L. latine 109.  >
À Florio Bernardi,
le 11 octobre 1658

[Ms BIU Santé no 2007, fo 74 ro | LAT | IMG]

Au très distingué Florio Bernardi, docteur en médecine, à Venise.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Ce que je me rappelle avoir désiré ardemment m’est heureusement enfin arrivé : faire, en votre cité de Venise, [2] la perle du monde, la connaissance d’un ami avec qui, per ceram et linum, ac literas animi mei interpretes[1][3] je puisse parler de matière et de livres médicaux. Je trouve enfin cette occasion et déclare la devoir entièrement à l’affection et à la bienveillance peu commune que vous me portez. Bénis soient les mânes et la mémoire du très distingué M. Caspar Hofmann, excellent et très savant homme qui, dix ans après sa mort, m’a valu un si grand ami que vous, dont je choierai la faveur de tout mon pouvoir, avec esprit et sagesse, et que je ne cesserai de vénérer pendant toute ma vie. [4] C’est donc à vous d’agir, très éminent Monsieur, et d’éprouver la constance de mon esprit à honorer mes amis.

J’ai reçu votre très agréable lettre par celui que vous avez appelé l’alpha de vos amis. [2] C’est vraiment un excellent homme, dont je juge l’état de santé exactement comme vous : il me paraît exempt de toute affection vénérienne ; [5] je l’ai donc fermement averti qu’il se défie habilement de nos chirurgiens et de nos barbiers, car ce sont presque tous de très puants grippe-sous et les pires des vauriens, qui attribuent à la syphilis toutes les plaintes des malades, pour leur faire cracher leur argent par tous les moyens, bons comme mauvais ; [6][7] forfait que j’empêcherai de tout mon pouvoir, et dont je l’affranchirai et le dispenserai. Pour les livres que vous avez inscrits dans votre billet, je voudrais vous faire savoir que les Opera omnia de Pierre Gassendi en six tomes in‑fo, récemment imprimés à Lyon, sont en vente chez M. Anisson. [3][8][9] Votre ami m’a promis qu’il se les procurerait à Lyon pour vous les porter à Venise ; de même que l’Epitome Institutionum du très distingué M. Hofmann qui se vend ici. [4][10] J’ai entre les mains tous ses autres ouvrages que vous cherchez, mais ses manuscrits inédits n’ont pas encore été mis sous la presse [11] en raison de la calamité publique du moment et des folies de Bellone [12] qui secouent l’Europe presque tout entière depuis tant d’années. J’ai ici, vous dis-je, tous les livres que vous avez énumérés, à l’exception des Post-curæ, que je n’ai jamais vus et qui ont dû rester quelque part en Allemagne ; ses Variæ Lectiones ont été publiées à Leipzig, in‑8o, en 1619. Je ne doute pas que vous ayez ses Opuscula medica, publiés à Paris, in‑4o, en 1647, [13] ainsi que son livre de Medicamentis officinalibus [14] et ses Institutiones, qui sont excellentes. [15] J’ai eu ici son Théophraste[5][16][17] mais ne l’ai plus car je l’ai envoyé en Hollande à notre ami M. Vander Linden, très savant professeur de médecine en l’Université de Leyde, [18] pour qu’il y soit imprimé de la plus belle façon, chez les Elsevier. [19] Je ne sais quand cela se fera, ces hommes marchent assurément à la vitesse de la tortue [Ms BIU Santé no 2007, fo 74 vo | LAT | IMG] et sont toujours lents à achever tout ce qu’ils entreprennent. [20] Je ne doute pas que vous connaissiez M. Johanes Rhodius, Danois plus lettré et savant que bien d’autres. [21] Faites-moi savoir, je vous prie, si ce très distingué et excellent homme est en vie, s’il se porte bien, ce qu’il nous prépare maintenant ; mais surtout ce qu’il nous reste à espérer de son Celse[22] dont il nous a promis depuis de nombreuses années une édition revue, augmentée et corrigée que tous les savants attendent avidement. Vous le saluerez aussi, s’il vous plaît, de ma part, de même que Cecilio Folli, [6][23] savant anatomiste qui a été l’ami d’Alcide Musnier, médecin français et mon ami personnel que, pour notre grand malheur, nous a enlevé cette peste qui a ravagé Gênes il y a deux ans. [24][25][26]

