L. latine 151.  >
À Johannes Antonides Vander Linden,
le 31 décembre 1660

[Ms BIU Santé no 2007, fo 93 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johannes Antonides Vander Linden, docteur en médecine à Leyde.

Très distingué Monsieur, [a][1]

J’attends de jour à autre le paquet que vous avez remis à M. Lootius [2] qui, me dit-on, est encore arrêté à Rouen et ne peut être apporté à Paris à cause de la Seine qui est en crue en raison d’un trop grand afflux d’eaux. [3] Le Doctor Puellez, médecin de notre reine, ne connaît aucun livre d’Espagne, et peut-être n’y en a-t-il aucun ; vous n’avez donc pas le moindre secours à attendre de lui. [4][5] J’espère que vous recevrez bientôt mon petit paquet. M. Caulier vous salue. [6] Notre Angot [7] m’a récemment affirmé qu’il a envoyé pour vous à M. Elsevier [8] la feuille du Gassendi qui vous manque ; [9] si vous ne la recevez pas, je vous en enverrai une autre par un autre moyen. J’ai transmis à Chartier le Jeune le format de votre Galien ; [10][11] il m’a promis de me procurer les tomes vii et xi le mois prochain ; cela ne peut se faire plus tôt en raison du procès en suspens entre les héritiers, c’est-à-dire la veuve et les enfants de la première épouse. [1][12][13][14] Je n’aurai pas de sitôt le Paolo Zacchias parce que les héritiers, qui habitent à Rome, n’ont pas encore transmis l’épître dédicatoire à Lyon. [2][15][16] Vous n’aurez rien à me rembourser pour ces livres, je vous les offrirai pour me montrer bon payeur et m’acquitter de mes dettes, tant que faire se peut.

[Ms BIU Santé no 2007, fo 94 ro | LAT | IMG] Je ne doute pas que depuis deux ans passés vous ayez entendu parler du fœtus monstrueux de Pont-à-Mousson, dont l’observation fabuleuse a été imprimée en Allemagne, en une seule feuille, que m’a ici envoyée Johann Daniel Horstius ; [3][17][18][19][20] mais cette imposture est allée plus loin : on nous a en effet ici apporté de Provincia, la Provence en français, qui fut jadis la Gallia Bracata des Romains, un petit livre qu’un certain médecin a écrit sur le même sujet ; [4] ô que cet homme est niais ! En voici le titre : Prodigium unum et multiplex, visum et incredibile, fœtum humanum extra loca conceptum, triginta annos gestatum, etc. Je vous enverrai le livre une autre fois ; en attendant, servez-vous de mes indications pour vos de Scriptis medicis[5][21][22] Jacques Mentel et Pierre Petit, nos excellents amis, vous saluent et promettent de prendre soin de l’Arétée. Petit me le donnera quand je vous préparerai un paquet avec les livres que j’ai ci-dessus loués, le Galien et le Paolo Zacchias ; c’est-à-dire qu’il me le remettra avant Pâques. Il s’est fixé cette échéance, il m’a promis cela dans son cabinet il y a quinze jours et m’a encore confirmé son engagement hier ; et je ne pense pas qu’il y manquera car c’est un très honnête homme. [6][23][24][25][26][27] Il a récemment publié un opuscule que je vous enverrai avec les autres ; en attendant, notez-en le titre : Petri Petiti, Med. Paris, etc. [7] Le livre de M. de Girac en faveur de Balzac contre Costar est publié chez M. Blaeu, in‑8o[8][28][29][30][31] Notre ami Sorbière en a un exemplaire, que j’ai vu ; [32] mais j’ignore pourquoi on n’en trouve aucun ici ; non plus que de celui dont vous m’aviez écrit au mois d’août, savoir les Epistolæ eruditorum virorum[9][33] Un de nos marchands me les avait tous deux promis, mais n’a pas tenu son engagement. Afin qu’ils ne me manquent pas plus longtemps et que je ne les désire pas plus âprement encore, je vous prie donc, très distingué Monsieur, de me les acheter et de me les envoyer par quelque voie sûre et, si possible, reliés à la mode hollandaise. Convenez de mon impuissance et pardonnez-la-moi : je ne désire aucun livre en Europe plus passionnément que ces deux-là, avec la nouvelle édition de vos de Scriptis medicis. J’aurai à cœur de vous en rembourser la dépense. Que la paix règne entre nous deux pour ce radoteur et ce souffleur de Davidson, car tout le monde l’improuve[10][34] Mes deux fils vous saluent en retour. [35][36] Je n’ai pas vu Strachan, Bigot est en Italie et Ménage vous adresse ses compliments. [37][38][39] Je salue tous vos très savants collègues, MM. Vorst, van Horne,  Gronovius et Senguerdius, [40][41][42][43] ainsi que nos très bons amis Rompf et Stevartus, [44][45] à qui je déclare ma très grande reconnaissance pour l’affection qu’ils me portent. Notre Mazarin s’est constamment mal porté depuis 7 mois, en raison de douleurs goutteuses ou néphrétiques, ou encore hémorroïdaires. [46][47][48][49] Aujourd’hui encore, il est à nouveau alité en raison d’une très rude podagre ; [50] Dieu veuille qu’elle cesse et tourne en véritable péripneumonie. [11][51][52] Vive et vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

