L. latine 101.  >
À Johann Georg Volckamer,
le 24 mai 1658

[Ms BIU Santé no 2007, fo 70 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johann Georg Volckamer, docteur en médecine à Nuremberg.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Je viens de recevoir votre très agréable lettre et y réponds sur-le-champ, car elle est ancienne, écrite il y a 40 jours ; mais cela n’a aucune importance. Je penserai à vous si quelque exemplaire des opuscules géographiques de Tassin se trouve à vendre. [1][2] J’adresse toutes mes salutations au très distingué M. Rolfinck, [3] ainsi qu’au très savant M. Reinesius ; [4] mais je ne puis satisfaire ce dernier pour le manuscrit de feu le très distingué Caspar Hofmann de Partibus similaribus car il n’est de fait plus en ma possession : je l’ai remis à un libraire lyonnais pour qu’il le fasse imprimer ; mais il n’a pas encore pu tenir ses promesses à cause de la difficulté des temps auxquels Dieu nous a réservés. [2][5][6] Je ne sais quand il le pourra, à cause des guerres, du manque d’ouvriers et de l’abondance des taxes, [7] dont vous savez que notre France est chaque jour écrasée et misérablement torturée. Je ferais pourtant cela de très bon cœur si je le pouvais, car je me déclare totalement favorable à ce très savant homme et très élégant auteur anatomique. Si ce manuscrit revenait en ma possession, je vous l’enverrais, et vous le transmettriez au très distingué M. Rolfinck ; mais s’il se perdait pour quelque raison et ne nous était pas restitué, que ferions-nous tous deux ? Moi, par mon excessive faiblesse, j’aurais frustré la postérité d’un si grand présent ; mais vous, vous seriez cause d’une pareille infortune. Ce n’est pas que je m’inquiète de votre bonne foi, ni que j’aie quelque soupçon que ce soit à l’égard du très distingué M. Rolfinck ; mais s’il s’égarait en chemin, que ferions-nous tous trois ? Pensez-y et répondez-moi ; après quoi je songerai sérieusement à récupérer ce manuscrit et à vous l’envoyer. Philippe Labbe, prêtre loyolitique, a écrit une Géographie universelle en français, qui n’est presque rien d’autre qu’une traduction de l’Epitome de Cluvier. [3][8][9] Je vous l’enverrai si vous voulez, mais elle ne contient absolument aucune table ou carte géographique. Je vous conseillerais pourtant de l’avoir et de la lire car vous avez jadis parcouru la France et comprenez notre langue. Ce livre est en français, un peu plus grand que la Grammatica de Clénard, [4][10] et coûte seulement 30 sols. C’est un très élégant abrégé de la géographie universelle et sa lecture est fort utile à ceux qui débutent en la matière. Je vous remercie pour ces trois livres de Bissel, de Wier et de l’autre théologien, dont vous avez voulu m’enrichir. [5][11][12] Il ne me semble pas qu’il faille faire aussi grand cas de l’Asiæ Descriptio  ; si on imprimait les autres parties du Monde élaborées par le même auteur, elles pourraient être fort utiles, en particulier l’Europe. [6][13] Toutefois, ces pères loyolites sont les plus médisants, les plus menteurs et les plus philargyres de tous les moines, et farciraient donc de leurs miracles fictifs les autres parties. [14][15] De là vient que, par-dessus toutes les autres troupes de moines, dont le nombre est presque infini (à tel point que la barque de Pierre est presque coulée dans la profondeur de l’abysse sous ce poids inutile de tant de vauriens oisifs), [7][16] on tient au plus haut point ces loyolites pour fort intelligents, rusés et téméraires dans l’art de pénétrer les maisons et emmener en captivité des donzelles chargées de péchés. Vous connaissez ce vers de Juvénal qui convient parfaitement à ces encapuchonnés :

Scire volunt secreta domus, atque inde timeri[8][17]

