

    5. Philocpane (fome impérative) est un néo-hellénisme, unissant philein [aimer] et kapnos [fumée], à rapprocher de tabacocapnie (v. infra note [27]).
  2. Leyde, Isaac Elsevier, 1626, in‑4o de 257 pages.

    L’ouvrage est entièrement consacré à l’histoire naturelle et aux vertus médicinales du tabac, pour en promouvoir la consommation et le commerce. La qualité de l’impression et des gravures peut laisser penser qu’il a été subventionné par les marchands de ce produit.


27.

« Il n’y a donc rien de bon à la tabacocapnie par nez et par bouche » : {a} conclusion négative de la thèse cardinale portant sur la question An cui bono tabaccocapnia per nares et os ? [Y a-t-il quelque chose de bon à la tabacocapnie par nez et par bouche ?], disputée le 2 avril 1626 par le bachelier Urbain Bodineau {b} sous la présidence de Jacobus Letus. {c}


  1. La tabacocapnie est le nom qu’on donnait alors à l’inhalation du tabac, sous forme de fumée ou de prise.

  2. V. note [2], lettre 12.

  3. Docteur régent de la Faculté de médecine de Paris, natif d’Aberdeen en Écosse, reçu en 1604.

28.

V. note [3], lettre 220, pour ce passage de l’Euphormion de Jean Barclay.

Gilles Ménage, quant à lui, cite cette épigramme de George Buchanan, intitulée De Nicotiana falso nomine Medicæa appellata [De la Nicotiane, affublée du faux nom de Medicæa], Miscellaneorum Liber [Livre de vers mêlés] (Poemata, page 419) : {a}

Doctus ab Hesperiis rediens Nicotius oris
Nicotianam rettulit ;
Nempe salutiferam cunctis languoribus herbam
Prodesse cupidus patriæ.
At Medice Catharina,
καθαρμα luesque suorum,
Medæa sæculi sui,
Ambitione ardens, Mediceæ nomine plantam
Nicotianam adulterat :
Utque bonis cives prius exuit, exuere herbæ
Honore vult Nicotium.
At vos auxilium membris qui quæritis ægris,
Abominandi nominis
A planta cohibete manus, os claudite, et aures
A peste tetra occludite.
Nectar enim virus fiet, Panacea venenum
Medicea si vocabitur
.

[Revenant du pays des Hespérides {b} et désirant rendre service à sa patrie, le savant Nicot a rapporté la nicotiane, herbe salutaire en toutes maladies ; mais Catherine de Médicis, Catharma {c} et calamité de ses sujets, Médée de son siècle, {d} brûlante d’ambition, corrompit en médicée le nom de la plante de Nicot. Tout comme elle avait d’abord dépouillé les Français de leurs biens, elle veut dérober à Nicot la gloire de son herbe. Mais vous qui cherchez un secours à vos maux, tenez vos mains loin d’une plante qui porte ce détestable nom, gardez-vous de le prononcer et de l’entendre, c’est celui d’une horrible peste ; car si vous l’appelez Médicée, vous transformerez un nectar en poison, et une panacée en venin]. {e}


  1. Amsterdam, 1641, v. première notule {a}, note [11], lettre 65.

  2. Le Portugal, où Jean Nicot fit son ambassade (v. supra note [24]) : on appelait Hespérie la péninsule ibérique, partie la plus occidentale de l’Europe, à cause d’Hesper (ou Vesper), autre nom de Vénus, planète qui paraît le soir à l’ouest. Dans la mythologie, Hesper, frère d’Atlas (v. note [54] du Patiniana I‑4) et père des Hespérides, fut changé en étoile.

  3. Mot grec pour désigner l’objet qu’on rejetait comme impur dans les lustrations (rites de purification).

  4. V. note [13], lettre 695, pour Médée la Magicienne.

  5. Buchanan ne s’en prenait donc pas au tabac, mais à la reine Catherine de Médicis, tenue pour responsable des massacres de la Saint-Barthélemy.

29.

Dans ses lettres françaises, Guy Patin a parlé de cinq manies : sa propre bibliomanie (passion des livres), la métromanie ou hystéromanie (passion utérine), la démonomanie (diableries), la pérégrinomanie (passion des voyages) et, ici, la tabacomanie.

30.

La diatribe de l’écrivain et historien italien Agostino Mascardi (Sarzana 1590-ibid. 1640) contre le tabac se lit dans le cinquième de ses Ethicæ prolusiones [Préludes éthiques], {a} intitulé De nimio in valetudine curanda studio [Du soin extrême qu’il faut mettre à préserver la santé] (pages 67‑87), avec ce passage des plus expressifs (page 84) :

Ab ea Indiæ parte, quæ solem occidentem excipit, non multis ab hinc annis in Europam herba cum mercibus navigavit. Tabaccum vulgus appellat ab insulæ nomine, illius uberrime feraci. Huiusce igitur graminis, vel ambusti fumus, vel contusi pulvisculus a recte valentibus ad tutelam sanitatis adhibetur. Nasus utriusque curationis non testis modo, sed vias est. Quemadmodum enim Rolandus (Orlandum dicunt), apud nostratem, sed primi nominis poetam furiose delirans, epoto per nares cerebro ad ingenium rediit ; ita qui sanitatem sagaci nare venantur, peregrino vel fumo, vel pulvere nasum vexant, atque ita valetudinem per nasum imbibere se constanter argutantur. Et fumosæ quidem, ac nigræ animæ fistula in os inserta ad lucernam stolide lucubrantes, fumum hauriunt, quem paulo post faucibus regerant, et per nares ejectent. Parum esset si oleum atque operam perderent ; verum tanta totius oris turpitudine fumum efflant, ut mihi videar in Aventino versipellem alieni pectoris abactorem Cacum in spelunca cum Hercule decernentem intueri.

