L. latine 103.  >
À Johannes Antonides Vander Linden,
le 26 juillet 1658

[Ms BIU Santé no 2007, fo 71 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johannes Antonides Vander Linden, à Leyde. [a][1]

Le 7e de juin, j’ai reçu le paquet que vous m’avez envoyé, parfaitement emballé, mais sans nulle lettre de vous. L’ayant jusqu’ici attendue en vain, je vous écris donc pour vous faire savoir que je suis en vie et me porte bien, entièrement attaché à vous. Je vous remercie pour vos livres et vos deux petites boîtes. Je tiendrai le Grotius et le Rivet pour très chers à mon cœur, tant pour ce qu’ils valent en eux-mêmes que pour la faveur que vous m’en avez faite ; [1][2][3] je vous offre pourtant le prix que vous voudrez pour vous en rembourser, et ne mourrai pas ingrat. Voici longtemps que je n’ai reçu lettre de vous, bien que je vous en aie écrit une bien longue le 26e d’avril, [2] en particulier à propos de votre portrait, que je désire obtenir de tous mes vœux, pour le placer dans mon laraire parmi beaucoup d’autres âmes illustres et docteurs de premier rang. [3][4][5] Pour chacun des livres que vous m’avez envoyés, ainsi que pour vos deux petites boîtes, [1] et pour leur prix, que je suis disposé à vous rembourser, je vous remercie à nouveau et vous offre tout ce que vous voudrez ; j’en remets toute la transaction à votre arbitrage. La nouvelle édition du Heurnius est achevée à Lyon, mais je n’en ai pourtant encore vu aucun exemplaire ; je vous déclare la même chose sur les œuvres de Pierre Gassendi en six très gros tomes, que je vous offre et vous enverrai dès que possible si vous voulez, afin qu’ainsi je puisse réparer en partie la peine que je vous ai fait subir, vous à qui je dois tant. [4][6][7] Écrivez-moi donc ce que vous disent ces deux ouvrages, à savoir le Heurnius et le Gassendi. Je fais grand cas des opuscules de Günther et de l’Itinerarium de Benjamin. [5][8][9][10] On s’affaire à Lyon à rassembler et éditer pour la première fois les œuvres complètes de Cardan. [6][11] Notre roi très-chrétien a souffert d’une grave fièvre près de Portus Iccius ; [12][13][14] mais il s’en est remis par la singulière grâce de Dieu, et reviendra sous peu à Paris. [7][15][16] J’entends dire ici que les choses vont mal pour la dynastie d’Espagne parce que Dunkerque a été prise et que, sous la conduite de Turenne, [17][18][19] son général en chef, notre armée royale va assiéger quelque ville, par exemple Saint-Omer ou Cambrai, [20][21] qui tombera sans doute en nos mains, tant est grande la faiblesse ou l’infortune des Espagnols. La France tout entière a répandu vœux et prières envers Dieu pour la conservation du roi, et nous sommes exaucés. [22] Christine, naguère reine de Suède, demeure à Rome, où elle pense à adopter la coutume et la règle des vestales. [23] Qui ne s’étonnerait d’une si grande métamorphose ? Qui dans son bon sens n’en rirait pas ? [8][24] Je me demande si vous avez déjà reçu ce paquet que j’avais confié au commis d’Elsevier. [25] Vale et vive, et aimez-moi.

De Paris, le 26e de juillet 1658.

Votre Guy Patin de tout cœur.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johannes Antonides Vander Linden, ms BIU Santé no 2007, fo 71 vo.

1.

V. notes :

Patin n’a fourni aucune indication complémentaire sur le contenu des deux petites boîtes (pyxides) que Johannes Antonides Vander Linden lui avait envoyées. Il pouvait s’agir de graines.

2.

Lettre latine 99.

Les curieux peuvent voir sur le manuscrit (fo 71 vo, tiers supérieur de la moitié gauche de l’image) l’effet d’un changement de plume sur l’écriture de Guy Patin, qui s’observe ici avec une remarquable netteté : d’abord dur, le bec s’écarte mal, le trait devient fin et pâle ; puis au fil de la lettre, la cursive noircit et s’épaissit, jusqu’à retrouver toutes les caractéristiques propres à celle de Patin au bout d’une dizaine de lignes.