De Paris, ce vendredi 31e de décembre 1660, jour consacré à saint Sylvestre ; à propos de quoi on a dit à Rome il y a cent ans, sous le pontificat de Jules iii : Claudit Sylvester annum, sed Iulius anum ; Esuriunt vates, sunt in honore nates[12][53][54][55][56] Et une fois encore, vale.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johannes Antonides Vander Linden, ms BIU Santé no 2007, fo 93 vo et vo.

1.

V. notes :

2.

V. notes [10], lettre 568, pour cette réédition des « Questions médico-légales » de Paolo Zacchias par son neveu Lanfranco Zacchias (Lyon, 1661), et [9], lettre latine 148, pour son épître dédicatoire.

3.

V. note [4], lettre latine 146, pour la courte mais admirable relation de Christophe Pillement sur le fœtus pétrifié (lithopædion) de Pont-à-Mousson, que Lorenz Strauss, gendre de Johann Daniel Horst (v. note [9], lettre latine 247) allait reprendre dans sa Resolutio [Réfutation] (Darmstadt, 1661).

4.

Gallia Bracata, la Gaule Narbonnaise (ancienne Provence française), devait son nom aux bracæ, les braies, longues chausses (v. note [36], lettre 309) plus ou moins larges, serrées aux chevilles, qu’y portaient les autochtones.

5.

Dans la 3e édition (Amsterdam, 1662, page 285) de ses deux livres « sur les Écrits médicaux », Johannes Antonides Vander Linden a bien inséré Honoré-Marie Lauthier et son livre sur le lithopædion de Pont-à-Mousson, dont Guy Patin abrégeait ici le titre : « Unique et immense prodige, incroyable mais constaté de visu, un fœtus humain conçu hors des lieux ordinaires, est demeuré en gestation pendant 30 ans » (Aix, 1660, v. note [9], lettre 662).

6.

V. note [10], lettre latine 148, pour cette ancienne édition annotée d’Arétée de Cappadoce (Paris, 1554) que possédait Jacques Mentel (probablement héritée de son oncle Gabriel Naudé). Pierre Petit servait d’intermédiaire dans la transaction ; mais il avait le projet de procurer lui-même une édition d’Arétée et ne prêta pas le précieux livre à Johannes Antonides Vander Linden qui nourrissait le même dessein (v. note [10], lettre 449).

7.

V. note [6], lettre 897, pour le livre de « Pierre Petit, médecin de Paris » sur le mouvement spontané des animaux (Paris, 1660).

8.

V. note [12], lettre latine 148, pour ce dernier rebondissement de la querelle littéraire entre Paul Thomas de Girac et l’abbé Pierre Costar à propos de Jean-Louis Guez de Balzac.

9.

V. note [2], lettre 657, pour les « Lettres de savants hommes (arminiens) » (Amsterdam, 1660).

10.

Quant à lui, Johannes Antonides Vander Linden avait dû désapprouver le jugement que Guy Patin lui avait écrit sur William Davidson (v. note [1], lettre 275) à la fin de sa précédente lettre (28 octobre et 7 novembre 1660).

11.

