L. latine 69.  >
À Johannes Antonides Vander Linden,
le 4 janvier 1657

[Ms BIU Santé no 2007, fo 49 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Antonides Vander Linden, docteur en médecine à Leyde.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Je vais vous conter une histoire étonnante, tout à fait nouvelle et inattendue : ce jour, aussitôt après dîner, comme je sortais de ma maison (pour aller voir le très distingué M. Riolan, notre ancien, [2] qui m’avait fait venir chez lui pour tenir une consultation médicale en faveur de quelque gentilhomme lillois souffrant d’une hernie scrotale), [3][4][5] le facteur de la poste de Hollande m’a remis votre lettre écrite il y a cinq mois, savoir le 3e d’août de l’an passé, avec dedans une autre de M. Utenbogard, plus vieille encore que la vôtre de quelques jours. [1][6] Je suis profondément surpris par les méandres que votre lettre a parcourus : où s’est-elle donc arrêtée pour y demeurer si longtemps ? Si je pouvais découvrir qui l’a tant gardée, j’irais certainement le voir et lui ferais mes compliments pour une rétention si prolongée. Interrogez vos souvenirs et voyez si vous pouvez vous rappeler à qui vous l’aviez confiée pour me la transmettre ; sinon, louange, gloire et reconnaissance soient à Dieu dont la grâce singulière nous permet à tous deux d’être en vie et de nous bien porter, et puisse-t-il en faire de même durant de nombreuses années ! Par cette lettre que vous aviez écrite voilà six mois, j’apprends que vous avez reçu celle des miennes dont je m’étais naguère tourmenté : je vous y exposais quelques conditions à soumettre à M. Elsevier pour l’édition des œuvres de feu notre Caspar Hofmann. [2][7][8] Pour sa gloire, je mettrai toutes mes forces à obtenir que l’ensemble de ses œuvres manuscrites soient enfin imprimées et publiées, pour le profit commun. Je n’ai pas encore le Celse manuscrit de M. Riolan, notre ancien ; j’espère pourtant l’obtenir quand je lui aurai offert de votre part vos Selecta medica, que j’attends de jour à autre. [3][9][10] Je me réjouis de tout cœur que M. Vorst soit en vie et se porte bien, mais je n’ai encore reçu aucune lettre de lui. [4][11] Vers le mois de mars, je vous préparerai un paquet de nos publications académiques, en particulier quelques thèses de médecine, parmi lesquelles il y aura les deux que les deux frères, mes fils Robert [Ms BIU Santé no 2007, fo 50 ro | LAT | IMG] et Charles, ont présidées ; je vous transmets leurs salutations. [5][12][13][14] Vous y en trouverez aussi une de medendi methodo Medicorum Parisinorum (comme s’ils avaient un autre jugement que les autres médecins, ou suivaient une autre méthode que celle de Galien ou d’Hippocrate), que prépare notre Des Gorris. [6][15][16][17] Cet homme est certes savant, quoique presque octogénaire, mais sa façon de remédier est fort douteuse car soit il se comporte en hématophobe, bien qu’il ait naguère écrit sur notre copieuse et généreuse manière de saigner, [7][18] soit il chante la louange des secrets chimiques et, s’il osait, se proclamerait paracelsiste ; [19] parfois il loue sans retenue l’opium, [20] le laudanum de Paracelse, [21][22] l’antimoine, le vitriol et autres poisons. [23][24] Enfin, ce bonhomme est inconstant et l’a toujours été, savoir de mauvais parti et de mauvaise pratique. Quoi qu’il en soit, il m’a dit préparer cette thèse pour une soutenance publique vers le 15e de février prochain. Je vous l’enverrai si elle est imprimée, ce qui se fera si notre doyen l’a approuvée, [25] sans quoi elle ne verra pas le jour. N’avez-vous pas entre les mains un opuscule exquis, publié à Bâle in‑8o en 1653, sous ce titre : Ioannis Guioti de Garamberio, Equitis Nivernensis, Doctoris Monspellensis, Collegi Medicorum Divionensis Decani, Divinæ Naturæ, Artisque sacræ Triumphus, hoc est, Enarratio et Enodatio Medico-Theologica, etc. ad Medicos Belnenses, etc. ? [8][26][27] Si vous ne l’avez pas vu, je vous l’enverrai. M. François Blondel, notre très savant collègue, n’a pas encore achevé son traité de Pleuritide ; il viendra pourtant et paraîtra au moment opportun. L’homme est intelligent, soigneux, avisé et de vaste érudition, mais toutefois partisan d’Hippocrate et Galien par-dessus tous les autres. [9][28][29] Je me réjouis que par mon intermédiaire vous soyez ami de notre Utenbogard, je lui en exprime et témoigne votre reconnaissance ; c’est un excellent et très savant homme, plein de bonnes dispositions ; à l’occasion, vous le saluerez donc, s’il vous plaît, de ma part.

