L. latine 36.  >
À Johannes Antonides Vander Linden,
le 27 avril 1655

[Ms BIU Santé no 2007, fo 33 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Vander Linden, docteur en médecine et professeur en l’Université de Leyde.

Très sage Monsieur, [a][1]

Je vous écris à nouveau [1] pour vous dire ma gratitude, et vous faire ressouvenir de ce que je vous dois tant que je n’aurai pas changé ma conduite à votre égard et n’aurai pas entrepris de compenser vos cadeaux, qui valent véritablement de l’or, par quelque présent venu de moi. Ce libraire de chez nous qui m’a par ci-devant remis vos lettres, m’a seulement promis qu’il retournera bientôt dans votre pays. J’ai ici un petit paquet de thèses et d’opuscules que je vous destine et qui, j’espère, vous parviendra par son entremise. [2] Un imprimeur d’Orléans a récemment mis sous la presse une réédition des commentaires de Francisco Valles sur les Épidémies d’Hippocrate ; [2][3][4][5] je vous les offre si vous ne les avez pas. Ici, parmi les docteurs de notre École, sévit une très acerbe controverse sur l’antimoine pour savoir si c’est ou non un poison. [6] Un ancien décret de l’École de médecine, prononcé il y a 80 ans, et que tous ont jusqu’ici religieusement observé, l’a déclaré vénéneux et à compter parmi les médicaments dotés d’un pouvoir délétère. Ce décret de notre École, que le Parlement de Paris a confirmé trois fois, se lit dans Hofmann de Medicamentis officinalibus, page < 692 >. [3][7][8] De très nombreux médecins ont tenu ce décret pour parfaitement juste, et plus de 70 docteurs, et des plus expérimentés, combattent en sa faveur, tanquam pro aris et focis[4][9] au grand dam de quelques autres. On a écrit quelques livres sur cette dispute académique, mais en français ; je vous les offre si vous comprenez notre langue. Un des nôtres en prépare certes un latin contre l’antimoine ; mais jusqu’ici, l’auteur, qui est un homme rigoureux et savant, l’a gardé pour lui. Aussitôt qu’il aura été imprimé, vous en recevrez un de ma part. [5][10][11] J’apprends qu’à Lyon sur le Rhône, [6] on a imprimé le Van Helmont in‑fo. O tempora ! [7][12] les presses des imprimeurs favorisent la publication de tels livres, écrits par des charlatans et des fripons, [13] tandis que je n’en trouve aucune pour celle des ouvrages manuscrits de Caspar Hofmann, que j’ai ici inédits en ma possession. [14] Dans une si grande iniquité du siècle, puisque je n’ai rien d’autre sous la main à vous offrir, je me dévoue entièrement à vous et vous demande de me faire savoir s’il y a à Paris ou par toute la France quelque chose que vous désirez, de façon que vous l’obteniez enfin de moi, qui suis votre débiteur à de nombreux titres. Riolan, notre ancien, [15] est en vie et se porte bien. Avec l’accord du roi très-chrétien[16] il m’a transmis sa chaire royale pour l’enseignement d’anatomie, botanique et pharmacie. J’y enseigne depuis quelques jours trois fois par semaine, au Collège royal de Cambrai, comme vous le découvrirez dans le programme joint. [8][17][18][19][20] Je n’ai pas encore reçu, mais j’attends sous peu de jours votre livre de Scriptis medicis qu’on m’a réservé et que j’ai payé aux Elsevier il y a plus de trois ans. [9][21][22] Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

Vôtre de toute mon âme, Guy Patin, natif de Beauvaisis, docteur en médecine de Paris, et professeur royal d’anatomie, botanique et pharmacie.

De Paris, le mardi 27e d’avril 1655.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johannes Antonides Vander Linden, ms BIU Santé no 2007, fo 33 ro.

1.

Dans le ms BIU Santé no 2007, le dernier brouillon d’une lettre de Guy Patin à Johannes Antonides Vander Linden est daté du 26 décembre 1653. Le mot iterum [à nouveau] laisse pourtant penser qu’une ou plusieurs lettres intermédiaires ont été écrites du premier jet ou, peut-être, que leur brouillon a disparu, car il arrivait à Patin de laisser une note de rappel sur un coin de page quand il ne conservait pas le texte d’une lettre.

2.

V. note [17], lettre 280, pour ces commentaires hippocratiques de Francisco Valles, revus, corrigés et annotés par Samuel Gaude, médecin d’Orléans, réédités dans cette ville chez Jacques Borde en 1654.

3.

V. note [42], lettre 293, pour ce chapitre sur l’antimoine, avec le décret parisien de 1566 (soit 89 et non 80 ans auparavant), dans le livre iii de Caspar Hofmann « des Médicaments officinaux » (Paris, 1646 ; j’ai ajouté le numéro de la page, que Guy Patin avait laissé en blanc dans son brouillon manuscrit).

4.

« comme ils feraient pour leurs autels et leurs foyers » : v. note [17], lettre latine 106.

V. note [3], lettre 333, pour la scission que les 61 « signeurs de l’antimoine » avaient provoquée au sein de la Compagnie des docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris le 26 mars 1652.

Avec ses plusquam 70 Doctores [plus de 70 docteurs] de l’autre bord, Guy Patin inversait sans vergogne la majorité en leur faveur : le tableau de la Faculté établi le 23 novembre 1651 recensait 111 docteurs régents qui étaient tous en vie le 26 mars suivant (v. les Actes de 1651‑1652 dans les Commentaires rédigés par Patin) ; tout bien compté, le nombre de ces opposants à l’antimoine (antistibiaux) n’était donc que de 50 en 1652 (45 pour cent), et n’avait guère augmenté lors des trois années suivantes.