En souhaitant une péripneumonie (v. note [11], lettre 219) à Mazarin, Guy Patin ne cachait pas son impatience de le voir mourir, car c’était toujours alors une très grave maladie (elle emporta Patin lui-même en 1672). Son lien avec la goutte (podagre) n’en est pas moins difficile à comprendre aujourd’hui, sauf à croire ce qu’a écrit Jean Fernel, en 1554, sur l’« humeur goutteuse » (Pathologie, Paris, 1655, pages 517‑518) :

« À n’en point mentir, ceux-là se trompent qui pensent que cette humeur vienne des parties internes pour se jeter sur les jointures. Car comment se peut-il faire que quelque humeur sorte des viscères et des parties plus enfoncées, et passe toute pure par les veines ? ou que celle, qui était naguère mêlée dans la masse du sang, coule de là sans mélange par les orifices des veines sur les jointures ? ou, s’il passe aussi du sang avec cette humeur, pourquoi, étant amassé dans la jointure, n’y fait-il point de phlegmon ? Même les humeurs crues qui sont portées de là sur les jointures par d’autres conduits que par les veines ne font la goutte, car la crudité qui vient de cachexie, et qui part des viscères pour se jeter sur les pieds n’y cause point la podagre. {a} Il faut donc que l’origine de la goutte soit ailleurs que dans les parties internes. Or, elle se trouve en la tête, d’où certainement il coule une humeur pituiteuse et subtile qui tombe sur les jointures ; laquelle toutefois ne vient pas du cerveau ni des ventricules internes d’icelui, où il s’amasse d’ordinaire un excrément pituiteux ; {b} car cet excrément tombe ou dehors par le nez, ou par le palais de la bouche dans la trachée-artère et sur les poumons, {c} ou bien dans l’estomac et sur les parties internes ; mais elle vient des parties externes de la tête et du dessus du crâne, où elle est la vraie source de la goutte, et d’où l’humeur superflue coule en bas, et passe entre cuir et chair. » {d}


  1. Allusion probable à l’œdème qui accompagne les états de profonde dénutrition (cachexie), dû à un appauvrissement du sang en protéines.

  2. V. note [15], lettre 260, pour la pituite, humide et froide, qu’on croyait issue du cerveau.

  3. Lien potentiel avec la péripneumonie…

  4. La goutte était donc tenue pour le résultat d’une intempérie générale en lien avec une excès de pituite.

12.

« [Saint] Sylvestre a fermé l’année, mais [le pape] Jules, son anus ; [quand] les poètes ont faim, les fesses sont à l’honneur. »

Jules iii (Giammaria Ciocchi del Monte) porta la tiare de 1550 à 1555, et vécut dans le luxe et la débauche. Ce distique impie et licencieux, construit sur le mode léonin (v. notule {d}, note [4], lettre 58), s’attaque à la fois aux mœurs sodomites dont on accusait ce pontife, et aux poètes affamés qui, à la Saint-Sylvestre, présentent leurs ouvrages aux grands seigneurs, pour les déchirer de leurs satires s’ils n’en reçoivent pas de récompense.

Je n’ai pas trouvé l’auteur des deux vers, mais Jacques-Auguste i de Thou en a donné une version adoucie (Poésies latines, Posteritati [À la Postérité], au début de l’Histoire universelle ; Thou fr, volume 1, page 297), parmi quelques autres pasquinades (v. note [5], lettre 127) :

Annum Sylvester claudit : vis cætera dicam ?
Esuriunt vates : nosti quid deinde sequatur
.

[Sylvestre a fermé l’année, veux-tu que j’en dise plus ?
Les poètes ont faim, vous savez ce qui en découlera].

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 93 vo.

Cl. viro D. Io. Ant. Vander Linden, Medicinæ Doctori, Leidam.

