[Ms BIU Santé no 2007, fo 50 vo | LAT | IMG]
Au très distingué M. Johannes Antonides Vander Linden, docteur en médecine à Leyde.
Très distingué Monsieur, [a][1]
Par manque de temps et sans la liberté de faire mieux, je vous écris ces quelques lignes. Sachez que, de la propre main du fils de votre marchand, Vincent van Doeswerff, [2], j’ai reçu votre dernière à laquelle je vais répondre sur-le-champ, accompagnée de trois paquets de livres, dont je vous dirai d’abord un mot.
Je me mettrai bientôt en devoir de lire vos Selecta qui, j’espère, me rendront meilleur et plus savant. J’en ai remis votre quatrième exemplaire à mon Carolus, qui est déjà parvenu à la page 36 ; il ne veut pas faire autre chose tant qu’il ne l’aura pas entièrement dévoré de bout en bout. Il n’est pas surprenant que les jeunes bouillonnants se précipitent avidement sur cette tâche ; vous connaissez le défaut de cet âge et pardonnerez à un fort studieux jeune homme de 22 ans. Robert a aussi son exemplaire, mais il remet à plus tard le profit de sa lecture. Je vous remercie beaucoup pour ces trois exemplaires joliment reliés, [1][3][4][5] et Dieu veuille que je puisse un jour vous témoigner ma reconnaissance en retour, ce que je ferai très volontiers chaque fois que l’occasion s’en présentera. Je n’ai pas encore offert le quatrième exemplaire destiné à M. Riolan, notre ancien, [6] bien que je le voie tous les jours, car il se porte très mal en raison d’une dysurie avec hématurie ; [7][8] je le lui remettrai dès qu’il ira mieux pour, d’un seul et même coup, pouvoir obtenir son Celse manuscrit ; [2][9] au moins essaierai-je, et je pense que c’est ainsi qu’il faut s’y prendre avec lui dans cette affaire. Nicolas de Nancel est mort en Touraine il y a 50 ans, je n’ai jamais entendu parler de son travail sur Cælius. [3][10][11] J’ignore dans quelles mains ses livres seront tombés et il n’est pas aisé de le savoir. Pour monsieur votre fils, [12] je ferai de tout cœur ce que vous aurez désiré, chaque fois que vous voudrez l’envoyer à Paris. Il y verra tant qu’il voudra ces grandes opérations de chirurgie qu’on pratique rarement ailleurs, [13] en particulier la section de vessie, [14] car j’ai pour ami M. Jamot, chirurgien en chef à l’hôpital de la Charité, dans le faubourg Saint-Germain, [4][15][16][17] où plus de trois cents calculeux subissent cette section chaque année ; les autres communs chirurgiens ne pratiquent pas une si grande opération.
La seconde partie des Epistolæ de Claude Saumaise ne roule-t-elle pas sous la presse ? [5][18] Le moment venu, omnem movebo lapidem [6][19] pour arracher plus qu’obtenir de M. Riolan son Celse manuscrit ; mais en attendant, je vous ferai souvenir de sa part (pour que vous sachiez qu’il pense à votre Celse) que M. Chifflet, très savant archiatre, a en sa possession un Celse fort bien corrigé qui appartint jadis à M. Chifflet, son père, médecin de Besançon, dont l’illustre [Ms BIU Santé no 2007, fo 51 ro | LAT | IMG] Jacques Cujas, homme très éminent qu’on n’a jamais suffisamment loué, lui avait fait cadeau. [20][21][22] M. Chifflet le montra jadis à M. Riolan, quand il avait accompagné la reine mère en exil à Bruxelles, il y a 20 ans. [23] Je ne doute pas que vous connaissiez ce Chifflet, c’est un personnage fort éminent et de grande considération chez les princes autrichiens, qui a écrit deux élégants opuscules contre une certaine poudre barbare, ou du moins péruvienne, à laquelle certains vagabonds qu’on ne connaît que trop (il s’agissait des jésuites, espèce d’hommes fort âpres au gain) s’étaient efforcés de procurer une bonne réputation contre la fièvre quarte. [7][24][25][26] Mais cette poudre s’est entièrement dissipée en fumée et sa bonne réputation tout à fait évanouie, en faisant même grincer les dents des marchands, pour ne pas dire des imposteurs, et des mendiants roués et adroits qui la colportaient ; et ce autant par l’opération et le bienfait des opuscules de M. Chifflet, qu’on a ici pleinement approuvés, que par le soin et le zèle d’excellents hommes et de très sages médecins, qui haïssent toutes les fraudes et ne peuvent supporter aucune imposture en notre art, et même se détournent, pire que d’un chien ou d’un serpent, de tels vauriens, que travaille sottement la soif des sous à gripper. Notre Riolan souhaite aussi vous faire souvenir que Janus Cornarius a porté grande attention à Celse ; c’est un homme très savant, pour ses Commentaria ou Emblemata sur Dioscoride ; [8][27][28] je vous les offre si vous ne les avez pas, et vous les enverrai sans tarder si vous voulez. Saluez, s’il vous plaît, notre ami M. Utenbogard de ma part, et faites-lui savoir que j’ai reçu son paquet, dont je le remercierai tantôt. [29] Je salue aussi tous vos très sages collègues, mais vous tout le premier, très distingué Monsieur, que Dieu veuille nous conserver de nombreuses années. Vale et continuez de m’aimer comme vous faites, moi qui suis, plus qu’en toute franchise, pour tant de vos faveurs, qui sont vraiment en or, votre très sincère et très dévoué,
Guy Patin.
Ce vendredi 26e de janvier 1657.