Elsevier ne doit pas songer à une nouvelle édition des œuvres complètes du très distingué M. Hofmann tant qu’il n’a pas ces deux traités, de Usu partium et de Thorace, augmentés du triple ; je n’en ai jamais entendu parler, mais pense qu’il faut consulter notre ami M. Volckamer, médecin de Nuremberg, sur cette affaire. [10][30] Je lui écrirai donc, faites-en de même dès que possible. J’ai salué de votre part notre Riolan et lui ai montré votre lettre, qui aurait dû lui tirer l’oreille pour le Celse, mais il est devenu sourd, ou du moins n’a pas répondu là-dessus ; vous connaissez les mœurs des vieillards, mais j’espère bien l’obtenir à la fin ; il vous salue et vous remercie. [3] Je n’ai pas salué le très distingué M. Moreau car il est parti dans l’au-delà, comme je vous l’ai précédemment écrit. [31] Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

Votre Guy Patin de tout cœur.

De Paris, ce jeudi 4e de janvier 1657.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johannes Antonides Vander Linden, ms BIU Santé no 2007, fos 49 vo‑50 ro.

1.

Guy Patin recevait une lettre de Christiaen Utenbogard, datée du 22 juillet 1656, mais celle du 21 août suivant (la seule que contient notre édition) ne lui était toujours pas parvenue.

2.

Lettre de Guy Patin à Johannes Antonides Vander Linden le 7 juillet 1656.

3.

V. notes [1], lettre latine 50, pour le Celse que Jean ii Riolan répugnait à prêter (qui n’était pas manuscrit, mais couvert d’annotations manuscrites, dont celles de Jules-César Scaliger), et [29], lettre 338, pour les « Morceaux médicaux choisis » de Johannes Antonides Vander Linden (Leyde, 1656).

4.

Sans le dire, Guy Patin était inquiet pour son précieux exemplaire de la Botanique de Théophraste d’Érèse annoté par Caspar Hofmann : il l’avait expédié à Adolf Vorst vers le mois de février 1656, mais n’en avait depuis reçu aucune nouvelle (v. note [1], lettre latine 44).

5.

V. note [17], lettre 159, pour la thèse sur les années climatériques que Robert Patin (reçu docteur régent en janvier 1651) avait présidée, en son rang, le 4 janvier 1656, et pour la première présidence de Charles Patin (sur l’entéléchie), qui l’avait fait accéder à la régence, le 18 janvier suivant.

6.

V. note [9], lettre 458, pour cette thèse cardinale « sur la méthode des médecins de Paris pour remédier » présidée par Jean iii Des Gorris (Gorræus, v. note [3], lettre 225) : Estne recta quædam Methodus medendi omnium saluberrima ? [Une certaine juste méthode de remédier n’est-elle pas la plus salutaire de toutes ?] (affirmative), disputée le 22 février 1657, qui n’était pas encore imprimée.

7.

V. note [2], lettre 121, pour une autre thèse présidée (et probablement écrite) par Jean iii Des Gorris en 1625, concluant qu’on accusait injustement les médecins parisiens de prescrire trop généreusement la saignée.

8.

« Triomphe de la nature divine et de l’art sacré, qui est l’explication et l’éclaircissement médico-théologique, etc., dédié aux médecins de Beaune par Jean Guiot de Garambé, chevalier du Nivernais, docteur de Montpellier, doyen du Collège des médecins de Dijon », contre les cures miraculeuses attribuées aux eaux de Sainte-Reine (v. note [11], lettre 437).

Johannes Antonides Vander Linden a jugé cet opuscule digne d’être cité dans la 3e édition de ses deux livres de Scriptis medicis [sur les Écrits médicaux] (Amsterdam, 1662, page 364).

9.

V. notes [32], lettre 442, pour le traité « sur la Pleurésie » de François Blondel, resté inédit.

Guy Patin reprochait ici à son collègue Blondel d’être encore plus rétrograde que lui : il ne jurait que par Hippocrate et Galien, sans aucune considération pour les travaux des modernes, dont le plus éminent, aux yeux de Patin, était Jean Fernel.

10.

V. note [11] de la lettre de Caspar Hofmann à Guy Patin en 1646, pour son commentaire sur les 17 livres de Galien « de la Fonction des parties » du corps humain (Francfort, 1625). Patin citait aussi son de Thorace, ejusque partibus Commentarius tripartitus. In quo discutiuntur præcipue ea, quæ inter Aristotelem et Galenum controversa sunt [Commentaire en trois parties sur le Thorax. Où sont principalement débattus les points de controverse entre Aristote et Galien] (mêmes lieu et nom, 1627, in‑4o). Ni l’un ni l’autre n’avaient encore été réédités en 1657 et comme Patin, on peut s’interroger sur le triplement de leur volume.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 49 vo.

Clariss. viro D. Ant. Vander Linden, Doct. Med. Leidam.

Die Iovis, 4. Ianu.
1657.