5.

Au printemps de 1655 s’éteignait le brasier qu’avait allumé Jean Chartier en publiant La Science du plomb sacré des sages ou de l’antimoine… (Paris, 1651, v. note [13], lettre 271). Une quantité de livres et libelles, tant français que latins, avaient paru, opposant partisans et ennemis de l’antimoine, mais aussi médecins de Paris et de Montpellier (v. note [4], lettre latine 35).

Guy Patin avait été l’un des meneurs du parti antistibial mais n’avait pas participé aux joutes de plume, du moins ouvertement. Le débit des pamphlets était en train de se tarir. Patin pouvait ici avoir en tête le Parænesis ad medicos antimoniales… [Conseil aux médecins antimoniaux…] de Jean Merlet, dont il a annoncé la parution à Charles Spon dans sa lettre du 19 octobre 1655 (v. sa note [54]). Le triomphe politique de l’antimoine approchait néanmoins lentement (maladie du roi à Mardyck pendant l’été 1658, v. note [8], lettre 539).

6.

Lugdunum ad Rhodanum, v. note [9], lettre latine 35.

7.

« Quelle époque ! » (v. note [52], lettre 292).

V. note [4], lettre 340, pour l’Ortus medicinæ [Naissance de la médecine…] de Jan Baptist Van Helmont (Lyon, 1655), la plus insigne bête noire paracelsiste de Guy Patin.

8.

Guy Patin n’a malheureusement pas annexé cette pièce au brouillon de sa lettre. V. les Leçons au Collège de France, pour une idée sur son programme plus tardif d’enseignement de lecteur royal (1663-1666).

9.

V. note [3], lettre latine 26, pour la deuxième édition, alors disponible, des deux livres de Johannes Antonides Vander Linden « sur les Écrits médicaux » (Amsterdam, 1651), que Guy Patin était impatient de découvir depuis décembre 1653.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 33 ro.

Clarissimo viro D.D. Vander Linden, Doctori Medico
et Professori in Academia Leidensi.

Ecce iterum ad Te scribo, vir sapientissime, ut gratitudinem meam
apud Te profitear : Tibique probem memoris animi officium, quo-
usque tecum aliter agam, et munera tua verè aurea meis aliquot
compensare aggrediar. Nostras ille Bibliopola, Gallus qui tuas mihi
reddidit, antehac, hactenus se brevi ad vos reversurum mihi pollicitus est ;
fasciculum quendam hîc habeo Theseωn et libellorum medicorum, quem
Tibi destino, et cujus ope spero in manus tuas deventurum. Typo-
graphus quidam Aurelianensis prælo nuper subjecit commentaria Fr. Valesij in Epid.
Hipp. antehac editos : quæ Tibi, si careas, offero : hîc inter Scholæ nostræ
Doctores viget acerrima controversia de stibio, an sit venenatum, necne : ex
Veteri Scholæ Medicinæ decreto ante annos 80. lato, et hactenus à singulis
religiosè servato, venenatum perhibetur : et inter ea medicamenta annumerandum
quæ deleteria qualitate pollent : ejusmodi Scholæ nostræ Decretum à Senatu
Paris. ter confirmatum legitur apud Hofm. de medicamentis officin. pag. < 692 >
Hocce Decretum tanquam æquissimum tuentur quam-multi, et pro eo tan-
quam pro aris et focis decertant plusquam 70. Doctores etiam peritissimi : alijs
nonnullis reclamantibus.Super hoc Academico dissidio scripti sunt aliquot
libri, sed Gallico sermone, quos Tibi offero, si tale idioma nostrum intelligas. Unus è
nostris Latinum quidem adornat super contra stibium, sed adhuc ab Authore, gravi
et erudito retinetur : statim atque typis mandatus fuerit eum à me accipis.
Lugduni ad Rhodanum audio excusum Helmontium, in folio : ô tempora ! talibus
agyrtarum et nebulorum scriptis in lucem edendis favent præla Typographo-
rum, dum nulla deprehendo reperio pro MS. operibus Hofmanni, quæ hîc habeo ἀνεκδοτα.
In tanta sæculi iniquitate quia nihil aliud mihi suppetit quod Tibi offeram, meipsum
Tibi offero consecro, rogóque, ut si quid hîc aut in tota Gallia habeatur quod optaveris,
fac ut intelligam, ut per me multis nominibus Tibi obnoxium, tandem obtineas.
Senior noster Riolanus vivit et valet : regiámque suam cathedram docendæ rei Ana-
tomicæ, Botanicæ ac Pharmaceuticæ mihi annuente Christanissimo Rege transmisit : ex qua, ab
aliquot mensib. diebus in gymnasio regio Cambarensi ter per hebdomadam doceo, ut
Tibi patebit ex programmate. Librum tuum de Scriptis Medicis ante tres annos
mihi destinatum et Elseverijs traditum ut mihi redderetur nondum accepi, sed in
dies expecto. Vale, vir clarissime, et me ama.

Tuus ex animo Guido Patin, Bellovacus,
Doctor Medicus Paris. et rei Anat. Bot. ac
Pharmac. Professor regius.

Parisijs, die Martis, 27. Aprilis,
1655.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johannes Antonides Vander Linden, le 27 avril 1655

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(Consulté le 18/04/2024)

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