L. latine 122.  >
À Johannes Antonides Vander Linden,
le 11 avril 1659

[Ms BIU Santé no 2007, fo 80 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johannes Antonides Vander Linden, à Leyde.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Le 3e d’avril, notre ami le libraire M. Le Petit, [2] m’a remis votre très plaisante lettre datée du 20e de mars ; j’y ai lu que vous avez bien reçu ma précédente, [1] ainsi que le paquet de livres, dont j’apprends qu’ils vous ont plu, et m’en réjouis. L’adversaire de Philippe Douté lui prépare une réponse pro succo Cyrenaïco, et elle est déjà sous presse ; j’imagine que Douté lui répondra sans aucun doute, et vous procurerai tout cela. [2][3][4][5] M. Brochant, docte, excellent et noble Parisien, vous rendra visite pour vous voir et connaître. [6] Il y a huit jours, je lui ai envoyé une nouvelle lettre pour vous ; elle est courte et je vous y avertissais que Johannes Rhodius va très mal à Padoue, en proie à une maladie qui peut l’emporter. Celui qui me l’a relaté revenait d’Italie où il l’avait vu. Si cela est vrai, comme je le pense, Johannes Rhodius a sans doute déjà cessé de vivre ; je pense donc que nous devons dire adieu à son Celse, que vous attendrez désormais en vain. [3][7][8][9][10] J’avais prié un autre jeune Parisien, marchand qui ne manque pas de savoir, de passer vous voir et saluer de ma part ; mais vous étiez alors absent. Il a pourtant vu M. Elsevier [11] qui lui a fait don pour moi de ces deux Orationes dont je vous avais alors écrit, savoir celles de MM. Gronovius et Sylvius, dont je vous remercie à nouveau. [4][12][13] M. Drelincourt, qui est un jeune homme affable et savant, est venu me voir ; il est médecin du maréchal de Turenne et le très aimable fils d’un excellent père ; [5][14][15][16] il m’a disertement et abondamment exprimé votre affection pour moi ; ce qui pourtant m’était par ailleurs fort bien connu et manifeste. Je n’ai reçu aucune réponse de Simon Moinet, je lui écris donc à nouveau pour l’avertir qu’il est extrêmement oublieux de ses affaires et de ses devoirs ; [17] vous tiendrez, je vous prie, ma lettre pour fort recommandée. Melchior Sebizius est un homme excellent et très savant, c’est pourquoi il est digne d’être grandement loué. [18] J’ai correspondu quelquefois avec lui ; quand vous lui écrirez, je vous serai très reconnaissant de le saluer de ma part, ainsi que son fils, M. Albrecht, professeur de médecine. [19] Je suis débiteur de son père à plusieurs égards, et respecte et admire supérieurement ce vénérable vieillard qui a gratifié et illuminé notre siècle de tant de savants écrits. Si l’Europe jouissait de la paix universelle, [20] qui lui manque tant, il serait très bon de recueillir toutes ses œuvres, qui formeraient trois ou quatre grands tomes in‑fo. Cet excellent auteur n’a rien de chimique, de paracelsiste ou de charlatanesque ; [21][22][23] comme un honnête homme, il marche sur la voie royale, sans fard ni duperie, à la manière des Anciens. De jour à autre et non sans grande impatience, j’attendrai son dernier livre qui est maintenant sous la presse : c’est la Methodus particularis, nova arte conscripta ; [6] après en avoir élaboré tant d’autres, il conclura peut-être sur ce livre et achèvera la comédie et la farce de la vie, car j’apprends qu’il a déjà dépassé l’âge de 80 ans. Pour vous et pour le bien public, Dieu fasse que vous réussissiez dans votre souhait de recueillir et éditer toutes les œuvres de Caspar Hofmann, [24] le second Galien de Bavière. Jamais il ne tiendra à moi qu’une entreprise d’une telle ampleur ne progresse heureusement, car elle pourra admirablement promouvoir les études des médecins, qu’ils soient débutants ou accomplis. M. Volckamer est bon et sage, [25] et jamais il ne refusera de prêter son concours, ses soins ou sa peine, ou du moins ses conseils à un projet d’une si grande importance. Je l’ai toujours reconnu pour un homme très juste, et pour un fidèle et constant ami. J’ai récupéré les manuscrits que j’avais envoyés à Lyon et les ai ici, avec d’autres qui sont excellents et valent vraiment leur pesant d’or ; [26] en temps et lieu opportuns, je ne les refuserai jamais aux Elsevier pour qu’ils les impriment et les diffusent à l’intention du bon public. Dieu fasse qu’il en soit vraiment ainsi. Mes fils vous saluent et vous rendent grâce pour votre affection. [27][28] Vale, mon très cher ami, et aimez-moi.