Je vous remercie, dis-je, pour ces trois excellents livres qui transforment véritablement mes sous en or ; mais Dieu aidant, je vous en racquitterai. Une seconde partie est nécessaire pour parfaire l’Anatomie de M. Rolfinck, à savoir la description des parties internes ; n’est-il pas sur le point d’en donner une prochaine édition in‑fo, complétée et menée à son terme ? [9] Notre Jardin royal gît dans un misérable abandon par l’avarice des gens de la cour, et par l’incurie et la rapacité des trésoriers qui ruinent ici tout ce qu’il y a d’honnête. [18] Je vous remercie beaucoup pour les trois livres que j’ai recouvrés, savoir les Colloquia de Luther, la Philologia sacra de Mayer et le Decalogus de Thumm. [10][19][20][21] Vous vous occuperez des autres à votre convenance, de même que de la seconde liste que je vous envoie pour que vous ne soyez pas en manque de services à me rendre. J’ai ici ces trois opuscules que vous cherchez, je les enverrai à Lyon à notre ami, le très distingué M. Spon, [22] pour qu’il vous les fasse rapidement parvenir. Je salue tous nos amis, mais vous en tout premier, très distingué Monsieur.

Votre Guy Patin de tout cœur.

De Paris, ce vendredi 24e de mai 1658.

Ôtez le livre de Bernegger contra ldomum Lauretanam de l’avant-dernière liste que je vous ai envoyée, car je me le suis récemment procuré. [11][23][24]


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johann Georg Volckamer, ms BIU Santé no 2007, fo 70 vo.

1.

V. note [2], lettre latine 96, pour Les Plans et profils de toutes les principales villes et lieux considérables de France… de Christophe Nicolas Tassin (Paris, 1634).

2.

V. note [7], lettre 270, pour le traité manuscrit de Caspar Hofmann « sur les parties similaires » du corps humain, qui a fini par être publié dans ses Opuscula medica (Francfort, 1667, v. note [14], lettre 150) ; Guy Patin l’avait alors vainement confié, avec d’autres, au libraire lyonnais Laurent Anisson pour qu’il en entreprît l’édition.

3.

V. notes [11], lettre latine 83, pour la Géographie royale du P. Philippe Labbe (Paris 1652 et 1653) et [23], lettre 151, pour l’Introductio in Universam Geographiam de Cluvier (Leyde, 1629, que Guy Patin appelait son « Abrégé »).

4.

Après plusieurs autres, Philippe Labbe avait donné une édition latine (Paris, J. Hérault, 1655, in‑8o) de la Grammatica Græca [Grammaire grecque] de Nicolas Clénard (v. note [15], lettre 901).

5.

Joannis Bisselii, e Societate Jesu, Illustrium, ab Orbe Condito, Ruinarum decas ii. Cum Breviariis Capitum et Indice.

[Seconde décade de désastres célèbres survenus depuis la création du Monde, par Joannes Bisselius, {a} de la Compagnie de Jésus. Avec une table des chapitres et un index]. {b}


  1. Johann Bissel (Babenhausen 1601-Amberg 1682).

  2. Amberg, Georgius Haugenhoferus, 1657, in‑8o ; la première décade avait paru en 1656 ; les troisième et quatrième ont été publiées en 1663 et 1664.

V. note [19], lettre 97, pour le livre de Johann Wier « sur les Fantasmagories des démons ». Je n’ai pas identifié « le livre de l’autre théologien ».

6.

V. note [4] de la lettre de Charles Spon, datée du 28 août 1657, pour la « Nouvelle Description de l’Asie » (Paris, 1656) attribuée au R.P. Georges Fournier et qui n’eut pas de suite.

7.

La « barque de Pierre » est une allégorie du Saint-Siège.

8.

Diatribe de Juvénal contre les Grecs de Rome (Satire iii, vers 109‑113) :

Præterea sanctum nihil aut ab inguine tutum,
non matrona laris, non filia uirgo, nec ipse
sponsus leuis adhuc, non filius ante pudicus ;
horum si nihil est, auiam resupinat amici.