Mais avant de finir, je vais vous informer sur nos affaires. Deux très distingués docteurs de notre École sont ici passés de vie à trépas : René Moreau, le 17e d’octobre 1656, [27] et Jean Riolan, le prince des anatomistes, le 19e de février 1657. [28] Quant à moi, je suis en vie et me porte bien, en ma 57e année d’âge. Comme professeur royal, j’enseigne publiquement la médecine au Collège de France, qui est celle d’Hippocrate et de Galien, sans zèle pour la nouveauté anatomique, pharmaceutique ou chimique. [29][30][31] Je poursuis d’une haine plus que vatinienne les formules des chimistes, [7][32][33] comme étant des moyens pour vider la bourse des gens, et surtout parce que les chimistes sont les esclaves de l’immonde Paracelse. [34] Jamais je n’emploie l’antimoine et le vitriol, [35][36] qui sont les idoles de ces amis des ténèbres. Nos remèdes communs me suffisent pour bien soigner : la casse, [37] le séné, [38] la rhubarbe, [39] les deux sirops purgatifs doux qui sont tirés des roses et des fleurs de pêcher, [40][41] avec quelques compositions de scammonée, [42] telles que sont le diaprun laxatif, [43] le diaphénic, [44] le diacartami, [45] et aussi le citron, [46] le diapsyllium et le suc de roses. [8][47][48][49] Aucune des maladies curables par essence ne résiste à ces remèdes communs, pourvu qu’on y ajoute un régime alimentaire juste et bien choisi, [50] et que la phlébotomie ait ouvert la marche, répétée autant de fois que la gravité de la maladie et que la solidité des forces l’ont exigé. [51] Nous la prescrivons et l’utilisons ici bien plus fréquemment et hardiment qu’en Italie, car nos concitoyens sont à la fois tempérés et intempérés, mais aussi intempérants, sanguins, [52] bilieux, [53] pléthoriques, [54] abandonnés aux viandes et au vin, officiers de beuverie, consommateurs de victuailles qui nourrissent à l’excès. Nous vivons dans une région septentrionale, balayée par l’aquilon qui obstrue les passages des corps, entravant toute évaporation et la transpiration insensible ; d’où vient, toujours et partout, une fréquente constitution pléthorique, même chez les enfants et les vieillards, qui nous force à recourir à la saignée comme au remède souverain, au palladium sans égal de notre art. [9][55][56][57][58][59][60][61][62][63] Prescrite avec art et méthode, elle nous a toujours réussi. Quantité d’auteurs ont écrit sur le mérite et la nécessité du secours qu’elle procure : Galien en de multiples endroits, et particulièrement dans ses trois livres de curandi ratione per sanguinis missionem ; [10][64][65] notre Fernel dans le 2e livre tout entier de sa Methodus medendi[66][67] et Botal dans un livre particulier ; [11][68][69] je vous l’enverrai si vous ne l’avez pas, de même que tout ce que vous pourrez désirer venant de nos contrées. Ce très savant Santorio Santorio, jadis votre compatriote, qui a écrit une Methodum vitandorum errorum in Medicina et publié plusieurs autres traités, n’a-t-il pas laissé des fils qui pratiquent le même métier que lui ? [12][70] Indiquez-moi aussi en quelle année il est mort.

Quel est ce médicament qu’on vend à Venise et qu’on achète aux Turcs, qu’on appelle vulgairement maslach et amfiam ? [13][71][72][73] En quoi cela diffère-t-il de notre opium commun, qui n’est pas le véritable opium, mais seulement le méconium ? De fait, l’opium des Anciens et de Dioscoride était blanc ; le nôtre est noirâtre, mais toujours suspect à tout homme honnête et sage en notre métier. [14][74][75][76] Employez-vous fréquemment l’aloès dans votre pays ? [77] En vérité, nous n’y recourons presque jamais ici à cause de sa chaleur excessive et de sa sécheresse, qui engendre l’hydropisie et provoque les hémorroïdes. [78]