Rem miram et planè novam, ac inexpectatam Tibi narrabo, vir Cl. Hodie statim
à prandio, quum ex ædib. meis pedem efferem, (ut adirem Seniorem nostrum Cl. Riolanum,
in cujus ædes accersitus fueram pro habendo consilio Medico in gratiam nobilis cujusdam Belgæ
Insulensis, sarcocele laborantis in scroto,) vestri Cursoris Hollandici tabellarius
mihi reddidit epistolam tuam, ante quinque menses scriptam, iii. nimirum Augusti,
anni superioris, cum altera inclusa D. Utenbogardi, etiam tua vetustiore aliquot diebus.
Miror sanè, undenam post tot menses ad me fluxerit tua isthac epistola : ubinam
hæserit, ac tamdiu latuerit : si possem detegere quis eam tamdiu servavit, eum certè
adirem, eìq. pro tam fidelè diuturna conservatione gratias agerem. Interroga memoria tuam, et vide,
an meminisse poteris cuinam eam mihi preferendam tradideris : sin minus, Deo sit laus,
et gloria, et gratiarum actio, per cujus singularem gratiam Tu et ego vivimus et valemus : et
utinam in multos annos. Per illam Tuam ante sex menses scriptam, agnosco Te eam
accepisse ex meis de qua antehac angebar, in qua nimirum proponebam Tibi aliquot
conditiones D. Elsevirio offerendas, super editione omnium Operum Amici olim nostri Casp.
Hofmanni, pro cujus gloria semper quantum in me erit efficiam, ut omnia ejus opera MS.
tandem excudantur et lucem videant, boni publici causa. Celsum MS. Senioris
nostri D. Riolani nondum habeo : spero tamen me habiturum, ubi Selecta tua illi
nomine tuo obtullero, quæ in dies expecto. Quod D. Vorstius vivat et valeat, gaudeo
ex animo : literas ab eo nullas hactenus accepi. Circa Martium mensem novum fasciculum
Tibi adornabo, Academicarum rerum nostrarum, præsertim v. aliquot Theseωn
Medicarum, inter quas duæ habebuatur, in quibus ambo fratres, filij mei, Rob.

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 50 ro.

et Carolus præfuerint, quorum salutem Tibi offero. HIbi quoque unam offendes
de medendi methodo Medicorum Paris. (quasi illi aliter sapiant quàm cæteri Medici,
aut aliam methodum sequantur quam Galeni aut Hipp.) quam adornat Gorræus
noster, vir quidem eruditus, sed in medendo valde dubius, quamvis penè octuagenarius :
modò enim hæmophobum agit, quamvis ille de larga nostra et liberali sanguinis missione antehac scri-
pserit : modò Chymica secreta laudat, et se, si auderet, Paracelsistam profiteretur :
2 denique bonus vir ille sibi non constat : et talis semper fuit, malarum nempe
partium et malarum artium : 1 interdum multus est laudando opio, laudano Para-
celsi, stibio, chalcantho, et alijs venenis. Sed ut ut sit, dixit ille mihi se Thesim
illam adornare, pro disputatione publica circa xv. diem Febr. proximi : eam ad Te
mittam si typis mandetur, quod fiet, si Decanus noster eam probaverit : aliter enim
lucem non videbit. Habesne penes Te elegantem quendam libellum Basilæ editum
in 8. anno 1653. sub hoc lemnate ? Io. Guioti de Garamberio, Equitis Nivernensis,
Doct. Monspel. Collegij Med. Paris. Divion. Decani, Divinæ Naturæ, Artisq. sacræ Triumphus,
hoc est, Enarratio et Enodatio Medico-Theologica, etc. ad Medicos Belnenses, etc.

Si non videris, eum ad Te mittam. Suum Tractatum de Pleuritide nondum absolvit
Collega noster vir eruditissimus, D. Fr. Blondel : veniet tamen, et suo tempore apparebit :
vir est gnarus, diligens, industrius ac multæ lectionis, Hipp. tamen et Galeno supra
cæteros omnes addictus. Quod Utenbogardum nostrum per me Tibi amicum habeas,
gaudeo, gratiasq. tuas Tibi reddo ac refero ; vir est optimus ac doctissimus, et
bonum partium : quem ideo si placet data occasione, pro me salutabis.

Non debet Elsevirius cogitare de nova editione omnium Operum Cl. Hofmanni, quin
priùs habeat duos illos Tractatus, de Usu partium, et de Thorace, triplo auctiores :
de illis numquam audivi : sed de ea re consulendum esse puto amicum nostrum D. Volca-
merum, Med. Norib. ideóq. ad eum scribam : Tu quoque scribe quam primùm. Riolanum
nostrum tuo nomine salutavi, eìq. epistolam tuam ostendi, quæ aurem ei velleret pro Celso,
sed ille obsurduit, aut saltem ad rem non respondit : nosti mores senum : tandem
tamen spero me habiturum : Ille Te salutat, et gratias agit. Cl. virum D. Ren.
Moreau, non salutavi, abijt enim ad plures, ut antehac ad Te scripsi. Vale, Vir Cl.
et me ama.

Tuus ex animo Guido Patin.

Parisijs, die Iovis, 4. Ianu. 1657.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johannes Antonides Vander Linden, le 4 janvier 1657

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(Consulté le 19/04/2024)

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