Scire uolunt secreta domus atque inde timeri. {a}

« Par-dessus le marché, il n’y a pour eux rien de sacré, rien qui soit à l’abri de leur bas-ventre : ni la mère de famille, ni sa fille encore vierge, ni le fiancé encore imberbe, ni le fils encore intact. À défaut, ils culbutent la grand-mère de leur ami. Ils veulent savoir les secrets de la maisonnée et s’en faire ainsi redouter. » {a}


  1. Mise en exergue du vers 113 cité par Guy Patin contre les jésuites.

9.

V. note [2], lettre latine 52, pour les Dissertationes anatomicæ de Werner Rolfinck (Nuremberg, 1656) et pour leurs six livres qui couvraient les considérations générales sur l’anatomie, les os, les nerfs, les muscles, les veines et les artères, mais non les viscères (parties internes). Il n’en parut pas d’autre volume.

10.

Ces livres que Guy Patin avait récupérés étaient :

11.

Hypobolimæa Divæ Mariæ Deiparæ Camera, seu Idolum Lauretanum, Eversis Baronij Cardinalis, Canisij, Turriani ac Tursellini Iesuitarum fulcimentis dejectum. Ubi passim ex re nata contra Pseudojubilæum Petri Roestii, Iesuitæ Molsheimensis Academiæ, disseritur. Occasionem scripti docebit ad Lectorem præfatio. Autore Matthia Berneggero, Argent. Acad. Professoro.

[La Maison de la prétendue sainte Marie mère de Dieu, ou l’Idole de Loreto {a} renversée en réfutant les soutiens du cardinal Baronius {b} et des jésuites Canisius, {c} Turrianus {d} et Tursellinus. {e} Dissertation appuyée sur les faits contre le Pseudoiubilæum de Petrus Roestius, {f} jésuite de l’Université de Molsheim. La Préface {g} apprendra au lecteur les circonstances de ce livre, dont l’auteur est Matthias Berneggerus, {h} professeur de l’Université de Strasbourg]. {i}


  1. V. note [22], lettre 467.

  2. V. note [6], lettre 119.

  3. Pierre Kanis, Nimègue 1521-Fribourg 1597.

  4. Francisco Torres, Herrera vers 1509-Rome 1584.

  5. Orazio Torsellini, Rome 1545-Florence 1599 ou 1609.

  6. Petrus Roestius (Peter Roest, 1568-1648), jésuite flamand, avait publié en 1618 un livre antiluthérien intitulé « Pseudo-jubilé ».

  7. La préface est dédiée Ad Generosam Inclytæ Nationis Danicæ Nobilitatem, in Argentortensi nunc Academia studiorum gratia commorantem [À la généreuse noblesse de a célèbre Nation danoise qui étudie aujourd’hui el l’Académie de Strasbourg], avec le nom de 12 étudiants, dont la moitié appartient aux familles Rosenkrantz (v. note [11], lettre latine 255) et Giöe (v. note [5], lettre latine 233).

  8. Matthias Bernegger (Hallstatt 1582-Strasbourg 1640), mathématicien, historien, philologue et astronome, a professé l’éloquence et l’histoire à Strasbourg.

  9. Strasbourg, Christophorus ab Heyden, 1619, in‑4o : le frontispice illustre le miracle marial de Loreto dont ce livre nie la vérité.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 70 vo.

Cl. Viro D.D. Io. G. Volcamero, Medicinæ Doctori, Norimbergam.