Ille autem (neque enim fuga iam super ulla pericli est)
Faucibus in gentem fumum, mirabile dictu,
Evomit, involvitque domum caligine cæca.

Alii vero pulverem (utique non olympicum) colligentes, parvas ex ebore, vel e peregrino cortice pyxides, argento, auroque vermiculatas ambitiose circumferunt ; ex quibus deprompto pulvisculo nares identidem vellicant, et sternuamentum a cerebo, iniectu pulveris extorquent.

[Il y a peu d’années, une herbe a traversé les mers avec les marchands depuis cette partie de l’Inde où le soleil couchant termine sa course. On l’appelle communément tabacco, d’après le nom de l’île où elle pousse en grande abondance. {b} Des gens en excellente santé, afin de la conserver, emploient donc cette plante, soit en la brûlant pour en faire de la fumée, soit en l’écrasant pour en faire une fine poudre. Dans ces deux manières de faire, le nez n’est pas simplement le dépôt du tabac, mais bien sa voie de pénétration. C’est ainsi qu’en notre pays, Rolandus (qu’on appelle Orlandus), {c} qui délirait furieusement en se croyant un poète de premier renom, revint à la raison après s’être épuisé le cerveau par les narines ; et voilà comme ceux qui sont à l’affût de la bonne santé, avec un flair subtil, se tourmentent le nez avec une fumée ou une poudre étrangère, et expliquent invariablement qu’ils s’imprègnent de salubrité par ce canal. Ces esprits fumeux et noirs passent stupidement leurs nuits auprès de la lampe, une pipe plantée dans la bouche, aspirant une fumée qu’ils s’envoient peu après dans la gorge, puis rejettent par les narines. Ce ne serait pas bien grave s’ils ne faisaient que gaspiller leur huile et leur temps ; {d} mais ils exhalent leur fumée en se gâtant si fort toute la bouche qu’il me semble voir le rusé brigand Cacus en sa grotte de l’Aventin, décidant avec Hercule de qui aura la peau de l’autre.

Ille autem (neque enim fuga iam super ulla pericli)
Faucibus ingentem fumum, mirabile dictu,
Evomit involvitque domum caligine cæca
. {e}

Mais d’autres recueillent la poussière (qui n’a rien d’olympique), {f} ils portent avec eux de petites boîtes en ivoire ou en bois exotique complaisamment incrustées d’argent et d’or ; après en avoir tiré une fine poudre, ils s’en agacent sans cesse le nez, et le jet de poudre provoque un éternuement qui leur vient du cerveau].


  1. Paris, Sébastien Cramoisy, 1639, in‑4o de 240 pages.

  2. L’île de Tobago, au sud des Antilles ; mais une étymologie plus assurée est tabaco, mot que donnaient les Indiens Arawak de ces contrées à la sorte de pipe qu’ils utilisaient pour fumer le tabac.

  3. Roland de Lassus (Orlando di Lasso, Mons 1532-Munich 1594), poète et musicien flamand, considéré comme le plus grand compositeur du xvie s., a vécu en Italie de 1545 à 1555. Il y retourna à plusieurs reprises après s’être établi en Bavière.

  4. Plaute, v. note [12], lettre 139.

  5. « Quant à lui (qui n’a plus d’autre issue au péril), il vomit à plein gosier, ô prodige ! un nuage de fumée et enveloppe sa demeure dans un noir brouillard » (Virgile, Énéide, chant viii, vers 251‑253).

    Brigand mythique, Cacus, fils de Vulcain, habitait les environs du mont Aventin. Il déroba des bœufs à Hercule (v. note [3], lettre de Reiner von Neuhaus, datée du 21 octobre 1663) et les fit entrer dans sa caverne à reculons, afin que les traces de leurs sabots ne permissent pas à leur propriétaire de les retrouver ; mais un d’entre eux s’étant mis à mugir lorsque le reste du troupeau passa, Hercule enfonça la porte de l’antre et assomma Cacus.

  6. Horace, Odes, livre i, i, vers 3‑4 :

    Sunt quos curriculo pulverem Olympicum
    collegisse juvat metaque fervidis
    .

    [Il en est qui ont recueilli la poussière olympique en courant, et la ligne d’arrivée stimule les plus ardents].

31.

« pour dissuader ses compatriotes de s’adonner à cette vénéneuse tabacocapnie ».