[Ms BIU Santé no 2007, fo 75 ro | LAT | IMG] Utilise-t-on souvent dans votre pays ce médicament qu’on appelle la manne ? On la donne ici pour un remède assurément pernicieux et très mauvais car il n’évacue que de la sérosité et excite la soif qui, dit-on, subsiste ensuite indéfiniment. C’est pourquoi j’ai toujours vu et entendu nos meilleurs médecins, et les plus expérimentés dans les opérations de l’art, condamner ce médicament comme frelaté, corrompu et falsifié. On le fabrique en effet à partir de sucre, de miel clarifié et de scammonée ou de suc d’euphorbe, de tithymale ou d’ellébore ; [79][80][81][82[83] mais on croit que celle qu’on appelle manne de Calabre est une fiction de même nature, [84] corrompue et falsifiée par des boutiquiers en divers endroits d’Italie pour tromper et abuser presque toute l’Europe. J’apprends pourtant qu’en Allemagne on frelate et corrompt aussi ce médicament de la même façon. De là vient que je serais aisément porté à penser qu’il existe quatre types de manne chez les auteurs médicaux : 1. la manne des Hébreux ou des Chaldéens, dont il est question dans l’Exode[85] est celle qui, suivant la volonté de Dieu, s’est transformée en aliment miraculeux pour le peuple d’Israël qui fuyait l’Égypte en traversant les contrées incultes d’Arabie ; [86] 2. la manne des Grecs, celle de Dioscoride et de Galien, qui est la manne d’encens, remède peptique qui leur était familier ; [87] 3. la manne des Arabes, qu’on ne trouve plus aujourd’hui nulle part parce qu’on ne la cueille plus, et celle-là est la véritable manne, mais elle n’est plus en usage, Galien l’a appelée miel aérien ou miel de rosée ; [15][88][89] 4. la manne d’aujourd’hui, celle que j’ai décrite ci-dessus, produite par fraude et imposture, par tromperie et maquignonnage, est un médicament entièrement frelaté. Écrivez-moi néanmoins, je vous prie, ce que vous pensez de mon opinion. De nouveaux livres paraîtront prochainement à Lyon, savoir les œuvres complètes de Varanda et de Jan van Heurne, que je vous obtiendrai facilement si vous les désirez. [90][91] Prospero Marziani, qui a écrit sur Hippocrate, est-il encore en vie à Rome ? [16][92] Paolo Zacchias, auteur des Quæstiones medico-legales, qui ont été éditées trois fois, est-il encore en vie à Rome ? [17][93] Fortunio Liceti est-il mort, et quand ? [18][94] Ne pourrais-je pas avoir par votre intermédiaire les deux livres des Notabilium Medicinæ de Lælius Zaccagnius de Rome, publiés là-bas en 1644, in‑4o[19][95] et Cesare Magati de rara medicatione vulnerum, etc., in‑4o, Venise, 1616 ? [20][96] Écrivez-moi aussi, je vous prie, s’il y a chez vous quelque chose de nouveau en médecine qui soit digne de m’être expédié, hormis les Consilia de Silvatico, que j’ai et dont je puis facilement me passer. {Vale, très distingué Monsieur, et} [21][97] Si vous vous demandez à quoi j’occupe mon temps, je consacre toutes mes heures de reste à lire le livre de Galien de curandi Ratione per sanguinis missionem [10] pour l’expliquer et l’enrichir de quelques notes utiles, en prévision de mes leçons publiques qui doivent commencer au Collège royal au début de la prochaine année, 1659 ; de très nombreux auditeurs ont coutume d’y assister, presque deux cents parfois. J’ai deux fils docteurs en médecine de la Faculté de Paris, qui vous saluent de tout cœur. [98][99] Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

Vôtre pour toujours, Guy Patin, natif de Beauvaisis, docteur en médecine de Paris et professeur royal.

De Paris, ce vendredi 11e d’octobre 1658.

Nous attendons ici de jour à autre la nouvelle édition de l’Eusèbe scaligérien, [22][100] enrichie de nombreuses additions tirées du manuscrit de l’auteur, décédé à Leyde il y a 49 ans : Joseph Scaliger, [101] fils de Jules, [102] mourut en effet le 18e de janvier 1609, presque septuagénaire. Hier, nous avons dîné avec votre ami chez Philippe Poquelin, [23][103] où nous avons trinqué de pleins verres à votre bonne santé. Si vous voulez nous rendre la pareille, je pense que cela ne nous fera pas de mal et, bien au contraire, nous vous en saurons profondément gré. Il court ici la nouvelle que le Grand Turc a été étranglé par ses janissaires, sur l’ordre du grand vizir ; si elle était véridique, ce ne serait pas fâcheux à votre République, pour la guerre qu’il a menée contre vous depuis si longtemps ; c’est pourquoi je souhaite ardemment que ce tyrannicide soit absolument vrai. [24][104][105]


a.

Brouillon autographe de l’unique lettre qu’on ait de Guy Patin à Florio Bernardi, ms BIU Santé no 2007, fos 74 ro‑75 ro.

1.

« par la cire et le lin, et par les lettres qui sont les interprètes de mon âme » (Plaute, v. note [2], lettre latine 98).

2.

« Parce que l’alpha est la première lettre [de l’alphabet grec], on a dit figurément alpha pour dire premier » (Trévoux).

Faute de plus amples renseignements sur son compte, il est impossible d’identifier ce Vénitien qui craignait la vérole ; comme il venait à Paris, son ami Florio Bernardi l’avait recommandé aux bons soins de Guy Patin.

3.

Laurent Anisson, imprimeur-libraire de Lyon, venait de publier les « Œuvres complètes » de Pierre Gassendi (v. note [19], lettre 442).

4.

Epitomem Institut. quæ hic prostant dans le manuscrit : étourderie de Guy Patin qui a mis le verbe pluriel (prostant) au lieu du singulier (prostat) en lui donnant pour sujet Institutionum (féminin, génitif pluriel) au lieu d’Epitomem (féminin, accusatif singulier).

