L. latine 107.  >
À Christiaen Utenbogard,
le 3 septembre 1658

[Ms BIU Santé no 2007, fo 73 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Utenbogard, à Utrecht. [a][1]

Je suis extrêmement peiné que vous pleuriez votre très douce mère. Dieu fasse que le temps, qui a coutume de remédier à tous les maux, finisse par dissiper votre chagrin. Je suis heureux que le très distingué Schoock se porte bien et que ses gages aient augmenté, me réjouissant qu’on ait rendu honneur à sa vertu et à son érudition. [2] Si ces 350 mensonges de Voetius se trouvent en édition latine, je voudrais les avoir ; si c’est en flamand, cela ne m’intéresse pas. [1][3] Je vous remercie, tout comme le très distingué M. van Diemerbroeck, pour la lettre que j’ai reçue de lui. [4] Vous le saluerez, s’il vous plaît, de ma part ; mais jamais on ne me persuadera qu’on puisse employer la thériaque dans la peste, [5][6] ce n’est pour moi qu’un pur excrément d’officine pharmaceutique, pour ne pas dire un poison ; sed nolo cornicum oculos configere velle videri : [2][7] suam quisque amet sponsam, suam quisque retineat hæresim[3][8] Quisque suos patimur manes ; [4][9] il est difficile, voire impossible d’arracher les plantes qui répandent de solides racines. [Ms BIU Santé no 2007, fo 73 vo | LAT | IMG] In agris incultis infelix lolium et steriles crescunt avenæ[5][10] aussi vite et même plus vite que le blé, l’orge et d’autres excellents grains ; mais je m’arrête là. J’ai reçu il y a un an ce paquet de livres que vous m’avez envoyé, par le frère de M. Marten Schoock ; [11] je lui ai offert toute sorte de services et, par lettre, je vous ai accusé réception et remercié de ce que j’avais reçu ; ce n’est pas ma faute si elle ne vous est pas parvenue, et je ne sais qui l’aura retenue. [6] Je n’ai jamais eu vos Orationes d’Antonius Æmilius ; mais, les ayant trouvés ici par hasard, je les ai achetés 20 sols il y a deux mois. [7][12] Ils me plaisent beaucoup ; vous saluerez donc très obligeamment, s’il vous plaît, leur auteur de ma part. Pour cette remarquable préface qu’on a mise à la nouvelle édition de l’Eusèbe de Scaliger, où l’on m’a nommé avec honneur, je ne sais absolument pas qui pourrait l’avoir écrite et ignore tout à fait à qui je pourrais devoir un si grand honneur. [8][13][14] Je pourrai aisément le deviner quand cet excellent livre paraîtra, à moins qu’auparavant vous ne m’appreniez qui en est le véritable auteur, pour que je le remercie de sa bienveillance ; en attendant, je vous dois d’autres remerciements pour ce que vous avez fait jusqu’à présent en ma faveur auprès du très grand Alexandre More. Deux de ses discours que j’ai ici, savoir de Pace et < de > Calvino, m’ont depuis longtemps fait connaître l’érudition de cet éminent personnagee ; mais j’apprends qu’il m’en manque un troisième, dont le titre contient ces mots, Sol et clypeus ; je le désire fort et l’attends aussi de vous. [9][15][16] Voyez l’audace avec laquelle j’agis avec vous, sed epistola non erubescit inter amicos[10][17] Je m’enquerrai avec zèle des graines de cyprès, de sapin et de phillyrée ; [18][19][18] un des nôtres m’a promis quelques graines de Geranium Sinense ; [11][21] s’il tient son engagement, je vous les expédierai sur-le-champ. Notre roi jouit d’une santé d’athlète. [22] Quand vous voudrez m’écrire ou m’envoyer quelque paquet, vous les adresserez à Leyde, chez l’excellent M. Vander Linden, [23] notre très grand ami commun, à moins qu’un autre moyen plus commode ne s’offre à vous. Vale et aimez Guy Patin, qui sera vôtre pour l’éternité.