Raphael Thorius, médecin d’origine flamande émigré à Londres, mort en 1625, a laissé plusieurs ouvrages en vers latins, dont un Hymnus tabaci [Hymne du tabac] (Leyde, Isaac Elsevier, 1628, in‑4o de 55 pages ; première édition ibid. 1622). Thorius est auteur d’une épître sur la maladie et l’autopsie d’Isaac Casaubon (en juillet 1614, v. notule {d}, note [13], lettre 433).

32.

Page 599, au mot Scorbuth, Ménage ne double pas le second kappa de στομακακη ; il se réfère au livre d’André Falconet sur le sujet (Lyon, 1642, v. note [18], lettre 80) pour étymologiser sur le mot scorbut.

33.

« Le scorbut est une maladie de la rate ; Galien ne l’a pas connue, mais Hippocrate l’a décrite. Il ne faut pas l’appeler stomacacé, comme on fait communément, mais stomacaccé : en effet, dans les Nuées d’Aristophane, kakkê veut dire merde ; et si je ne me trompe, donne en latin caco, sans du tout qu’on ait à s’étonner de ses emplois par un poète. Stomacaccé est donc une puanteur de bouche. »

Pour justifier le doublement du c qu’il réclame dans le mot stomacacé, qui est un signe de scorbut avéré (v. note [5], lettre 427), Guy Patin en appelle aux deux kappa du mot grec κακκη (kakkê, la merde) ; il renvoie à son emploi par Aristophane dans sa pièce intitulée Les Nuées. On y lit en effet cette mésaventure de Socrate (v. note [4], lettre 500) : « Il observait le cours de la Lune et ses révolutions, la tête en l’air, la bouche ouverte ; un lézard, du haut du toit, pendant la nuit, lui envoya sa fiente » ; mais Aristophane la raconte sans utiliser le mot kakkê.

Caco, en latin, signifie « je chie ». Martial est le poète qui a le plus employé ce verbe et ses dérivés : on le lit dans sept de ses épigrammes.

34.

« et quantité d’autres que je pourrais vous procurer » V. notes [6] et [8], lettre 427, pour ces auteurs allemands, médecins ou philologues, et une demi-douzaine d’autres qui ont disserté sur le scorbut.

35.

Page 654, Ménage écrivait du mot vérole, pris au sens de variole (petite vérole, v. note [4], lettre 81), et non de syphilis (grande vérole) :

« De variola, à cause qu’elle varie et diversifie par des taches la couleur du visage. C’est pourquoi, dit le président Fauchet au livre de l’Origine des armoiries, il faudrait écrire vairole. {a} Turnèbe sur ce mot de Cicéron contre Isoricus, rapporté par Quintilien au chap. de risu : {b} Miror quid sit quod pater tuus homo constantissimus te nobis varium reliquit. Vari (dit-il) appellantur pustulæ quæ toto corpore, præsertimque facie nasci solent, quasdamque in vultus cavitates facere, verolas vulgo vocant. Inde varius homo dicitur per ambiguitatem vel inconstans, vel illis cavitatibus deformis. {c} Voyez vair et rougeole. Voyez aussi M. de Saumaise en son livre des Années climatériques, page 726, où il montre que cette maladie a été connue des Anciens. » {d}


  1. Origines des chevaliers, armoiries et hérauts. Ensemble de l’ordonnance, armes et instruments desquels les Français ont anciennement usé dans les guerres. Recueillies par Claude Fauchet, {i} livre i, chapitre ii, Des Armoiries, page 22 ro :

    « Quant au mot de Vair, {ii} il vient de variare, puisque les médecins appellent variola la maladie des petits enfants, qu’on doit écrire vairolle, pource qu’elle tache, et varie et diversifie la couleur du visage. »

    1. Paris, Jérémie Périer, 1600, in‑8o de 119 pages ; v. note [47] du Patiniana I‑4, pour Claude Fauchet.

    2. Le vair est un terme de blason, fait « de plusieurs petites pièces d’argent et d’azur, à peu près comme une cloche de melon ; les vairs ont la pointe d’azur opposée à celle d’argent, et la base d’argent opposée à celle d’azur » (Thomas Corneille).

  2. V. note [4], lettre 244, pour l’Institution oratoire de Quintilien, dont le chapitre iii du livre vi est intitulé De risu [Du rire].

  3. Commentaires d’Adrien Turnèbe {i} sur le susdit chapitre des Institutions oratoires de Quintilien, {ii} 5e paragraphe, page 89 ro :

    « “ Je m’étonne que ton père, qui était le plus constant des hommes, nous ait laissé quelqu’un d’aussi changeant que toi. ” {iii} On donne (dit-il) le nom de vari aux pustules qui naissent communément par tout le corps, et principalement au visage, pour y creuser des cavités ; c’est ce qu’on appelle vulgairement verolæ. Il y a donc ambiguïté quand on dit d’un homme qu’il est varius : soit il est de caractère changeant ; soit il est défiguré par ces cavités. »

    1. V. notes [2] supra.

    2. Paris Thomas Brumennius, 1586, in‑4o de 298 pages.

    3. Phrase de Quintilien sur laquelle porte le commentaire de Turnèbe qui la suit (« dit-il »).
  4. V. note [27], lettre 146, pour ce traité de Claude i Saumaise de Annis climactericis (1648). Le précepte qu’il y défendait, page 726, sur l’ancienneté de la variole, était que :

    Quæ dicuntur hodie variolæ et morbillis, rubiolas nos vocamus, non nemo credit hodiernorum medicorum antiquo ævo fuisse incognitas.