V. note [26], lettre 150, pour l’« Abrégé des Institutions [médicales] » de Caspar Hofmann (Paris, 1648).

5.

Pour ces ouvrages de Caspar Hofmann, v. notes :

6.

V. note [2], lettre latine 127, pour le Celse de Johannes Rhodius qui n’a jamais paru, malgré les efforts de Thomas Bartholin pour le sauver de l’oubli.

Cecilio Folli, Foli ou Fuoli (Cæcilius Folius ou Follius, Modène 1614-Venise 1682), docteur en médecine de Padoue, était chevalier, protomédecin et professeur public d’anatomie à Venise, dont il a fondé l’amphithéâtre (détruit par un incendie en 1800). Les deux principaux ouvrages qu’il avait alors publiés étaient :

7.

V. note [17], lettre 315, pour la haine proverbiale que le peuple romain nourrissait contre le consul Vatinius.

8.

Distinct du sirop de roses pâles, ce sucus rosarum [suc de roses] était le cynorrhodon, préparation (conserve) astringente extraite du fruit de l’églantier sauvage (rose de chien) qu’on utilisait pour soulager le ventre dans les diarrhées, et contre divers autres maux.

9.

V. note [33], lettre 223, pour le sens de bouclier sacré qu’on donne au mot palladium.

Pour donner quelque relief au refrain thérapeutique de Guy Patin, j’y ajoute deux fragments autographes que conserve le ms Montaiglon de la Bibliothèque du Collège de France (pages 140 et 143), intitulés De venæ sectione in pueris ac senibus [La Saignée chez les enfants et les vieillards]. Il s’agit probablement de notes pour une de ses leçons royales.

10.

« sur la manière de remédier par la saignée » : v. note [3], lettre 3, pour les trois traités que Galien a consacrés à la phlébotomie.

11.

V. notes :

12.

Probable erreur de Guy Patin dans l’écriture du grec : ομοτεκνους pour ομοτεχνους, dérivé de τεκνον (avec un kappa, « enfant ») au lieu de τεχνη (avec un chi, « art, métier »).

V. note [6], lettre 8, pour le livre de Santorio Santorio (professeur de médecine à Padoue, mort en 1636) sur la « Méthode pour éviter les erreurs en médecine » (Venise, 1630) et quelques-uns de ses autres ouvrages.

13.

Ce sont deux drogues alors usitées dans l’Empire ottoman n’étaient pas opiacées.

V. notes [30] et [33] de la Leçon de Guy Patin sur le laudanum et l’opium, pour d’autres considérations et citations de Patin sur ces deux substances apparentées, sinon identiques au cannabis, mot gréco-latin qui signifie chanvre et qui n’a été adopté en français qu’au milieu du xixe s. L’arabe le nomme haschich (herbe sèche).

14.

Poursuivant sa digression sur les substances narcotiques, Guy Patin en venait au méconium (suc de pavot, v. note [10], lettre de Hugues ii de Salins, datée du 16 décembre 1656) et à son quasi-synonyme, l’opium (v. note [8], lettre 118) issu du pavot somnifère (Papaver somniferum), dont on distingue en effet deux sortes (Panckoucke) :

« La variété à graine blanche est plus estimée que celle à graine noire, et la seule qu’on cultive dans l’Orient pour en retirer l’opium, d’après le rapport des voyageurs ; mais elle ne mérite cette préférence que parce qu’elle est plus grosse et donne plus d’opium, car le produit est identique dans les deux variétés. Chez nous, le pavot noir résiste mieux au froid : aussi est-ce de lui qu’on obtient ces belles variétés à fleurs doubles qu’on cultive dans les jardins ; il est donc préférable pour en retirer l’opium dans notre climat. » {a}


  1. Quelle que soit la couleur de sa graine, le pavot produit un suc blanc (méconium), base de l’opium médicinal.

15.

Γαλενου περι τροφων δυναμεως βιβλιον γ, Galeni de alimentorum facultatibus liber tertius [3e livre de Galien sur les facultés des aliments] (Kühn, volume 6, page 739, traduit du grec) :

Memini aliquando, quum æstate super arborum ac fruticum herbarumque folia mel quam plurimum fuisset repertum, agricolas velut ludentes cecinisse, Iuppiter melle pluit. Præcesserat autem nox, ut per æstatem, bene frigida, (nam tum tempus anni æstivum erat,) pridieque calida et sicca fuerat aëris temperies. Peritis quidem naturæ interpretibus videbatur halitus e terra et aquis a solis calore sublatos ac deinde exacte tenuatos ac coctos a frigore sequutæ noctis concretos coaluisse. Apud nos vero raro id accidit, in monte autem Libano quotannis persæpe. Itaque coria super terram extendentes et arbores excutientes, quod ab eis defluit, excipiunt, et ollas ac fictilia melle implent, vocantque id mel roscidum et aërium.

