L. latine 108.  >
À N. de Villedon,
le 20 septembre 1658

[Ms BIU Santé no 2007, fo 73 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. de Villedon, médecin à Sancerre. [a][1]

Ce passage d’Hippocrate vous torture : Empyematum terminus est umbilicus[1][2][3][4] Je voudrais qu’on entende ici sous le nom d’empyème toute collection de pus, mais principalement celle qui se constitue dans quelque recoin de l’abdomen, ou autour des viscères, et d’où, pour la préservation du péritoine, elle est transportée vers l’ombilic ; [2] de sorte qu’il peut se faire que du pus suinte par cette voie ; c’est ce que je me rappelle avoir constaté, et je ne doute pas qu’Hippocrate l’ait vu et observé. En effet, durant ses voyages, ce grand homme, extrêmement attentif à tout ce qui se présentait, consignait aussitôt par écrit tout ce qu’il avait vu et observé sur la manière de remédier ; de là vient qu’aujourd’hui se montrent et se trouvent en ses livres bien plus d’observations que de préceptes. Voilà ce sur quoi ceux qui s’appliquent à l’étude de ses ouvrages doivent avant tout porter leur attention. On y trouve même beaucoup d’excellentes choses qui ne peuvent avoir l’autorité d’un précepte universel, mais seulement celle d’un cas particulier, survenant rarement, et d’un fait tout à fait digne de remarque. Ainsi est-il fréquent que du pus se collecte en divers endroits de la région intestinale, mais il est rare qu’il s’extériorise par l’ombilic ; il n’est pourtant pas impossible, si la Nature agit avec force, que l’humeur maligne pénètre dans un rameau de la veine ombilicale, dans laquelle peut se précipiter le sang ou la sérosité des hydropiques. [3][5] Ainsi Galien a-t-il observé, dans son commentaire in Prognosticon Hippocratis, que du pus a parfois été évacué avec les urines, venant non pas des reins, mais des parties [Ms BIU Santé no 2007, fo 74 ro | LAT | IMG] supérieures, quelles qu’elles soient, et situées bien en amont des reins. [4][6][7][8] Ces choses sont certes peu communes, mais surviennent pourtant quelquefois, la Nature se fabriquant et se trouvant des voies que les yeux ne peuvent saisir. [5][9] J’ajoute là-dessus que le 6e livre des Épidémies n’est pas d’Hippocrate, de même que le 2e et le 4e, parce qu’il ne s’y trouve rien qui nous rappelle l’autorité d’un si grand homme. [10] Et voilà le peu que j’ai à vous dire sur votre question. Je vous promets et vous offre ma bienveillance et mon affection, qui ne sont pas grand-chose, mais Dieu fasse que je puisse attirer vos bonnes grâces par quelque bienfait ou service, comme je le voudrais. Vous conservez le cher souvenir du très éminent Pierre Seguin ; [11] j’ai vénéré cet excellent homme tout le temps qu’il a vécu et le vénérerai aussi longtemps que je vivrai. J’ai été son auditeur en 1623, année à partir de laquelle il a repris sa chaire royale, après la mort de son très savant fils, Michel Seguin, [6][12] et j’ai recueilli sous sa dictée ses commentaires sur les Aphorismes d’Hippocrate dans le Collège royal[13][14] Il mourut ici il y a dix ans, le plus ancien maître de l’École, âgé de 83 ans. Depuis l’an 1628, j’ai été son médecin et celui de toute sa famille ; cet homme fort bon et fort savant m’a toujours rendu la très profonde affection que je lui portais, et je prie bien pour son âme. Puisque nous l’avons tous deux eu pour précepteur, nous demeurerons vous et moi, si vous voulez bien, attachés l’un à l’autre par les liens d’un amour commun. Quant à moi, très distingué Monsieur, dum spiritus hos reget artus[7][15]

je serai votre Guy Patin en toute sincérité.

De Paris, le 20e de septembre 1658.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à N. de Villedon, ms BIU Santé no 2007, fos 73 vo‑74 ro.

1.

Villedon n’avait pas dû être satisfait de ce que Guy Patin lui avait écrit à la fin de sa précédente lettre (v. note [5], lettre latine 102) concernant un commentaire de Louis Duret sur les Prénotions coaques d’Hippocrate (Paris, 1588, v. note [10], lettre 11). Patin y revenait en citant, au bas de la page 186 (lignes 56‑57), ce passage du livre vi des Épidémies :

Empyematum est terminus umbilicus ; ea qui concepturi sunt alvo turbantur.

[L’ombilic est l’endroit où aboutissent les empyèmes ; c’est donc là que sont tourmentés ceux qui ont une obstruction intestinale].

Avec ce commentaire de Duret (lignes 58‑59) :

Sic enim tumores qui sunt infra hypochondrium, ad umbilicum usque, maximeque hypogastrici, exoluuntur.

[Ainsi en effet, les tuméfactions {a} qui siègent sous l’hypocondre, et surtout celles de l’hypogastre, {b} s’évacuent jusqu’à l’ombilic].


  1. Collections purulents (abcès et empyèmes).

  2. V. note [4], lettre 514, pour la définition anatomique de l’hypocondre. L’hypogastre (sous l’estomac) est la partie inférieure de l’abdomen, au-dessous de l’épigastre (situé au milieu des deux hypocondres) et au-dessus du pelvis (petit bassin). Il contient principalement l’intestin grêle et le côlon (gros intestin).