    [Plus aucun médecin moderne ne croit que les maladies qu’on appelle varioles et rougeoles, et que nous regroupons sous le nom d’érythèmes, aient été inconnues dans l’Antiquité]

    Ce qui était très probablement inconnu dans l’Antiquité était la grosse vérole (syphilis).


36.

Historiæ Francorum scriptores coætanei, ab ipsius gentis origine, ad Pipinum usque Regem. Quorum plurimi nunc primum ex variis Codicibus mss. in lucem prodeunt : alii vero auctiores et emendatiores. Cum epistolis Regum, Reginarum, Pontificum, Ducum, Comitum, Abbatum et aliis veteribus Rerum Francicarum Monumentis. Opera ac studio Andreæ Du Chesne Geographi Regii. Tomus i.

[Les écrivains contemporains de l’Histoire des Francs, depuis l’origine de ce peuple jusqu’au roi Pépin. {a} Les écrits de nombre d’entre eux, tirés des manuscrits, paraissent pour la première fois ; ceux des autres sont fort corrigés et augmentés. Avec les lettres de rois, de reines, de papes, de ducs, de comtes, d’abbés et avec d’autres mémoires anciens sur l’Histoire des Francs. Par les soins et les travaux d’Andreas Du Chesne, géographe du roi. {b} Tome i] {c}

Page 215 :

Anno iv Cons. Iustini Iun. Aug. Ind. iii.
Hoc anno morbus validus, cum profluvio ventris, et variola, Italiam, Galliamque valde afflixit ; et animalia bubula per loca suprascipta maxime interierunt. Eo anno mortuus est Celsus Patricius.

[En la quatrième année du règne de Justinus Junior, mois d’août, 3e indiction. {d}
En cette année, une forte maladie a gravement affligé l’Italie et la France, avec flux de ventre et variole ; et les bovins périrent en grand nombre dans les susdits pays]. {e}


  1. Pépin dit le Bref a régna de 751 à 768.

  2. André Du Chesne (Andreas Chesneus ou Querneus, L’Île-Bouchard 1584-Paris 1640), géographe et historien.

  3. Paris, Sébastianus Cramoisy, 1636, in‑fo de 916 pages, premier de 2 tomes.

  4. Justinus Junior est un empereur byzantin qui régna sous le nom de Justin ii de 565 à 578 ; ce qui date ce passage de l’an 569.

  5. La source indiquée dans la table qui se trouve au début de l’ouvrage est l’Appendice de la :

    Marii Aventicensis seu Lausanensis episcopi Chronicon. A tempore, quo Prosper Aquitanus desinit, usque ad annum vulgaris Æræ dlxxxi. Ex pervetusto Cod. Ms. Petri Francisci Chiffletii Societatis Iesu nunc primum in lucem editum.

    [Chronique de Marius, {i} évêque d’Avenches, autrement dit Lausanne. {ii} Depuis la mort de Prosper d’Aquitaine à l’an 581 de notre ère. Provenant d’un très vieux manuscrit de Pierre-François Chifflet, de la Compagnie de Jésus, {iii} ici mis en lumière pour la première fois].

    1. Marius d’Avenches en fut le dernier évêque, de 573 à sa mort, en 593. Natif d’Autun, il est surtout connu pour sa Chronique qui prolongeait celle de Prosper d’Aquitaine (v. seconde notule {a}, note [38], lettre 348), disciple d’Augustin d’Hippone et lui-même continuateur de la Chronique universelle de saint Jérôme.

    2. Avenches est une ville du canton de Vaud, proche du lac de Morat, une centaine de kilomètres au nord-est de Lausanne.

    3. V. note [3], lettre 828.

37.

La page 714 correspond à la fin d’un copieux complément au mot Four<r>age (défini pages 324‑326). On y lit aux 5e à « 7e lignes » : « Il y a à Paris une autre rue au Feurre, qui est proche le cimetière Saint-Innocent, et où demeurent les marchands de soie. » V. note [44], lettre 485, pour la rue aux Fers.

38.

Page 775, Ménage définit en effet curieusement Bru par une espousée.

Guy Patin s’en étonnait, mais sans voir que Ménage renvoyait à l’étymologie donnée à bru, page 154 : « de l’allemand bruyt qui signifie une espousée. » Dans cette addition, il complétait son propos par : « Les anciens Allemands disaient druchte ou druthe pour sponsa » ; en latin, sponsa signifie « fiancée » (du fils).

39.

Définition du mot Menace, page 811 :

« De minaciæ, qui se trouve dans Plaute in Milite glorioso, acte 2, scène 4 : Non possunt mihi minaciis tuis hisce, oculi fodiri. {a} »


  1. « Tes menaces ne peuvent m’ôter les yeux de la tête », réplique (vers 374) de l’esclave Sceledrus à la courtisane Philocomasie dans le Miles gloriosus [Le Soldat fanfaron] (v. note [10], lettre 541).