De Paris, ce 3e de septembre 1658.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Christiaen Utenbogard, ms BIU Santé no 2007, fo 73 ro et vo.

1.

Je n’ai pas identifié cet ouvrage, probablement publié en flamand, contre Gisbertus Voetius (v. note [8], lettre 534), théologien calviniste extrémiste d’Utrecht, et bête noire de Marten Schoock et de Christiaen Utenbogard.

2.

« mais je ne veux pas sembler vouloir crever les yeux des corneilles ».

Cornicum oculos confingere [Crever les yeux des corneilles] est un adage qu’Érasme a commenté (no 275), en disant notamment :

Siquidem cornix antiquitus concordiæ symbolum erat. Ejusdem vivacitas etiam Græco proverbio celebrata est. Ut is videatur cornicum velle configere, quisquis ea de quæ antiquitas magno consensu approbavit, damnare ac rescindere covellereque conetur. Nec admodum absurdum, si quis in hunc modum accipiat, ut dicatur oculos cornicum configere, qui perspicacissimis oculatissimisque visum adimat offundatque tenebras.

[La corneille était dans l’Antiquité le symbole de la concorde. Sa vivacité était aussi proverbiale chez les Grecs. Quiconque entreprend de condamner ou détruire ce que l’Antiquité avait unanimement approuvé paraît donc vouloir crever les yeux des corneilles. Cette expression n’a rien d’absurde quand on l’applique à celui qui ôterait ou obscurcirait la vue à ceux qui l’ont très claire et aiguë].

Dans ses « quatre livres sur la Peste » (v. note [2], lettre latine 90), Ijsbrand van Diemerbroeck s’est montré chaud partisan de la thériaque pour soigner la maladie, notamment dans l’Annotatio xiv du chapitre v, De antidotis et sudoriferis [Des antidotes et sudorifiques], livre iii (page 179) :

Theriaca et Mithridatium duo nobilissima sunt antidota, quorum adversus venena et pestilentem luem excellentissimas virtutes jam a multis seculis experienta probavit, eaque in peste aliisque malignis et venenatis ac contagiosis morbis plus profuisse semper compertum est, quam innumera alia magnis titulis decantata alexipharmaca. Hinc est quod semper ubique tanta curiositate confecta, et in celeberrimo usu per totum terrarum orbem, absque ulla compositionis immutatione, habita fuerint. Neque id sine ratione, nam calorem nativum suscitant, facultatem vitalem recreant, cor adversus venena et omnis generis malignitates firmant ac defendunt, easque procul a vitæ fonte semper poros cutis expellunt, et occulta specifica qualitate pestilentis luis vim ac perniciem infringunt. Imprimis autem theriaca, non neotericis tantum cognita, sed ab ipsis quoque veteribus summopere laudata est.

[La thériaque et le mithridate sont les deux antidotes les plus réputés ; {a} depuis déjà plusieurs siècles, l’expérience a prouvé leurs éminentes vertus contre les poisons et contre la peste. On les a toujours trouvés plus utiles dans la peste et dans les autres maladies malignes, vénéneuses et contagieuses, que les innombrables autres alexipharmaques {b} dont on a rabâché les hauts mérites. Voilà pourquoi on leur a toujours et partout porté un si grand intérêt, et pourquoi, dans le monde entier, on a tenu leur emploi pour très remarquable. Et ce non sans bonne raison, car ils excitent la chaleur innée, {c} ils restaurent la faculté vitale, ils raffermissent et défendent le cœur contre les poisons et les malignités en tout genre, en les chassant par les pores de la peau loin de la source de vie ; et par leur qualité occulte spécifique, {d} ils brisent la force destructrice de la peste. Les modernes comme les anciens ont loué et reconnu la thériaque comme étant le premier de tous les antidotes]. {e}


  1. V. note [9], lettre 5, pour ces deux médicaments.

  2. V. note [20], lettre 164.

  3. V. première notule {a}, note [14], lettre 150.

  4. V. note [7], lettre 3.

  5. Suivent les références aux auteurs antiques, Ætius d’Amide, Paul d’Égine, Nicolas Myrepsus, et surtout Galien.

3.