De Paris, le 11e d’avril 1659.

Votre entièrement dévoué Guy Patin.

Il y a presque un an que M. Le Petit, le libraire, m’a remis votre paquet où se trouvaient le Grotius, le Rivet, etc. [29][30] Quand je l’ai reçu, j’ai offert de lui régler le prix du port, ce qu’il a refusé, et m’a quitté là-dessus. Voici six jours qu’il m’a réclamé cette somme ; je lui ai aussitôt reparti que je la lui avais offerta alors, mais qu’il l’avait refusée. Je lui ai pourtant promis que je le satisferai et m’exécuterai quand j’aurai repris mes leçons au Collège royal, après les fêtes de Pâques. [31] Cet argent ne me grèvera en aucune façon, mais mais voyez si quelqu’un d’autre ne vous l’a pas réclamé entre-temps, de façon à ne pas payer deux fois une seule et même facture de port[7] Vale.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johannes Antonides Vander Linden, ms BIU Santé no 2007, fo 80 vo.

1.

Lettre du 14 février 1659.

2.

V. note [1], lettre 547, pour la vive querelle qui opposait depuis le début de 1658 Philippe Douté à Bertin Dieuxivoye sur les vertus curatives du suc cyrénaïque (avec en arrière-plan, me semble-t-il, la proche victoire du clan antimonial de la Faculté parisienne). L’ouvrage en cours d’impression était la Defensio de Dieuxivoye (Paris, 1659), qui fut bientôt suivie d’une seconde édition augmentée de la Diaitriba de Douté. En taisant le nom de Dieuxivoye, Guy Patin ne faisait pas mystère du camp qu’il avait choisi dans cette dispute.

3.

V. notes [1], lettre du 28 mars, pour les mauvaises nouvelles que Johann Georg Volckamer avait rapportées de Padoue au sujet de Johannes Rhodius, et [2], lettre latine 127, pour son Celse qui n’a jamais paru, malgré les efforts de Thomas Bartholin pour le sauver de l’oubli.

4.

Au 2e point de sa lettre du 14 février (v. sa note [1]), Guy Patin avait accusé réception de ces deux « Oraisons », mais sans en nommer les auteurs :

5.

V. notes [8], lettre 513, et [2], lettre 941, pour les Drelincourt père et fils, tous deux prénommés Charles.

6.

Cette « nouvelle Méthode particulière, écrite de nouvelle manière » de Melchior Sebizius était son Manuale seu Speculum medicinæ practicum [Manuel ou Miroir pratique de médecine] en deux tomes (Strasbourg, 1661, v. note [9], lettre 557).

Les œuvres complètes de Sebizius n’ont jamais été réunies. Il était alors âgé de 81 ans et allait encore en vivre quinze.

7.

Au début de sa lettre latine du 26 juillet 1658, Guy Patin avait écrit à Johannes Antonides Vander Linden avoir reçu de sa part, le 7 juin précédent, « avec deux petites boîtes » (de contenu non précisé) :

Ce post-scriptum montre combien Patin était attaché aux bons comptes entre amis ; mais quoi qu’il en dît, il pouvait laisser planer un doute sur l’état de ses revenus, qui le contraignait à veiller de si près à la dépense dans une période bien antérieure à ses graves déboires financiers, qui ne prirent apparemment toute leur ampleur qu’après le mariage de son fils Robert en 1660 (vComment le mariage et la mort de Robert Patin ont causé la ruine de Guy).

En octobre 1658, Patin avait touché ses gages de professeur royal pour la première demi-année de 1657, dont le montant s’élevait à 350 livres tournois (v. le paragraphe Émoluments des Leçons au Collège de France).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 80 vo.

Clar. viro D.D. Io. Ant. Vander Linden, Leidam.