40.

« ils terrifient le peuple avec leurs menaces ».

Le Prologus in Plauti comœdiam Menæchmos [Prologue aux Ménechmes de Plaute] {a} d’Ange Politien {b} se trouve dans le livre viii des Épîtres, pages 95‑96 de ses Opera omnia [Œuvres complètes] ; {c} il est composé de 48 vers, dont l’avant-dernière strophe s’attaque aux moines :

Sed qui nos damnant, histriones sunt maxumi.
Nam Curios simulant, vivunt bacchanalia.
Hi sunt præcipue, quidam clamosi, leves,
Cucullati, lignipedes, cincti funibus,
Superciliosum, incurvicervicum pecus.
Qui quod ab aliis et habitu et cultu dissentiunt,
Tristesque vultu vendunt sanctimonias,
Censuram sibi quandam, et tyrannidem occupant.
Pavidamque plebem territant minaciis
.

[Mais ceux qui nous {d} blâment sont de parfaits bouffons. Ils feignent d’être des Curius, mais mènent une vie de débauche. {e} Ce sont surtout des braillards, inconsistants, encapuchonnés, portant galoches, ceinturés de cordes ; un troupeau renfrogné qui va la tête courbée. Comme ils se distinguent des autres par l’habit et la manière de faire, sinistres de mine, ils vendent des indulgences, {f} ils s’arrogent le droit de censurer et de tyranniser, et ils terrifient le peuple avec leurs menaces].


  1. V. note [9], lettre 75.

  2. Angelo Poliziano (v. note [7], lettre 855) était un chanoine de Florence qui n’aimait pas les moines.

  3. Bâle, 1553, v. notule {a‑ii}, note [21], lettre 527.

  4. Nous les poètes.

  5. Marcus Curius Dentatus est un consul romain du iiie s. av. J.‑C. tenu pour un parangon de frugalité et de désintéressement. Qui Curios simulant et Bacchanalia vivunt est un vers de Juvénal (Satire ii, vers 3) que Rabelais a aussi repris dans son Pantagruel (livre ii, chapitre xxxiv).

  6. V. note [7], lettre 31.

41.

Page 838, dans son addition à la définition du mot Sirop, Ménage écrit : « Quelqu’un dit que le sirop est ainsi appelé, comme si c’était Συριας οπος, Syriæ succus [suc de Syrie], mais cela est ridicule. »

Dans sa définition première (page 609), Ménage tirait le mot sirop de l’arabe schirab, potion ; pour la même raison et par le verbe scharab, « boire », Littré (DLF) rapproche sirop de sorbet.

42.

« de suraô, c’est-à-dire je tire »

Guy Patin était si sûr de son fait qu’il écrivait ici sirop (comme plusieurs autres ailleurs) avec un y (upsilon), syrop ; suraô n’étant attesté dans aucun dictionnaire de grec ancien, sans doute voulait-il écrire συρω et rejoindre l’étymologie que Furetière a ajoutée à celle de Ménage :

« D’autres le dérivent du grec syrô, qui signifie “ je tire ”, et de opos, qui signifie “ suc ”. »

43.

Page 839, Ménage dit de Spagirique :

« C’est ainsi que Paracelse {a} appelle un alchimiste ; et Vossius de vitiis sermonis, page 606, {b} tient que ce mot est formé de σπαν, trahere, extrahere, et d’αγειρειν, congregare, {c} c’est-à-dire des deux principales fonctions de l’art, dont ceux qui en font profession enseignent comment il faut composita resolvere et resoluta componere. » {d}


  1. V. note [7], lettre 7.

  2. V. notule {c‑ii}, note [7], lettre 203, pour les quatre livres de Gerardus Johannes Vossius « sur les vices du discours » (Amsterdam, 1645) : livre iii, chapitre l, page 606, dont Ménage a strictement repris l’étymologie (comme a plus tard fait Littré DLF).

  3. « tirer, extraire […] et rassembler ». Σπαν (span) est l’infinitif contracté de σπαδονιζειν, arracher (précision aimablement fournie par le Pr Sophie Minon, v. note [1], lettre 115).

  4. « dissocier ce qui est composé et composer ce qui est dissocié » ; ce qu’on désigne aujourd’hui en chimie sous les noms d’analyse et de synthèse. V. note [1], lettre 824, pour le sens de « médecin chimiste » (et donc exécrable à ses yeux) que le mot spagirique avait pris sous la plume de Guy Patin.

44.

« selon Zwinger {a} en son Examen des principes chimiques, chapitre i, page 11, {b} apo tou span qui signifie arracher, déchirer, et ageinein, rassembler : ce qui s’applique d’un côté aux substances hétérogènes, de l’autre aux substances homogènes. »


  1. Jakob Zwinger (Bâle 1569-ibid. 1610), fils de Theodor, {i} exerça la médecine en sa ville natale et y tint la chaire de langue grecque. Il a été le maître et l’ami de Caspar Hofmann. {ii}

    1. V. note [34], lettre 297.

    2. V. note [20], lettre 407.

  2. Iacobi Zwingeri Philosophi et Medici Basil. Principorum chymicorum Examen ad generalem Hippocratis, Galeni, cæterorumque Græcorum et Arabum consensum institutum : Elegantibus nonnullorum remediorum præparationibus exornatum. Cum Indice locupl.