« que chacun aime sa fiancée, {a} et que chacun persévère dans son hérésie. » {b}


  1. Cicéron sur les goûts et préférences de chacun, à propos d’un édit rédigé par Brutus {i} (Lettres à Atticus, livre xiv, xx) :

    Scripseram rogatu tuo. Meum mihi placebat, illi suum. Quin etiam cum ipsius precibus pæne adductus scripsissem ad eum “ de optimo genere dicendi ”, non modo mihi sed etiam tibi scripsit sibi illud quod mihi placeret non probari. Qua re sine, quæso, sibi quemque scribere : “ Suam quoique sponsam, mihi meam ; suum quoique amorem, mihi meum. ” Non scite. Hoc enim Attilius, poeta durissimus.

    [Sur ta demande, je l’avais récrit. Ma version me plaisait, mais lui préférait la sienne. Bien que j’aie rédigé mon traité de l’Éloquence presque uniquement sur ses prières, il m’a écrit, tout comme à toi, qu’il n’approuvait pas ce qui m’agréait. Permettons à chacun, je te prie, de composer à son goût : « À chacun sa fiancée, à moi la mienne ; à chacun ses amours, à moi les miens ! » Voilà deux vers peu élégants, mais Attilius est le plus âpre des poètes]. {ii}

    1. V. note [3], lettre 540.

    2. Attilius est un poète latin du iieiiie s. av. J.‑C. dont les œuvres sont aujourd’hui perdues. On a glosé pour savoir si Cicéron lui reprochait le fond ou la forme (scansion et syntaxe) de ses deux vers, que Franciscus Junius (v. note [15] lettre de Samuel Sorbière écrite au début de 1651) a rapportés un peu différemment :

      Suam cuique sinas sponsam, mihi meam.
      Suum cuique sinas amorem, mihi meum
      .

    3. Il y a trois et non deux syllables dans cu-i-que, et le verbe sinas [choisis], à la deuxième personne du singulier, se serait mieux accordé avec Tuam et Tuum qu’avec Suam et Suum.

  2. Référence possible à ce que saint Paul a dit sur l’utilité des hérésies pour faire progresser la vérité, v. note [18], lettre 514.

4.

« À chacun de subir ses mânes [le destin dont il a hérité] » (Virgile, Énéide, chant vi, vers 743).

5.

« Dans les champs incultes croissent la triste ivraie et les herbes stériles » (Virgile, v. note [7], lettre 761).

6.

La lettre égarée était celle que Guy Patin avait écrite à Christiaen Utenbogard le 2 février 1657 (v. sa note [2]) ; mais Patin n’y parlait pas d’Antonis Schoock, avocat à Utrecht : frère (présumé cadet) de Marten, il avait été le destinataire de sa De Figmento legis regiæ Epistola [Lettre sur la Fiction de la loi royale] (Groningue, 1661, 3e référence citée dans la note [2], lettre 719).

7.

V. note [1], lettre latine 104, pour les « Discours » d’Antonius Æmilius (Utrecht, 1651).

8.

V. note [21], lettre latine 106, pour cette méprise de Christiaen Utenbogard sur la citation louangeuse de Guy Patin dans la préface de l’Eusèbe de Joseph Scaliger (réédité à Amsterdam en 1658), écrite par Alexandre More (intitulée Alexander Morus Lectori [Alexandre More au lecteur]), dont Patin disait ignorer le signataire, mais dont il allait parler dans sa phrase suivante.

9.

V. note [23], lettre latine 106, pour la Victoria gratiæ [Victoire de la grâce] d’Alexandre More (Middelbourg, 1652), se concluant sur un discours sur« le soleil et le bouclier ».