3.

Dans l’Antiquité romaine, un laraire était une « sorte de chapelle dans l’intérieur de la maison où l’on plaçait les dieux lares [domestiques] » (Littré DLF).

V. note [10], lettre latine 99, pour l’explication sur le portrait de Johannes Antonides Vander Linden que Guy Patin désirait placer dans sa bibliothèque (son laraire).

4.

V. notes [12], lettre 446, pour les Opera omnia de Jan i van Heurne, et [19], lettre 442, pour celles de Pierre Gassendi, toutes deux parues à Lyon en 1658.

5.

Petri Guntheri, Iurisconsulti et Oratoris, ac Poetæ Laureati, de Arte rhetorica, libri duo, iuris et eloquentiæ studiosis mire utiles futuri : cum præceptionum paucitate : tum varietate exemplorum. Nunc tanquam ab interitu vindicati, correcti, et technologicis scholiis illustrati : in gratiam philologorum, opera Valentini Erythræi Lindaviensis. His adjecta sunt Opuscula quædam, eiusdem generis, quæ pagina versa indicabit. Cum gratia, et privilegio Cæsareæ Maiestatis, ad annos octo.

[Deux livres de Petrus Guntherus, {a} jurisconsulte et orateur, ainsi que poète couronné du laurier, sur l’Art rhétorique, qui seront merveilleusement utiles à ceux qui étudient le droit et l’éloquence, tant pour le petit nombre des préceptes que pour la diversité des exemples. Les voici comme sauvés de l’oubli par Valentinus Erythræus de Lindau, qui les a corrigés et éclairés par des notes techniques, pour l’agrément des philologues. On y a ajouté certains Opuscules de même genre, dont on trouvera la liste au verso de cette page. Par la faveur et le privilège que Sa Majesté Impériale a accordés pour huit ans]. {b}


  1. Peter Günther (1502-1568).

  2. Strasbourg, Samuel Emmelius, 1568, in‑12 ; première édition Mayence, Johann Scheffer, 1521, in‑4o.

V. note [5], lettre latine 77, pour l’« Itinéraire » de Benjamin de Tudèle par Constantinus L’Empereur (Leyde, 1633).

6.

V. note [8], lettre 749, pour les Opera omnia de Jérôme Cardan qui n’ont paru qu’en 1663.

7.

Dans le livre v de ses Commentaires sur la guerre des Gaules, Jules César a donné le nom de Portus Iccius (Itius ou Icius) à un port du Pas-de-Calais (Gallicum Fretum [Détroit de Gaule]) qui pourrait être Calais ou Boulogne.

V. note [9], lettre 530, pour la première de plusieurs références à la grave maladie (probablement un typhus) qui avait saisi Louis xiv à Mardyck, près de Calais, après la bataille des Dunes (14 juin 1658) et la prise de Dunkerque. Le roi avait été transporté à Calais ; accourus à son chevet, les médecins du lieu et de la cour lui avaient fait prendre de l’antimoine ; la guérison qui en résulta a compté pour beaucoup dans le changement d’opinion qui a permis le triomphe final de ce médicament contesté : en 1666, la Faculté de médecine et le Parlement de Paris votèrent le décret puis l’arrêt qui ont absous l’antimoine en le retirant de la classe des poisons interdits.

8.

Vesta, nom latin de la divinité grecque Cybèle (Fr. Noël) :

« fille de Satrune et d’Ops, ou Rhéa, ou Vesta vierge, était la déesse du feu, ou le feu même, estia, feu ou foyer des maisons. Son culte, à Rome comme en Grèce, consistait principalement à garder le feu qui lui était consacré, et à prendre garde qu’il ne s’éteignît. […]