    [Examen des principes chimiques de Jakob Zwinger, philosophe et médecin de Bâle, en vue d’établir un accord général entre Hippocrate, Galien, d’autres auteurs grecs et des Arabes ; enrichi des préparations correctes de quelques remèdes. Avec un très riche index]. {i}

    À la page 11, du chapitre premier, De nomine Chymiæ [Sur le mot chimie], Zwinger procurait en effet l’étymologie précise (paracelsiste) que Vossius avait reprise 35 ans plus tard, {ii} précédent que Guy Patin signalait ici à Gilles Ménage :

    Spagyricam primus Theophrastus Paracelsus Helvetius : etymo forsan non penitus inepto, απο του σπαν, quod vellere, divellere, et αγειρειν quod congregare significat

    [Le Suisse Théophraste Paracelse a inventé la Spagirique, avec une étymologie qui n’est peut-être pas tout à fait déraisonnable, faite à partir de span…]. {ii}

    1. Bâle, Sebastianus Henricpetri, 1606, in‑8o de 259 pages.

    2. V. supra notule {b}, note [43].

    3. Patin a recopié la suite.

45.

« Iohannes de Hortis, autrement nommé Des Jardins, médecin de Paris et médecin du roi, mourut le dernier jour de janvier 1548. Il avait été reçu docteur de notre Faculté en l’an 1523. »

Telles ne sont pourtant pas les indications chronologiques que Ménage a plus tard retenues dans sa Vita Johannis Hortensii, Medici Parisiensis. Scriptore Ægidio Menagio ad Petrum Guillelmum Menagium, Fratris filium [Vie de Jean Des Jardins, médecin de Paris. Par Gilles Ménage à l’intention de Pierre Guillaume Ménage, fils de son frère] qui apparaît dans les Preuves (pages 511‑517) de ses :

Vitæ Petri Ærodii, quæsitoris regii Andegavensis, et Guillelmi Menagii, advocati regis Andegavensis. Scriptore Ægidio Menagio.

[Vies de Pierre Ayrault, lieutenant criminel du roi à Angers, {a} et de Guillaume Ménage, avocat du roi à Angers. {b} Par Gilles Ménage]. {c}


  1. Grand-père maternel de Gilles Ménage.

  2. Père de Gilles Ménage.

  3. Paris, Christophe Journel, 1675, in‑4o de 540 pages.

En voici quelques extraits :

Johannes de Hortis, proavus meus, atavus tuus, Petre Guillelme Menagi ; sive potius Johannes Hortensius ; nam ita se appellari voluit ; mutas quidem agitavit artes, sed non, ut Virgilianus ille Iapis, inglorius : fuit enim Francisci i. Regis Galliæ, Medicus celeberrimus. […] Anno Christianorum m. iɔ. ix. factus Magister in Artibus […]. Humaniorum litterarum in Schola cardinalicia Professorem tunc fuisse […]. Ad Medicinæ studium cum se postea contulisset, Baccalarius factus anno m. iɔ. xiv. anno m. iɔ. xvii. sub Decanatu Ludovici Brallonis, Medici celeberrimi, popularis sui ; erant enim ambo Laudunenses ; secundum locum, qui priori honoratior haberi solet, in Licentiatorum ordine consequutus est. Anno vero m. iɔ. xix. (quod a Jacobo Mentello, Medico Parisiensi, talium rerum non incurioso, accepi) Doctor Medicus declaratur a Ludovico Burgensi, Medico illo præstantissimo, qui Archiatrorum Comes cum esset, Francisco Primo apud Hispanos captivo, adfuit. […] Anno m. iɔ. xxiv. et insequenti, Decanatum gessit : ex quo facile judicare potes quanti a Collegis, etiam juvenis, fieret. Altero Decanatus anno, dono dedit Bibliothecæ Facultatis Opera Galeni Græce edita, ut ad ea, quoties opus esset, Medicinæ studiosi confugerent : nam Græcæ linguæ ut doctissimus, ita amatissimus fuit ; docuit autem diutissime ; Discipulos continuo hortabatur : ut quos sine Græcarum litterarum cognitione in Medicos eximios evadere posse, non existimaret. […]

Anno m. iɔ. xlviii. mortuus est ictu sanguinis, dum suos, die natali, convivio exciperet. Quæ mors repentina atque improvisa occasionem dedit Philippo Portæo in ejus obitum Carmen scribendi […].

Ipse quoque hos versus scripsi in idem argumentum :

Magnus in exigua situs hic Hortensius urna,
Quem stupuit Medicum Principis Aula suum.
Natali, de more, die, sanusque valensque,
Dum læto natos excipit ille epulo,
Percutit incautum Mors scævo sanguinis ictu,
Et sternit tacitis insidiosa dolis :
Quippe timens, ne si secum certaret aperto
Marte, daret victas turpiter ipsa manus.

