L. latine 94.  >
À Johann Garmers,
décembre 1657

[Ms BIU Santé no 2007, fo 65 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johann Garmers, docteur en médecine à Hambourg.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Inquiet de vous et de votre santé, j’ai beaucoup et longtemps cherché à avoir de vos nouvelles, mais voici maintenant qu’arrive ce que j’ai tant désiré. Je suis transporté par la joie de savoir que vous vous portez bien et que vous m’aimez. Je me félicite fort que vous ayez trouvé un excellent protecteur en la personne du prince sérénissime. [1][2] Tout le monde attend depuis longtemps la nouvelle édition du Commentarius in Coacas Hippocratis de Louis Duret, chez Gaspard Meturas. [2][3][4][5] Je vous en enverrai sous peu un exemplaire relié par la voie que vous m’avez indiquée et il ne dépendra pas de moi que vous ne le receviez bientôt. Je n’ai rien à vous dire de notre ancien, [6] le très distingué M. Riolan, car voici un moment qu’il a emprunté le chemin que suit toute chair : il est mort presque octogénaire le lundi 19e de février de cette année. [7] Mes fils vous saluent, ainsi que M. Christian Buncken, [8][9][10] tout comme je fais. On imprime à Lyon sur le Rhône les œuvres complètes de Jo. Heurnius in‑fo ; ceux de Genève terminent la nouvelle édition des œuvres complètes de Cacophraste Paracelse, [3][11][12] le plus damné des vauriens et le plus pernicieux des imposteurs ; elles tiendront en trois tomes in‑fo. Comme il le mérite tout à fait, l’antimoine est ici entièrement terrassé et la honte plonge nos stibiaux dans un complet mutisme, tant ce médicament, qui est le plus vénéneux de tous, a provoqué de carnages au détriment de tant de familles. [13] Les Opera omnia de Jean Varanda, médecin de Montpellier, ont récemment paru à Lyon, in‑fo ; [4][14] Dieu fasse que cette Université en ait beaucoup qui lui ressemblent. J’ai ici les Consilia medicinalia de Silvatico, professeur de Padoue, in‑fo publiées il y a un an ; j’avais depuis longtemps entendu parler de cet auteur, mais ce livre n’a pas comblé mes espérances. [5][15] Harvey, très savant homme qui a été l’auteur et le premier découvreur du mouvement circulaire du sang, est passé de vie à trépas il y a quelques mois à Londres. [16][17] Tous les honnêtes et savants hommes meurent ; seul ne meurt pas celui dont l’ambition et la cupidité ont secoué la terre tout entière. O Deus, usquequo Domine, usque quo ! [6][18][19][20]


a.

Brouillon autographe incomplet d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johann Garmers, ms BIU Santé no 2007, fo 65 vo. Le texte s’interrompt aux deux tiers de la page, dont le bas est resté blanc, sans fin ni date. Le contenu autorise à supposer que Patin l’a rédigé en décembre 1657.

1.

Le prince dont Johann Garmers venait d’obtenir la protection était le duc Jules-Henri de Saxe-Lauenbourg (Julius Heinrich von Sachsen-Lauenburg ; Wolfenbüttel 1586-Prague 1665), qui avait pris la tête du duché de Basse-Saxe en 1656. Hambourg, dans le duché de Holstein, y était alors rattaché.

2.

V. note [25], lettre 516, pour la 4e édition du « Commentaire sur les Coaques d’Hippocrate » de Louis Duret (Paris, 1658).

3.

Théophraste, Θεοφραστος en grec, l’un des prénoms de Paracelse (Philippus Theophrastus Aureolus Bombastus von Hohenheim), signifie « celui qui fait comprendre (φραζειν) Dieu (θεος) » ; Guy Patin le transformait ici en Cacophraste, Κακοφραστος, « celui qui fait comprendre l’ordure (κακος) ». V. note [3], lettre 849, pour la souillure identique du prénom de Théophraste Renaudot par Patin en 1665.

V. notes [8], lettre 392, pour l’édition des œuvres de Paracelse à Genève (1658), et [12], lettre 446, pour celles de Jan i van Heurne à Lyon (même année).

4.

V. note [10], lettre 485, pour les « Œuvres complètes » de Jean Varanda parues à Lyon en 1658 ; mais leur achevé d’imprimer permettait à Guy Patin d’en parler comme prêtes dès décembre 1657 : Editio prima perfecta est die 1. Octobris, 1657 [La première impression a été achevée le 1er octobre 1657].

5.

V. note [7], lettre 406, pour les quatre centuries de « Consultations médicales » de Benedetto Silvatico (Padoue, 1656).

6.

« Ô mon Dieu, jusques à quand Seigneur, jusques à quand ! » ; Isaïe (6:11) :

« Je dis “ Jusques à quand, Seigneur ? ” Il me répondit “ Jusqu’à ce que les villes soient dévastées et inhabitées, les maisons sans personne, la campagne déserte, et que Yahvé en chasse les gens. ” »

Habaquq, autre prophète de l’Ancien Testament, a aussi utilisé cette exclamation : v. notule {f}, note [4], lettre 245.

Le cardinal Mazarin était celui qui provoquait la plainte de Guy Patin. V. note [2], lettre latine 87, pour la mort de William Harvey le 3 juin 1657 à Londres.

Le brouillon s’interrompt ici brusquement.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 65 vo.

Clar. viro D. Ioan. Garmers, Doct. Med. Hamburgum.

Certè diu Te quæsivi, Vir Cl. de Te anxius, tuáq. valetudine.
Nunc v. præ gaudio gestio, quod sciam Te valere, méq. à Te amari,
quod antehac admodum exoptavi. Quod nactus sis eximium
Patronum, serenissimum Principem, seriò gratulor. Lud. Dureti
Commentarius in Coacas Hipp.
recentis editionis Gasp. Meturas
jampridem omnium manib. teritur. Proximis diebus unum ad Te mis-
surus sum exemplar compactum, per eamdem illam viam quam mihi indicasti : nec per
me stabit quin eum brevi accipias. De Seniore nostro Clar.
Riolano nihil habeo quod dicam : jampridem enim ingressus est
viam universæ carnis : obijt enim die Lunæ, 19. Febr. hujus anni,
penè octogenarius. Filij mei Te salutant, ut et Ego, et
D. Christianum Bunckium. Lugduni ad Rhodanum sub
prælo currunt omnia Opera Io. Heurnij, in fol. Genevenses Typo-
graphi novam editionem absolvunt omnium Operum damnatissimi
nebulonis et perniciosissimi impostoris Cacophrasti Paracelsi ;
quæ tres habitura est tomos in folio. Hîc planè jacet summo suo
merito Stibium, et planè obmutescunt præ pudore Stibiales
nostri, adeo multas strages edidit tot familiarum incommodo vene-
natissimum medicamentum. Io. Varandei, Med. Monsp. opera omnia nuper
prodierunt Lugduni, in fol. Utinam multos ei similes haberet
isthæc Academia. Hîc habeo Consilia medicalia Sylvatici,
Patavini Professoris, in folio edita ante annum : jampridem de ipso
Authorem audivebam : sed opus ipsum spem meam non superavit.
Harveus, vir doctiss. Circularis motus sanguinis auctor et
inventor primus, ab aliquot mensibus Londini vitam cum morte
commutavit. Omnes viri boni et eruditi moriuntur : ille solus
non moritur, per cujus ambitionem et avaritiam concutitur à
tot annis orbis terrarum universus. O Deus, usquequo Domine, usque
quo !


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Garmers, décembre 1657

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(Consulté le 25/04/2024)

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