Suavissimam tuam accepi, vir Cl. datam 20. Martij, per Bibliopolam
nostrum D. le Petit, 3. Aprilis, per quam didici Te priores meas Tibi
redditas fuisse, ut et fasciculum librorum, quos Tibi gratos fuisse
intelligo et gaudeo. Adversarius Ph. Douté Responsionem ei parat, et jam sub prælo
est, pro succo Cyrenaïco : eam ad Te mittam : cui haud dubiè responsurum video ipsum Ph.
Douté
 : quæ quidem et hæc singula Tibi subministrabo. Dominus Brochant, nobilis Parisinus, eruditus
ac optimus Te inviset, ut videat ac noscat : ab octo diebus novam illi pro Te misi Epistolam,
eámq. brevem, qua monebam Te, Ianum Rhodium pessimè habere Patavij, ex lethali morbo ;
sic mihi retulit quidam Italia redux, qui illum viderat : quod si verum sit, ut verum
esse puto, haud dubiè jam vivere desijt Ianus Rhodius : ^ unde valedicendum puto suo/ Corn. Celso, quem ideo frustra/ in posterum expectabis. Alterum juvenem Parisinum
mercatorem, sed non indoctum, rogaveram ut Te videret, meóq. nomine salutaveritret : sed tunc
aberas : sed tunc vidit a. D. Elzevirium, à quo pro me dono accepit Orationes illas duas de quibus
tunc ad Te scripsi, nempe D.D. Gronovij et Sylvij, pro quib. iterum ei gratias ago. Venit
ad me juvenis ille comis et eruditus D. Drelincour, Polemarchi Turenij Medicus, optimi
Parentis filius humanissimus, qui plurib. verbis et abunde tuum in me amorem mihi decla-
ravit ; quod tamen aliunde mihi notissimum erat ac perspectissimum. A Sim. Moinet
nullum accepi responsum : ecce iterum scribo ad illum, ut hominem moneam, rerum suarum,
imò sui officij quam- nimis immemorem : meam Epistolam si placet, habebis commendatam.
Melchior Sebizius est vir optimus ac doctissimus, ideóq. multa laude dignus : ad eum
quandoque scripsi : cùm scribes ad illum, gratissimum mihi facies si meo nomine eum ac ejus
filium D. Albertum, Medicinæ Professorem, salutaveris : plurimum illis debeo ; sed venerandum
illum Senem apprime vereor ac suspicio, qui tot eruditis scriptis sæculum nostrum beavit
ac illustravit. Si pace universali gauderet Europa, qua tantopere indiget, optimum
esset omnia ejus Opera colligere, quæ tres aut 4. grandiores tomos in folio compo-
nerent : nihil habet optimus ille scriptor Chymicum, Paracelsicum aut
agyrticum : regia via incedit tanquam vir bonus, sine fuco et fallacia,
more majorum. In dies et non admodum patienter opperiar posterum ejus
librum qui nunc est sub prælo : est Methodus particularis, nova arte
conscripta
 : quo libro post tot alios scriptos, elucubratos, fortassis imponet clausulam, et
vitæ mimum atque fabulam finiet, audio enim illum 80. ætatis annum jam
superesse. De colligendis ac simul edendis singulis operib. Casp. Hofmanni,
alterius Sevonis Galeni, utinam ex voto Tibi succedant, publicoque bono,
conatus tui ; numquam per me stabit quin faustè procedat negotium
tantæ molis, à quo juniorum Medicorum, ut et etiam provectorum studia
mirificè promoveri possent. Volcamerus est vir bonus et sapiens, qui ad rem
tanti momenti, opus, opem aut operam suam, aut saltem consilium suum numquam numquam denegabit : eum semper
expertus sum virum æquissimum, fidum et constantem amicum. Quæ
Lugdunum miseram, revocavi, eáq. hîc habeo, cum alijs optimis, et planè
aureis scriptis, quæ suo tempore et loco numquam Elsevirijs denegabo, ut bono
publico divulgentur, ac typis mandentur. Fiat, fiat. Filij mei Te salutant,
et pro amore tuo gratias agunt. Vale, meum decus, et me ama. Datum
Parisijs, xi. Aprilis, 1659.

Tuus totus Guido Patin.

Annus prope est ex quo fasciculum tuum mihi reddidit Dom. le Petit, Bibliopola, in
quo latebant Grotius, Rivetus, etc. cum eum accepi, obtuli illi pretium vecturæ, quod
recusavit, et me dimisit : à sex diebus istius vecturæ pretium à me repetijt : statim
illi regessi me tunc illi obtulisse, quod recusaverat : promisi tamen me satisfacturum :
et faciam ^ quum post ferias Paschales/ revertar in ad Scholas/ regias : neq. enim me/ summa ista gravabit : interea v. Te vide ne de eodem pretio aliquis alter Te interpellet,
ne bis idem et unum vecturæ pretium persolvatur. Vale.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johannes Antonides Vander Linden, le 11 avril 1659

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1155

(Consulté le 24/04/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.