[…] Quin etiam tanti ipsum faciebant cives Parisienses, ut cum significatum vellent, nulla medicorum ope mortem vitari posse, hunc tritum ore vulgi versiculum ; ad cognomen ejus rescipientes ; subinde usurparent ;

Contra vim mortis, non est medicamentum in Hortis.

[Johannes de Hortis, mon ancêtre et votre quadrisaïeul, Pierre-Guillaume Ménage, {a} ou plutôt Johannes Hortensis, car c’est ainsi qu’il a voulu qu’on l’appelât, a certes exercé un métier silencieux, mais non sans gloire, comme faisait Iapyx dans Virgile ; {b} car il fut le plus honoré médecin de François ier, roi de France. (…) Reçu maître ès arts en 1509 (…), il professa alors les humanités au Collège du Cardinal Lemoine. {c} (…) S’étant plus tard tourné vers l’étude de la médecine, il fut reçu bachelier en 1514. En 1517, pendant le décanat de Louis Braillon, très célèbre médecin et son compatriote, tous deux étant natifs de Laon, il obtint le second lieu de la licence, qu’on a coutume de tenir pour plus honorable que le premier. {d} En 1519 (à ce que j’ai appris de Jacques Mentel, médecin de Paris qui ne manque pas de curiosité pour de tels sujets), il fut admis au doctorat {e} par Louis de Bourges, ce très éminent médecin qui, étant premier médecin du roi, fut aux côtés de François ier pendant sa captivité en Espagne. {f} (…) En 1524 et l’année suivante, il assura la charge de doyen ; {g} ce qui vous permet aisément de juger quel cas ses collègues faisaient de lui, en dépit de son jeune âge. Dans la seconde année de son décanat, il fit don à la bibliothèque de la Faculté d’une édition grecque des œuvres de Galien afin que les étudiants de médecine pussent y recourir chaque fois que nécessaire ; car outre qu’il était très savant en langue grecque, il l’affectionnait énormément. Il l’enseignait même très souvent, encourageant continuellement ses élèves, estimant qu’on ne pouvait pas former d’excellents médecins sans connaissance de la littérature grecque. (…) {h}

Il périt d’un coup de sang {i} le jour de Noël 1548, alors qu’il recevait les siens à dîner. Cette mort subite et imprévue donna occasion à Philippe Desportes d’écrire un poème sur son décès (…). {j}

J’ai aussi écrit ces vers sur le même argument :

Ici en cette urne exiguë gît le grand Hortensius,
lui que la cour admira, comme médecin de son roi.
Sain et fort, le jour de Noël, comme, suivant la coutume,
il reçoit ses enfants pour un joyeux repas,
sans prévenir, la Mort le frappe d’un sinistre coup de sang,
et la perfide le terrasse par ses secrètes ruses,
craignant bien que si elle engageait avec lui un combat loyal,
elle tendrait ses mains vaincues pour qu’il les enchaînât
.

(…) Bien mieux, les Parisiens faisaient si grand cas de lui que, quand ils voulaient dire que la mort est inévitable, quoi que fassent les médecins, souhaitant honorer son nom de famille, ils utilisaient souvent ce vers fort populaire :

Contre la puissance de la mort, il n’y a pas de médicament dans les jardins]. {k}


  1. Gilles Ménage s’adresse à son neuveu, Pierre Gilles Ménage.

    « Pierre Ayrault, aïeul maternel de M. Ménage, épousa Anne Des Jardins, fille de notre Hortensius, et de Marie Le Tellier, sa seconde femme, qui était de la même famille dont M. le Chancelier Le Tellier descendait » (note E de Bayle).

  2. V. notes [2], lettre 100, et [4] du Borboniana 7 manuscrit pour les vers de L’Énéide où Virgile a employé l’adjectif ingloriosus [sans gloire] pour qualifier le médecin Iapyx.

  3. V. note [6], lettre 34.

  4. V. note [8], lettre 3, pour les lieux de licence, dont le premier pouvait être monnayé au prix fort.

    Louis Braillon, natif de Laon (Laudunensis), bachelier de la Faculté de médecine de Paris en 1508, en a été doyen de novembre 1516, au temps où la Compagnie ne comptait que 25 docteurs régents (Comment. F.M.P., tome iv, fo 60 ro), à novembre 1518.

  5. Ce même tome des Comment. F.M.P. établit que sans être tout à fait exacts, les renseignements que Jacques Mentel {i} a fournis à Ménage étaient plus proches de la vérité que ce qu’écrivait Guy Patin. {ii} Maître Jean Des Jardins, natif de Laon (Magister Joannes de Ortis Laudunensis, puis Hortensis ou Hortensius) :

    • a été admis à se présenter, avec trois autres candidats, puis reçu aux épreuves du baccalauréat de mars 1516, {iii} (f 47 vo‑48 ro) ;

    • figure au deuxième rang dans l’Ordo licenciatorum anni 1517 ante pascha [classement des licenciés de l’année 1517 (sic pour 1518), avant Pâques] {iv} qui compte quatre noms (f 67 vo) ;

    • fuit doctor præsidente domino Ludovico Burgense doctore 1518 [a été reçu docteur en 1518 sous la présidence de Ludovicus Burgensis, docteur (régent)] {v} (f 68 ro) ;

    • figure pour la première fois, et en avant-dernière position, sur le tableau des 30 docteurs régents établi en novembre 1519 {vi} (f 91 vo).