1. |
V. note [29], lettre 338, pour les « Morceaux choisis » médicaux de Johannes Antonides Vander Linden (Leyde, 1656), qui en avait destiné quatre exemplaires à Guy Patin, son fils Robert, Jean ii Riolan et René Moreau ; mais Moreau étant mort, Patin avait proposé d’en faire cadeau à Charles Patin (v. lettre latine du 3 novembre 1656). Les Patin en avaient donc eu trois. |
2. |
V. note [1], lettre latine 50, pour le Celse que Jean ii Riolan répugnait à prêter (qui n’était pas manuscrit mais couvert d’annotations manuscrites, dont celles de Jules-César Scaliger). |
3. |
Cælius Aurelianus est un médecin latin du ve s., natif de Sicca (Tunisie), qui appartenait à l’école (secte) méthodique. Outre sa traduction latine des œuvres grecques de Soranos d’Éphèse, {a} il a laissé deux traités originaux.
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4. |
Bâti en 1613 pour les frères de Saint-Jean-de-Dieu, l’hôpital parisien de La Charité se trouvait à l’angle actuel de la rue des Saints-Pères et du boulevard Saint-Germain. Détruit en 1935, il a cédé la place à la Faculté de médecine dite des Saints-Pères. Il n’en subsiste que la chapelle (désormais vouée au culte orthodoxe) et ses annexes, ainsi qu’un petit amphithéâtre, où René Laennec enseigna au début du xixe s., et qui est dévolu à sa mémoire. V. note [18], lettre 455, pour le chirurgien Gervais Jamot qui y opérait. |
5. |
V. note [4], lettre 487, pour la mort d’Antoine Clément, leur éditeur, qui empêcha la publication du second tome des « Épîtres » latines de Claude i Saumaise. |
6. |
7. |
Les « princes autrichiens » étaient les Habsbourg d’Espagne dont le royaume incluait la Franche-Comté et les Pays-Bas espagnols (Belgique) ; Jean-Jacques Chifflet exerçait la médecine à Bruxelles après avoir vécu à Besançon où était établi son père, Jean (v. note [18], lettre 104). V. notes [9], lettre 309, pour la Pulvis febrifugus orbis Americani… [La Poudre fébrifuge d’Amérique (quinquina)…] de Jean-Jacques Chifflet (sans lieu, 1653, et Lyon, 1654), et [10], lettre 399, pour la critique qu’y avait opposée le P. Honoré Fabri sous le pseudonyme d’Antimus Conygius (Rome, 1655). Chifflet n’a donc pas écrit « deux élégants opuscules » contre le quinquina, mais un seul qui a été imprimé deux fois. Guy Patin ne citait pas le singulier opuscule qu’il avait publié sur Celse : Acia Cornelii Celsi propriæ significationi restituta : Alphonsus Nuñez Regius Archiater defensus : A Ioanne Iacobo Chiffletio, Equite, Philippo iv. Regi Catholico, et Serenissimæ Isabellæ Claræ Eugeniæ Hispaniarum Infanti a Cubiculis Medico. Dans l’enchevêtrement des anciennes éditions de Celse, celle-ci est la seule mention de l’exemplaire que le juriste Jacques Cujas (v. note [13], lettre 106) avait donné à Jean Chifflet. Johannes Antonides Vander Linden n’en a pas fait état dans la bibliographie de son propre Celse (Leyde, 1657, v. note [20], lettre de Charles Spon datée du 28 août 1657). |
8. |
Pedacii Dioscoridæ Anazarbensis de Materia medica libri v. Iano Cornario Medico Physico interprete. Eiusdem Iani Cornarii Emblemata, singulis capitibus adiecta. Dioscoridæ de Bestiis venenum eiaculantibus, et letalibus medicamentis libri ii. Eodem Cornario interprete. Eiusdem Iani Cornarii, in eosdem libros, Expositionum libri ii. Adiunctis in fine tribus tabulis locupletissimis, quibus omnia quæ tot tractantur opere, indicantur. [Cinq livres de la Matière médicale de Pedanius Dioscoride d’Anazarbe, {a} dans la traduction de Janus Cornarius, {b} médecin et naturaliste. Emblèmes du dit Janus Cornarius ajoutés à chacun des chapitres. Deux livres de Dioscoride sur les bêtes sauvages qui projettent du venin et sur les médicaments mortels, dans la traduction du dit Cornarius. Deux livres d’explications du dit Janus Cornarius sur les mêmes livres. Avec à la fin trois tables très riches qui révèlent les nombreuses choses dont traite cet ouvrage]. {c}
V. notule {j}, note [20], lettre de Charles Spon datée du 28 août 1657, pour les annotations de Cornarius sur Celse dans son édition du Galien de la composition des médicaments (Bâle, 1537). |
a. |
Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johannes Antonides Vander Linden, ms BIU Santé no 2007, fos 50 vo‑51 ro. |
s. |
Ms BIU Santé no 2007, fo 50 vo. Clariss. viro D. Io. Ant. Vander Linden, Doct. Med. Leidam. Vir præstantissime, Quoniam aliter non licet, 2 pauca ad Te scribo, 1 per temporis angustias, ut scias me postremam tuam accepisse propria manu filij Mercatoris vestratis, Vincentij à Doeswerff ; cui statim sum responsurus : ut et fasciculos tres librorum, de quibus Ad Selectorum tuorum lectionem brevi me accingam, à quib. melior Curritne sub prælo pars altera Epistolarum Cl. Salmasij ? De Celso |
t. |
Ms BIU Santé no 2007, fo 51 ro. viro numquam satis laudato Iac. Cujacio : Ejusmodi Celsi exemplar Guidonem Patinum. Die Veneris, 26. Ianu. 1657. |