[Quand parfois, durant l’été, les agriculteurs avaient trouvé une grande abondance de miel sur les feuilles des arbres, des buissons et des plantes, je me souviens que les paysans chantaient, comme en s’amusant, « Jupiter a fait pleuvoir du miel ». Cela venait après une nuit bien froide, comme il s’en voit l’été, après une journée où l’air avait été sec et chaud. Les observateurs expérimentés de la nature considéraient que les exhalaisons de la terre et des eaux, produites par la chaleur du soleil, et ensuite condensées et cuites avec ménagement, s’aggloméraient en concrétions sous l’effet du froid de la nuit suivante. En vérité, cela se produit rarement chez nous, mais très souvent, tous les ans, sur le mont Liban. C’est pourquoi, en étendant des peaux sur la terre et en secouant les arbres, ils recueillent ce qui en tombe, et remplissent des pots et des vases avec ce miel qu’ils appellent miel de rosée et miel aérien]. {a}


  1. δροσομελι τε και αερομελι [drosoméli té kai aéroméli]. Cette pure manne libanaise de Galien, dite aussi manne des Arabes, était celle que Guy Patin déplorait de ne plus trouver chez les apothicaires, sinon sous la forme d’une imitation ordinairement frelatée, venue de Calabre ou, moins communément, de Briançon (v. notes [12] et [22], leçon de Guy Patin sur la manne).

    V. note [5] de la même leçon pour le miel aérien dans Aristote.

16.

V. notes [10], lettre 485, pour les Opera omnia de Jean Varanda, et [12], lettre 446, pour celles de Jan i van Heurne, toutes deux parues à Lyon en 1658.

Prospero Marziani (Reggio d’Émilie 1567-Rome 1622) avait reçu le bonnet doctoral à Bologne en 1593 ; il a pratiqué assidûment la médecine à Rome sans jamais l’enseigner. Son commentaire d’Hippocrate est le seul ouvrage qu’on ait de lui :

Magnus Hippocrates Cous Prosperi Martiani Medici Romani Notationibus explicatus. Opus desideratum.

[Le grand Hippocrate de Cos expliqué par les notes de Prospero Marziani. Ouvrage qu’on a fort désiré]. {a}


  1. Rome, Iacobus Mascardus, 1626, in‑fo de 618 pages avec index : compilation de commentaires sur les principaux livres du Corpus hippocratique.

17.

V. note [8], lettre 279, pour Paolo Zacchias, médecin pontifical mort à Rome en 1659 et auteur de célèbres « Questions médico-légales » qui connurent un durable succès. Elles parurent pour la première fois à Rome de 1621 à 1635 ; deux des éditions ultérieures avaient été :

18.

Fortunio Liceti (v. note [4], lettre 63), professeur de médecine à Padoue, était mort le 17 mai 1657, âgé de 80 ans.

19.

Lælii Zaccagnii, Romani Medici ac Philosophi, Notabilium Medicinæ libri tres. Primi autem duo, hac in secunda editione aucti, meliusque recogniti. Quorum item quivis, de quo præcipue loquatur, et disserat, in folio sequenti denunciatur.

[Trois livres de Faits notables de médecine de Lælius Zaccagnius, médecin et philosophe romain. {a} Les deux premiers sont augmentés et mieux revus dans cette nouvelle édition. La page qui suit annonce en outre ce dont chacun des trois livres parle et discute.


  1. Lælius Zaccagnius (Lelio Zaccagni ou Zaccagnini), médecin et philosophe romain (1595-1678).

  2. Rome, Michael Cortellinus, 1655, in‑4o ; première édition contenant les deux premiers livres, Rome, Bernardino Tani, 1644, in‑4o.

20.

Cæsaris Magati Scandianensis in almo Ferrariensis Gymnasio publici Medicinæ Professoris, de rara medicatione vulnerum, seu de Vulneribus raro tractandis. Libri duo in quibus nova traditur methodus, qua fœlicissime, ac citius quam alio quovis modo sanantur Vulnera. Quæcunque præterea ad veram, et perfectam eorum curationem attinent, diligenter excutiuntur : permultaq. explicantur Galeni, et Hippocratis loca eo spectantia. Hæc autem duplici quæstione. i. Utrum melius sit vulnera quotidie solvere, ac procurare, an pluribus interiectis diebus. ii. Utrum turundarum et penicillorum usus in Curatione Vulnerum sit necessarius. Novum argumentum est, a nullo hactenus attentatum, sed pulcherrimum, et Vulnera tractantibus maxime fructuosum…