Vestales, nom que donnaient les Romains aux prêtresses de la déesse Vesta. Ils les choisissaient vierges. L’occupation la plus importante et la plus essentielle des vestales, celle qui exigeait toute leur attention, était la garde du feu sacré. Ce feu devait être entretenu jour et nuit ; la superstition avait attaché les conséquences les plus terribles à son extinction. Les vestales qui avaient violé la virginité étaient beaucoup plus sévèrement punies que celles qui avaient laissé éteindre le feu sacré. On les enterrait toutes vives. {a} Ces prêtresses étaient dédommagées de la contrainte et des devoirs pénibles de leur état par des privilèges glorieux et des honneurs extraordinaires. Elles avaient dans la ville tout le crédit que donnent la sagesse et la religion. On les employait souvent pour rétablir la paix dans les familles, pour réconcilier des ennemis, pour protéger le faible et désarmer l’oppresseur. »


  1. V. note [22] du Naudæana 4 pour le plaidoyer de Sénèque l’Ancien en faveur d’une vestale qui avait fauté.

Aux yeux de ses contemporains incrédules, les mœurs volontiers dissolues de Christine de Suède, convertie au catholicisme et devenue dévote (jusqu’à être inhumée dans la crypte de la basilique Saint-Pierre à Rome, aux côtés des papes), s’accordaient mal avec sa nouvelle réputation de vestale. En poussant plus loin son allusion, Guy Patin avait même pu entendre dire qu’elle allait prendre le voile des religieuses consacrées à l’adoration du Christ.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 71 vo.

Clarissimo viro D.D. Io. Ant. Vander Linden, Leidam.

Fasciculum tuum ad me transmissum accepi 7. Iunij, optimè
compactum, absque ulla tua Epistola : quam quum hactenus frustra
expectaverim, ecce scribo, ut scias me vivere et valere Tibi Obstric-
tissimum : gratias igitur ago pro libris tuis, et pro utraque pyxide ;
Grotium et Rivetum mihi carissimos habebo, tam proprio nomine, quàm
tuo munere : pro quo tamen compensando quolibet pretium offero, nec
ingratus moriar. Diu est quod à Te nihil accepi literarum ; quam-
vis ad Te multa scripserim 26. Aprilis, præsertim de tua effigie, quam
ardentibus votis habere cupio, ut eam in larario meo reponam inter multas illustres
animas, et Doctores primi ordinis. Pro singulis illis tuis libris quos ad me misisti, ut et utraque
pyxide, eorúmq. pretio, quod refundere paratus sum, iterum gratias ago, et quodcumq.
volueris offero : totam rem facio tui arbitrij. Io. Heurnij Nova editio Lugdunensis est
ad umbilicum perducta, nullum tamen exemplar adhuc vidi : idem profiteor de Operib.
Petri Gassendi, sex ingent. tomis contentis : quos Tibi offero, et statim mittam,
si volueris, ut possim hac ratione Tibi, cui tam multa debeo, aliquatenus retaliare :
scribe igitur de utroque, Heurnio videlicet ac Gassendo. Guntheri libellos, ac Itine-
rarium Benjamini
magnifacio. Agitur Lugduni de nova collectione ac editione
omnium Operum Cardani. Rex noster Christianissimus ad Iccium portum gravi febre
laboravit ; sed singulari Dei beneficio convalescit, ad nos brevi reversurus. Hîc
audio male esse Hispanæ genti, ob captam Dunquerkam : et exercitum nostrum,
regium, duce Polemarcho nostro Turennio, magnam aliquam urbem brevi obsessuram,
v. gr. Sanctum Audomarum, vel Cameracum : quæ haud dubiè in partes nostras
transibit, tanta est Hispanorum sive infirmitas, sive infelicitas. Tota
Gallia vota precesq. fudit ad Deum, pro Regis incolumitate : et voto
damnati sumus. Christina Suecorum olim Regina, Romæ moratur,
ubi de Vestalium habitu ac lege subeunda cogitat : quis tantam metamorphosin
non miretur ? quis sapiens non rideat ? Fasciculum illum ante multos menses à me traditum
Elzeverij famulo, an accepis adhuc dubito
. Vive, vale, et me ama. Datum
Lutetiæ Paris. 26. Iulij, 1658.

Tuus ex animo Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johannes Antonides Vander Linden, le 26 juillet 1658

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(Consulté le 19/04/2024)

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