      1. Docteur régent de la Faculté de médecine de Paris lort en 1670 (v. note [6], lettre 15) et neveu de Gabriel Naudé.

      2. Le fait est surprenant car au moment où écrivait sa lettre (20 juillet 1651), Patin était doyen en exercice de la Faculté et avait donc libre accès à ses Commentaires.

      3. Seconde année du décanat de Robert Le Mazuyer.

      4. S’agissant de la seconde année du décanat de Braillon (novembre 1517-novembre 1518), 1517 est un lapsus calami pour 1518 ; les Pâques ont été célébrées le 4 avril 1518, les nominations à la licence n’ont plus tard été proclamées qu’au mois de juin.

      5. Seconde année du décanat de Braillon, à une date non précisée, mais postérieure au 6 novembre car de Ortis ne figure pas sur le tableau des docteurs régents qui a été dressé à cette date (f 76 vo).

        Ménage a donc eu raison de ne pas suivre l’avis de Patin qui donnait 1523 pour année du doctorat de des Ortis.

      6. Seconde année du décanat de Nicolas Laffilé.

  6. Notice sur Louis de Bourges (né en 1482) dans les Noms et surnoms des premiers médecins ou archiatres de nos rois, aux pages 20‑21 de l’Essai historique sur la Médecine en France de Jean-Baptiste Chomel : {i}

    Docteur régent de la Faculté de médecine de Paris depuis 1500, fut premier médecin de François ier, dont il suivit la fortune. François ier étant en prison en Espagne, {ii} de Bourges feignit que le roi était malade très dangereusement d’une maladie de langueur ou consomption. Il le fit croire aussi aux médecins de Charles Quint qui, aimant mieux l’argent que la personne, accepta la rançon qui lui était offerte et délivra le roi. Louis de Bourges était petit-fils de Jean de Bourges, dont nous avons parle ci-dessus. {iii} Le roi Charles viii l’avait tenu sur les fonts du baptême. Il fut aussi médecin de Henri ii, et mourut l’ancien de l’École en décembre 1556. »

    1. Paris, 1762, v. notule {b}, note [3], lettre 3.

    2. Capturé pendant la bataille de Pavie (24 février 1525, v. note [11], lettre 78), le roi de France fut détenu pendant un an à Madrid.

    3. Page 20 : « Docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1468, médecin de Charles viii et de Louis xii. Il mourut en 1480. »

      J’ignore si Jean de Bourges et son fils, qui furent docteurs régents de Paris au xviie s. (v. note [26], lettre 237), descendaient de ces deux archiatres.

  7. Ioannes Hortensius Laudunensius avait modifié son patronyme latin (ci-devant de Ortis) quand il fut élu doyen de la Faculté le 4 novembre 1524 (ibid. supra, fo 161 ro). Il fut reconduit pour une année le 5 novembre 1525 (fo 178 ro).

  8. En dépit de ses grands talents littéraires, Des Jardins n’a publié aucun livre. Les thèses de médecine qu’il a disputées ou présidées, sans doute manuscrites, sont trop anciennes pour figurer dans la collection de la BIU Santé.

  9. Une attaque cérébrale (apoplexie, v. note [5], lettre 45).

  10. Ménage a ici donné la traduction latine, par François Vavasseur, jésuite, {i} de ces vers de Philippe Desportes, abbé de Tiron : {ii}

    « Après avoir sauvé par mon art secourable,
    Tant de corps languissants que la mort menaçait,
    Et chassé la rigueur du mal qui les pressait,
    Gagnant comme Esculape {iii} un nom toujours durable.

    Cette fatale Sœur, cruelle, inexorable,
    Voyant que mon pouvoir le sien amoindrissait,
    Un jour que son courroux contre moi la poussait,
    Finit quant et {iv} mes jours mon labeur profitable.

    Passant, moi qui pouvais les autres secourir,
    Ne dis point qu’au besoin je ne pus me guérir ;
    Car la mort qui doutait l’effort de ma science,

    Ainsi que je prenais librement mon repas,
    Me prit en trahison, {v} sain et sans défiance,
    Ne me donnant loisir de penser au trépas. »

    1. V. note [17], lettre 195.

    2. V. note [14], lettre 748.

    3. V. note [5], lettre 551.

    4. Avec.

    5. V. note [15], lettre 554, pour la mort subite.

  11. V. note [2], lettre 140, pour ce dicton tiré de la Schola Salernitana [L’École de Salerne], dont le dernier mot, hortis, était ici paré d’une majuscule et détourné à la gloire de Des Jardins.


Ce post-scriptum de Patin dissipe les derniers doutes qu’on pourrait avoir sur l’identité du destinataire de sa lettre. S’il en fallait une, mes notules {d}, {e} et {g} fournissent une preuve que les Comment. F.M.P. sont une source intarissable de renseignements précis (et généralement inédits) sur les médecins de Paris, pour qui en connaît les clés et a la patience de les sonder.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Gilles Ménage, le 20 juillet 1651

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(Consulté le 19/04/2024)

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