[Deux livres de Cæsar Magatus, {a} natif de Scandiano, professeur public de médecine en la salutaire Université de Ferrare, sur une rare manière de traiter les plaies, ou sur les plaies qu’on a rarement à traiter ; où est présentée une nouvelle méthode qui permet de soigner les plaies plus heureusement et plus vite qu’aucune autre. On examine notamment avec soin tout ce qui concerne leur véritable et parfaite guérison et on y explique quantité de passages de Galien et d’Hippocrate sur ce sujet. Avec aussi ces deux questions : i. vaut-il mieux parer et panser les plaies tous les jours, où à plusieurs jours d’intervalle ? ii. l’emploi des charpies et des compresses est-il nécessaire pour soigner les plaies ? Est présenté un moyen nouveau, que nul n’a encore appliqué, mais qui est très précieux et extrêmement fructueux pour traiter les plaies…] {b}


  1. Cæsar Magatus (Cesare Magati, natif de Scandiano, Émilie-Romagne 1579-Bologne 1647) pratiqua et enseigna la médecine et la chirurgie avant de devenir moine capucin.

  2. Venise, Ambrosius et Bartholomæus Deus, 1616, in‑fo.

21.

Traduction entre accolades d’un début de phrase barré dans le manuscrit.

V. note [7], lettre 406, pour les quatre centuries de « Consultations » de Benedetto Silvatico (Padoue, 1656).

22.

V. note [23], lettre 535, pour la réédition du Thesaurus temporum Eusebii Pamphili [Trésor des calendriers d’Eusèbe Pamphile] de Joseph Scaliger (Amsterdam, 1658).

23.

Cousin germain de Jean-Baptiste Poquelin, Molière, et fils de Robert, marchand mercier à Paris (v. note [2], lettre 940), Philippe Poquelin était marchand de soie et bourgeois de Paris ; il s’était marié le 24 février 1658 à une nommée Catherine Rousseau.

24.

La France était alors en grave crise diplomatique avec la Turquie (v. note [4], lettre 539) ; mais la nouvelle de l’assassinat du Grand Turc, Mehmed iv (mort en 1691), par son grand vizir, Mehmed Pashha Köprülü, était fausse.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 74 ro.

Clariss. viro D. Florio Bernardo, Medicinæ Doctori, Venetias.

Feliciter tandem mihi contigit, Vir cl. quod olim a me ardente exoptasse
memini, et nimirum in Veneta vestra civitate, mundi ocello, Amicum aliquem
nancisci possem, quicum per ceram et linum, ac literas animi mei interpretes, de
rebus et libris Medicis possem agere ; hanc occasionem tandem obtineo, quam totam amori
in me tuo, et benevolentiæ non vulgari me debere profiteor. Bene sit Manibus
ac memoriæ Clar. Viri Casp. Hofmanni, viri optimi atque doctissimi, qui post
decennium ab obitu tantum Amicum mihi suscitavit, cujus gratiam quantum
in me erit sapienter et acutè fovebo, nec colere desinam per totam vitam : age
ergo, vir præstantissime, et animi mei constantiam in colendis amicis experire.

Suavissimam Epistolam tuam accepi, per illum virum quem amicorum tuorum
Alpha nuncupasti : virum sanè optimum, de cujus valetudine tecum planè sentio :
omnis virulentiæ venereæ planè mihi expers esse videtur ; ideòq. fortiter eum
monui, ut prudenter sibi caveat à Chirurgis et barbitonsorib. nostris, qui cùm
sint penè omnes putidissimi lucriones et pessimi nebulones, quibusvis ægris conqueren-
tibus syphilidem ipsam affingunt per fas et nefas, ut eos argento emungant :
quod facinus, quantum in me erit, impediam, et ab eo ipsum vindicabo atque
liberabo. Quod spectat ad libros in schedula tua annotatos, scias velim Petri Gassendi
Opera omnia sex tomis in folio, nuper excusa Lugduni prostare apud D. Anisson : quæ Tibi
Lugduno Venetias se procuraturum mihi pollicitus est amicus tuus : ut et Epitomem
Institut. Cl. Hofmanni, quæ hîc prostant : cætera omnia quæ requiris hîc habeo penes me,
sed MS. inedita, et nondum typis mandata, per publicam temporum calamitatem, et Bellonæ
furores, quib. à tot annis Europa penè tota concutitur : singula inquam illa à Te enu-
merata hîc habeo, præter Post. Curas, quas numquam vidi, quæ alicubi hærent
in Germania : ejus variæ lectiones editæ sunt in 8. Lipsiæ, anno 1619. Non dubito Te
habere ejus Opuscula Medica, edita Lutetiæ in 4. 1647. ut et librum de Medicamentis Officin.
et Institutiones, quæ sunt optimæ. Ejus Theophrastum hîc habui, nec amplius
habeo : misi illum in Hollandiam, ad Amicum nostrum D. Vander Linden, doctiss. Medicinæ
Prof. in Academia Lugduno-Batava, ut illic apud Elsevirios, elegantissimis typis
excudatur : quod quando futurum sit, nescio : certè incedunt illi homines testudineo gradu