Ecce suavissimas tuas accipio, Vir C. et statim respondeo, veteres enim sunt
illæ tuæ, et ante 40. dies scriptæ, sed nihil refert. Si quid occurrat libellorum
Geographicorum Tassini super illis de Te cogitabo. Cl. Rolfinckio salutem
plurimum dico, ut et doctissimo Reinesio : sed illi non possum gratificari, in eo
quod spectat ad librum MS. Cl. μακαριτου, C. Hofmanni, de partibus
similaribus
 : neq. enim est mei juris : eum quippe typis mandandum commisi cuidam
Bibliopolæ Lugdunensi, qui propter summam illam ad quæ Deus nos reservavit,
difficultatem temporum, hactenus promissis stare non potuit : nescio quando stare
poterit, propter bella, operarum penuriam et vectigalium copiam, quib. novis
Gallia nostra quotidie atteritur et miserè laceratur. Quod tamen libentissimè
facerem si possem, quia plurimum faveo doctissimo viro, et elegantissimo Scriptori
Anatomico. Quod si MS. ille liber in meam potentiam rediret, eúmq. Tibi
transmittem : tu v. a. tradas Cl. Rolfinckio, et aliquo modo pereat, nec nobis
restituatur, quid faciemus ambo ? ego, pro nimia facilitate tanto munere posteri-
tatem fraudabo : Tu v. tanti infortunij causa fies : non quod de fide tua quidpiam
verear, neq. de Cl. Rolfinckio quidquam suspicer : sed si pereat per viam, quid
nos tres agemus ? vide ad hoc et responde, postea v. de illo MS. recuperando,
et ad Te mittendo seriò cogitabo. Phil. Labbe, Loyoloticus Sacerdos, Geo-
graphiam scripsit universalem, Gallico idiomate, quæ nihil 2 aliud 1 ferè quam versio
Epitomes Cluverij : quam si volueris mittam, sed nullas omnino habet tabellas aut
figuras Geographicas : suaderem tamen ut habeas et legeres, tu qui olim Galliam
peragrasti, et Galliam linguam illigis : liber est Gallicus, paulò major Grammatica
Clenardi, et 30. dumtaxat assium : Compendium est elegantissimum Geographiæ
universalis, et ac ejus rei tyronibus utilissimæ lectionis. Pro tribus illis tuis libris,
Bisselij, Wieri et alterius Theologi graas ago, quib. me locupletatum voluisti,
pro Asiæ descriptione, quæ mihi non videtur tanti facienda : si aliæ partes
Mundi ab eodem Authore confectæ typis mandarentur, magis prodesse pos-
sent, Europa præsertim : alias enim partes fictis suis miraculis haud dubiè
refercient, Patres isti Loyolani, Monachorum omnium maledicentissimi, men-
dacissimi et φιλαργυροτατοι : inde fit ut supra alios omnes Monachorum
greges, quorum numerus penè infinitus, (adeo ut ex inutili illo tot desidum
nebulonum pondere ferè in abyssi profundum demergatur Petri cymbula)
isti Loyolitæ κατ’ εξοχην ingeniosissimi, astutissimi et callidissimi
habeantur 2 in circumducendis captivis mulierculis oneratis peccatis, et 1 in pene-
trandis domibus : nosti illud Iuvenialis cucullionib. istis convenientissimum :

Scire volunt secreta domus, atque inde timeri.

Gratias inquam, ago pro trib. illis tuis libris optimis, et planè aureis pro æreo
meo : sed cum Deo, aliàs compensabo. Ad perficiendam Anatomem D. Rolf.
pars altera requiritur, descriptio nempe partium internarum ; nónne
eam confectam et ad umbilicum perductam daturus est in folio, proximæ
editionis ? Regius noster Hortus miserè neglectus jacet, per Aulicorum
avaritiam, et Quæstorum ignaviam et ac rapacitatem, quæ hîc omnia bona
subvertit. Pro trib. libris recuperatis, Lutheri nempe Colloquijs,
Majeri Philologia sacra, et Thummij Decalogo,
gratias ago amplissimas :
de cæteris, tuo commodo videbis. ^ ut et de altero Indiculo,/ quem ecce Tibi mitto, ne/ Tibi desit quod agas pro/me. Libros illos tres quos requiris hîc habeo, quos
Lugdunum transmittam ad Cl. Sponium nostrum, ut per eum ad Te tutò
perveniant. Amicos omnes nostros saluto, Te v. imprimis, Vir Cl.

Tuus ex animo Guido Patin.

Parisijs, die Ven./ 24. Maij, 1658.

Ex penultimo Indiculo ad Te misso, de le Berneggeri librum contra domum
Lauretanam
, quem nuper mihi comparavi.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Georg Volckamer, le 24 mai 1658

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1134

(Consulté le 19/04/2024)

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