2.

J’ai traduit membranarum [des membranes] par « du péritoine », vaste enveloppe membraneuse continue qui recouvre les viscères et les parois de la cavité abdominale. Une infection péritonéale diffuse (péritonite) est une complication des abcès viscéraux ; on la redoute encore de nos jours. En dehors de circonstances exceptionnelles, il est cependant illusoire de penser (comme Hippocrate et Louis Duret) que de tels abcès profonds (empyèmes) puissent s’évacuer par l’ombilic.

Guy Patin allait en convenir (tout en excusant affectueusement l’erreur d’Hippocrate), et probablement rassurer Villedon sur ce point contestable de pathologie interne.

3.

La « sérosité des hydropiques » est le liquide d’ascite (épanchement séreux à l’intérieur du péritoine chez les malades atteints d’hydropisie, v. note [14], lettre 396), qui peut parfois s’infecter et devenir purulent (mais sans pour autant se mettre communément à sourdre par l’ombilic).

4.

Galien a écrit trois commentaires sur le « Pronostic d’Hippocrate » (Kühn, volume 18b), mais je n’y ai pas trouvé le passage correspondant au propos de Guy Patin.

V. note [11], lettre latine 98, pour l’idée que du pus accumulé dans d’autres parties que les reins puisse s’évacuer dans les urines.

5.

Un lecteur fort bienveillant pourrait voir dans ce bel aveu de Guy Patin une prémonition de l’immense découverte des capillaires sanguins par Marcello Malpighi en 1661 (v. note [19] de Thomas Diafoirus et sa thèse).

6.

V. note [35], lettre 183, pour le double échange de chaire royale qui eut lieu entre Pierre i Seguin et son fils Michel (du père à son fils en 1618, puis du fils mort à son père en 1623). Les leçons qu’évoquait ici Guy Patin avaient été celles du père durant son second mandat au Collège de France (entre 1623 et 1630).

7.

« tant qu’un souffle m’animera les membres » (Virgile, v. note [37], lettre 504).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 73 vo.

Cl. viro D. de Villedon, Medico Sancerano.

Torquet te locus Hipp. Empyematum terminus est
umbilicus
. Hîc empyematis nomine omnem intelligi velim puris
collectionem, eam v. præsertim quæ fit in aliquo recessu
abdominis, vel circum viscera, unde per membranarum conservationem fertur ad umbilicum, ut
aliquando contigit per eam viam pus excerni, quod me vidisse
memini : nec dubito Hippocrati visum et observatum ; quæcumq.
enim ille vidit ac observavit inter medendum in suis peregrina-
tionibus, statim ille vir magnus omnium quæ contigebant, obser-
vantissimus, scriptis consignabat, unde fit ut in ejus libris
hodie longè plures appareant ac habeantur Observationes quàm
præcepta : quod apprime observandum est ab illis qui ejus librorum
Lectioni incumbunt : multa enim etiam optima illic habentur,
quæ vim habere non possunt præcepti universalis, verùm dumtaxat
privati casus, rarò contingentis, et rei quæ observetur
dignissimæ. Non Sic non rarò colligitur pus in varijs locis alvinæ regionis ;
sed rarum est illud excrevi per umbilicum : non est tamen impossibile,
si Natura impellente, malignus humor venæ umbilicalis ramum
subeat, per quam interdum erupit sanguis, vel serum hydropico-
rum. Sic Gal. observavit comm. in Prognost. Hipp. pus interdum cum
urinis excretum fuisse, quod à renibus non prodiret, sed à partibus

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 74 ro.

superioribus, qualescumque illæ sint, et longè supra renes positis : quæ
quidem etsi rara, interdum tamen contingunt, Natura sibi vias faciente et
inveniente quas oculorum acies non deprehendit. Insuper addo : liber 6.
Epidem. non est Hipp. ut nec 2. nec 4. quare non est quod tanti viri autho-
ritas nos revocaretur. Et hæc habui pauca quæ dicerm de tua quæstione.
Benevolentiam meam et amorem meum Tibi polliceor et offero, quæ tanti
non sunt ut utrum tuum mereantur : ego v. utinam aliquo beneficio vel
obsequio possem Te demereri ut vellem. Viri Cl. Petri Seguini memoriam
habes Tibi carissimam ; eximium illum virum quamdiu vixit colui, et colam
quamdiu vixero : anno 1623. ex quo post obitum Filij doctissimi, Michaelis
Seguini
, regressus est in Cathedram regiam, ejus auditor fui, et commentaria
ejus in aphorismos Hipp. ex ore dictantis excepi in Auditorio regio. Hîc obijt ante
annos decem, antiquior Scholæ Magister, anno æt. 83. Illi totique suæ familiæ
Medicinam feci ab anno 1628. méq. semper enixè amantem redamavit, vir
optimus atque doctissimus, ^ cujus manibus bene precor : et quia communem habuimus Præceptorem, communi si placet
amoris inter nos vinculo colligati manebimus ambo : certè quod ad me spectat,
dum spiritus hos reget artus, futurus sum Tibi, Vir Cl.

Tuus ære et libra Guido Patin.

Parisijs, 20. Sept. 1658.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À N. de Villedon, le 20 septembre 1658

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(Consulté le 19/04/2024)

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