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 74 vo.

et est fit semper lentum negotium quidquid perficiendum aggrediuntur. Non
dubito Tibi notum est virum literatum et eruditum supra multos alios,
D. Ioan. Rhodium, Danum ; fac quæso ut 2 intelligam 1 per Te, an vivat, an
valeat clariss. ille ac Optimus vir, quid nunc habeat in manibus, moliatur : imprimis
v. quid sperandum nobis supersit de ejus Cornelio Celso, cujus editionem
renovatam, ampliatam et emendatam ante multos annos nobis pollici-
tus est : quamq. eruditi omnes avidè exspectant. Eum quoque, si placet,
meo nomine salutabis, si volueris, ut et Cæcilium Folium, eruditum Anatomicum,
qui fuit amicus Alcidi Musnier, Medici Galli, et Amici mei singularis,
quem pessimo nostro fato nobis eripuit pestilens illa lues quæ ante duos annos
Genuæ grassabatur.

Verùm, antequam desinam, de rebus nostris Te monebo.
Hîc à biennio vitam cum morte commutarunt clarissimi duo Scholæ nostræ Doctores,
Renatus Moreau, 17. Oct. 1656. et Ioan. Riolanus, Anatomicorum prin-
ceps, 19. Febr. 1657. Ego vivo et valeo annos natus 57. et ut Professor regius
publicè doceo Medicinam in Auditorio regio, eámq. Hipp. et Galeni, absque ullo
studio novitatis Anatomicæ, Pharmaceuticæ nec Chymicæ. Chymistarum
formulas tanquam aucupia crumenarum, imò Chymistas, tanquam man-
cipia impuri Paracelsi, odio prosequor plusquam Vatiniano : stibio et
chalcantho, istorum tenebrionum idólis numquam utor : mihi enim sufficiunt ad
bene mendendum vulgaria nostra remedia, cassia, sena, rheum, syrupi duo
purgantes ex rosis solutivus, et de florib. mali persicæ, cum aliquot
compositionibus scammoniatis, quales sunt diaprunum solut. diaphenicum,
diacarthami, de citro, diapsyllium et de succo rosarum : nec est ullus
morbus natura sua curabilis, qui vulgarib. istis non cedat, modò adsit legi-
tima et exquisita venæ sectio victus ratio, et præcesserit venæ sectio toties repetita,
quoties postulabit morbi magnitudo et virium robur. Quod ad illam
venæ sectionem pertinet, eam hîc celebramus et usurpamus longè frequen-
tiùs atq. audentiùs quàm in Italia : sunt enim cives nostri temperati
et intemperati, et intemperantes, sanguinei, biliosi, plethorici, carnibus
et vino addicti, crapulæ ministri, cibis utentes quoi plurimum nutriunt ;
et vivimus in regione Septentrionali, Borea vento perflati, corporis
nostri meatus occludente, et omnem evaporationem ac insensilem transpi-
rationem impediente : inde frequens et semper plusquam non ubique pletho-
rica constitutio, etiam in pueris et senibus, per quam cogàmur ad sangu. missionem recurrere
tanquam ad summum præsidium, singulare Artis nostræ Palladium, et
quod semper nobis succedit, arte et methodo præscriptum ; de cujus
præsidij necessitate et dignitate plura scripserunt Galenus ubique,
et ex professo in trib. libris de cur. ratione per sang. miss. Fernelius
noster lib. 2. Meth. med. integro, et Leonardus Botallus, lib. proprio :
quem si non habeas Tibi mittam, ut et quodcumq. optaveris ex hisce
regionibus nostris. Doctiss. ille vir Sanctorius à Sanct. qui olim
apud vos vixit, et Methodum scripsit vitandorum abusum ac errorum in
Medicina
, ac plures alios tractatus edidit, filiósne reliquit ομοτεκνους ?
indica etiam quo anno obierit ?

Quid est illud medicamentum quod Venetijs
vænum exponitur, et à Turcis emitur, quod vulgò Maslac et Amfiam
nuncupatur ? quid differt ab Opio nostro vulgari, quod non est
verum Opium veterum, sed dumtaxat Meconium : Opium enim veterum
et Dioscoridis, erat candidum, nostrum est subnigrum, sed omni viro bono,
et in arte nostra sapienti semper suspectum. Estne frequens apud
vos aloes usus ? sanè hîc penè nullus est, propter immodicam caliditatem
et siccitatem, quæ hydropem accersit, et ac hæmorrhoïdes provocat.

u.