Guy Patin possédait déjà les discours de More « sur la Paix » (Genève, 1648, v. note [63], lettre 211) et « sur Calvin » (Genève et Amsterdam, 1648, v. note [11], lettre 226).

10.

« mais entre amis, une lettre ne rougit pas » (Cicéron, v. note [6], lettre latine 19).

11.

Ce « géranium chinois » est une espèce distincte du Geranium Americanum (noctu olens, qui sent bon la nuit, v. note [1], lettre latine 77).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 73 ro.

Viro Cl. Domino Utenbogardo, Ultrajectum.

Quod suavissimam Matrem tuam lugeas, apprime doleo : utinam tempus
quod omni morbo solet mederi, luctum tuum tandem abstergat. Quod Cl. Schookius
bene se habeat, eiq. sint adaucta stipendia, gaudeo, et lætor ejus virtuti ac
eruditioni honorem habitum fuisse. Si mendacia illa Voetij 350. Latinè edita
prostarent, vellem habere : si Belgicè tamen, non curo. Pro ea quam accepi Epistola
Cl. D. Dimerbroeckij, gratias Tibi ago, et ei quoq. quem nomine meo, si placet,
salutabis : sed numquam mihi persuadebit pestilenti morbo conferre posse
Theriacam, quæ mihi est merum officinæ pharmaceuticæ excrementum, ne
dicam venenum : sed nolo cornicum oculos configere velle videri : suam quisque
amet sponsam, suam quisque retineat hæresim : Quisque suos patimur
manes : plantæ quæ firmas egerunt radices, numquam nisi difficilè avelluntur.

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 73 vo.

In agris incultis infelix lolium et steriles crescunt avenæ æquè
citò, imò citiùs quàm triticum, hordeum et aliæ fruges optimæ.
Sed desino. Fasciculum illum librorum ante annum ad me missum,
accepi è p per fratrem D. Mart. Sckokij, cui officiorum omne genus
obtuli, et de illis acceptis per Epistolam Te monui, gratiasq. egi : quod
si meam illam non acceperis, non sum in culpa, nec scio per quem steterit.
Ant. Æmilij Orationes numquam à Te accepi, eas enim hîc fortè repertas
emi 20. asses, à trib duobus mensibus : ^ quæ mihi valde placent,/ ideòq. ipsum Authorem/ si placet, officiosissime/ salutabis meo nomine. Quod spectat ad insignem illam Præfationem,
Eusebij Scaligeriani novæ editioni præponendam, in qua honorificè sum
nuncupatus, quid sit illud certè nescio, et cui tantum officium debeam,
planè ignoro : quum exierit in lucem eximius iste liber, faciliùs hariolari
potero : nisi forsan antea Te me docueris quis sit verus Author
ejusmodi Præfationis, ut ei gratias agam de sua benevolentia : interea v.
alias gratias Tibi debeo, quod apud virum maximum D. Alex. Morum
de me antehac egeris : tanti viri eruditio jampridem mihi perspecta est,
ex duabus ejus Orartionib. nimirum de Pace, et Calvino, quas hîc habeo : sed
audio tertiam quandam mihi deesse, quæ titulum habet his verbis,
Sol et clypeus : quam apprime exopto, imò et à Te expecto : vide qua
fronte tecum agam, sed Epistola non erubescit inter amicos. De Cuprissi
Abietis, et Phyllirheæ seminibus sedulò inquiram : Geranij Sinensis aliquot
semina mihi promisit unus è nostris : quæ si fidem servet, statim ad Te
procurabo. Rex noster pancraticè valet. Quando voles ad me scribere,
aut aliquem libellum mittere, isthæc singula ablegabis Leidam ad opt.
virum, utrique nostrum amicissimum, D. Vander Linden, nisi Tibi
alias facilior sese offerat occasio. Vale, et me ama, tuum in æternum
futurum Guidonem Patin.

Parisijs, die 3. Sept. 1658.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Christiaen Utenbogard, le 3 septembre 1658

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(Consulté le 29/03/2024)

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