Vir Cl. In dies expecto fasciculum tuum traditum D. Lotio, qui
dicitur adhuc hærere Rothomagi, nec in hanc Urbem devehi posse
propter adauctum Sequanam ex nimio aquarum proventu.
Reginæ nostræ Medicus Doctor Puelles, nullos libros novit
ex Hispania, et forsan nulli sunt : non est ideo quod subsidij
quidquam ab eo expectes. Exiguum meum fasciculum spero Te
tandem acceptarum. D. Caulier Te salutat. Noster Angot
mihi nuper affirmavit, se ad D. Elsevirium, pro Te misisse
folium Gassendi quod Tibi deest : quod si non acceperis, aliud
mittam per aliam viam. Mensuram tui Galeni tradidi juniori
Charterio :pollicitus est se mihi allaturum tomum 7. et xi.
mense proximo ; nec citiùs fieri potest, propter litem inter
heredes pendentem, i. vidua et liberos primæ uxoris. Paulum
Zacchiam
nec tam citò sum habiturus, cujus videlicet Epistola
dedicatoria nondum est Lugdunum transmissa, ab heredibus
Romæ degentibus. De quorum pretio nihil refundes, sed ego
mittam, ut fiam bonum nomen, ac me liberem, si possim.

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 94 ro.

Non dubito Te statim à biennio, aliquid audivisse de monstroso
fœtu Mussipontano
, cujus historia fabulosa typis mandata fuit
in Germania, folio unico, quod hîc habeo, mihi transmisso per Io.
Dan. Horstium
. Sed longiùs processit isthæc impostura ; huc enim
ad nos delatus est libellus quidam ex Provincia, vulgo la Pro-
vence, quæ olim fuit Gallia Braccata Romanorum, super eadem
re conscriptus à quodam Medico : ο ευηθειαν hominis ! cujus lemna
sequitur. Prodigium unum et multiplex, visum et incredibile,
fœtum humanum extra loca conceptum, triginta annos gestatum,

etc. Librum aliàs mittam ; interea, utere mea indiciva pro tuis Scriptis Medicis.
Optimi viri nostri Iac. Mentelius et Petrus Petitus Te salutant, opemq. Tibi
pollicentur pro Aretæo. Ille dabit quando Tibi parabo fasciculum ex libris
supra laudatis, Galeno, et Paulo Zacchias : hîc v. dabit ante Paschalia :
hancq. metam sibi præfixit : ante xv. dies hoc mihi promisit in suo Musæo,
et adhuc heri promissum confirmavit ; nec puto defuturum, est enim vir optimus.
Libellum nuper edidit, quem cum alijs mittam : interea habeas ejus titulum.
Petri Petiti, Med. Paris. etc. Liber D. de Girac pro Balsacio adv. Costardum
editus est apud D. Blaeu, in 8. Sorberius noster unum habet exemplar, quod
vidi ; sed nescio quare nulla hîc prostent exemplaria : ut neq. illius de quo
scripseras mense Augusto, nempe Epistolæ eruditorum virorum. Quidam è
nostris mercatoribus utrumq. mihi pollicitus fuerat, sed quia non stat pro-
missis, ne diutius illis caream, neq. acrius eos optem, rogo Te Vir Cl. ut emas
utrumque mihi, mittásq. per viam aliquam tutam, et si fieri possit, utrumque
compactum more Hollandico. Infirmitatem meam agnosce, et ignosce : nullum
in Europa librum tam vehementer cupio, quàm utrumque illum, cum tuo novo
de Scriptis Medicis. Sumptus omnes facilè refundam. De nugatore et sufflone
Davidsono, pax sit inter nos : ab omnibus enim improbatur. Filij mei Te resalutant :
Strachanum non vidi : Bigotius est in Italia. Menagius gratias agit. Sapien-
tissimos viros Collegas vestros omnes saluto, nempe DD. Worstium, Van-Horne,
Gronovium, Senguerdium
 : ut et amicissimos viros Romphium et Stuartum, quo-
rum in me amori multum me debere profiteor. Mazarinus noster à 7. mensibus
fere semper male habuit, ex dolorib. podagricis aut nephreticis, vel hæmorrhoïdalibus.
Hodie quoq. denuo decumbit ex fortissima acerrima podagra, quæ utinam desinat, et in
veram peripneumoniam versatur. Vive, vale, Vir Cl. et me ama. Parisijs,
die Veneris, 31. Dec. 1660. die S. Sylvestro sacro : de quo ante annos centum, sub
Iulio 3. Papa, Romæ dictum est : Claudit Sylvester annum, sed Iulius anum :
Esuriunt vates, sunt in honore nates.
Et iterum vale.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johannes Antonides Vander Linden, le 31 décembre 1660

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(Consulté le 25/04/2024)

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