Ms BIU Santé no 2007, fo 75 ro.

Estne frequens apud vos in Medicina illius medicamenti usus quod Manna vocatur ?
Hîc certè pravum et pessimum perhibetur medicamentum, quia serum dumtaxat
evacuat, quia et sitim excitat, propterea quæ insequentem usque dicitur relinquit :manet. id eóq. à Seniorib.
nostris viris optimis, et in Artis operib. exercitatissimis semper vidi ac audivi
damnatum ejusmodi medicamentum, tanquam adulterinum, corruptum ac fucatum :
fictitium enim reputatur ex saccaro, melle filtrato, et scammonio, vel succo
peplij, tithymali, vel hellebori. Illud a. quod Manna Calabrinum voca-
tur merum esse figmentum creditur ejusdem naturæ, in varijs Italiæ locis
ab Institoribus corruptum ac fucatum, ex quo 2 penè 1 tota Europa decipitur,
ac deluditur : audio tamen etiam in Germania, idem ipsum medicamentum eodem modo
fucari et adulterari : inde fit ut mihi facilè in animum inducam quadruplex
esse Manna apud Medicinæ scriptores : nempe 1. Manna Hebraicum vel
Chaldaïcum, quod Israelitico populo ex Ægypto fugienti, et per inculta
Arabiæ loca peregrinanti, Deo sic volente, cessit in alimentum miraculosum, de
quo in Exodo. 2. Manna Græcorum, Dioscoridi et Galeni, quod est manna
thuris, pepticum illis familiare. 3. Manna Arabum, quaod hodie nullibi
reperitur, quia non colligitur, et est illud verum Manna, sed obsoletum :
à Galeno mel aïerium et δροσομελι nuncupatum. 4. Est Manna hodiernum, hîc suprà descriptum, ex fraude et impostura, fuco atque
mangonio constans, et planè fucatum medicamentum. Tu v. scribe si placet, de mea
opinione quid sentias. Novi libri Lugduno nuper prodierunt, nempe Opera omnia
Varandei, et Io. Heurnij, quos facilè obtinebis, si cupias. ^ Vivitne Romæ Pros-/per Martianus, qui/ scripsit in Hippocratem ?  <*> Vale, vir Clariss.
et me ama, tuum semper futurum, Guidonem Patinum, Bellovacum,
Doctorem Medicum Paris. et Professorem regium.

Parisijs, die Veneris, xi. Oct. 1658.

<*> Vivitne adhuc Romæ Paulus Zacchias, Author Quæstionum Medico-
Legalium
, terties editarum ? Obijtne Fortunius Licetus, et quando ? Possémne
per Te habere Lælij Zaccagnini, Romani, Notabilium Medicinæ libros duos, Romæ
editas, 1644. in 4. et Cæsarem Magatum de rara medicatione vulnerum, etc. fol.
Venetijs, 1616. Vos v. si quid habeatis novi in Medicina, vectura dignum, scribe
si placet, præter Consilia Sylvatici, quæ habeo, et quibus facilè possum
carere. Vale vir Cl. et ^ Si quæras quid agam : horis meis subsecivis
totus sum in legendo libro Galeni, de cur. ratione per sangu. miss. ijsq. eóq. expli-
cando, ac 3 scholijs 2 aliquot 1 utilibus illustrando ad Prælectiones meas publicas,
in Aula regia incohandas initio novi anni proximi 1659. ubi maximè
frequentes interesse solent Auditores, interdum prope duocenti. Duos habeo
Filios, Medicinæ Doctores in Schola Paris. qui Te ex animo salutant. Vale, etc.

Hîc in dies expectamus novam editionem Eusebij Scaligeriani, multis accessionib.
locupletatam ex MS. Authoris, ante annos 49. Leidæ mortui : obijt enim Ios. Scaliger,
Iulij filius, 18. Ianu. 1609. penè septuagenarius. Heri cœnanimus cum Amico tuo,
apud Phil. Poquelin, ibiq. plenis scyphis bonam tuam valetudinem salutavimus :
si par pari refere volueris, non ideo nobis deterius fore puto : quin potiùs in posterum
gratias agemus. Hîc circumfertur Imperatorem Turcarum à Ianizzaris suis, summi
Viziris jussu, strangulatum fuisse : quod si verum fuerit, non malè cedet vestræ
Reipublicæ diuturnum illud bellum contra vos ab eo gestum : ideóq. ardenter opto,
ut sit verissimum istud tyrannicidium.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Florio Bernardi, le 11 octobre 1658

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1142

(Consulté le 18/04/2024)

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