L. latine 169.  >
À François Teveneau,
le 21 juin 1661

[Ms BIU Santé no 2007, fo 103 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Fr. Teveneau, docteur en médecine à Donzy.

Plus doux des amis, [a][1]

Ô que votre lettre est suave et plaisante ! Je vous en remercie car elle m’apprend que vous êtes en vie et vous portez bien, ce qui m’agrée profondément. Dieu tout-puissant soit loué que ce Mazarin empourpré, votre duc, [1][2][3] mais vieillard insensé et malencontreux pillard de la terre tout entière, surtout de la France, charlatan italien et fripon aulique, s’en soit allé dans l’au-delà avec une hydropisie et un pourrissement du poumon, accablé par une fièvre lente et tué par les médicastres de la cour [4] avec antimoine, vin énétique, grains d’opium et autres poisons chimystiques[5][6][7][8][9][10][11][12] Il aurait sans doute été bien préférable pour toute la France, sans dire pour toute l’Europe, qu’il eût perdu la vie il y a vingt ans. Et pourtant, il a eu du mal à mourir :

Julius occubuit tandem : res mira, tot inter
Carnifices furem vix potuisse mori
[2][13]

À ce terme fatal, Jules finit sa course.
Passe vite, passant, et prends garde à ta bourse. [3]

J’ai peu de nouvelles à vous écrire de la république des lettres. Le Cardan complet en dix tomes in‑fo paraîtra dans l’année à Lyon sur la Saône. À Nuremberg seront bientôt publiées toutes les Opera medica de Gregor Horst en trois tomes in‑fo, et à Strasbourg, le Speculum medicinæ practicum de Melchior Sebizius en deux tomes in‑8o[4][14][15][16] Il n’y a rien de nouveau en notre France. Outre les œuvres de La Framboisière, homme de bien et de fort peu de mal, que j’ai {fort bien} connu jadis {quand j’étais tout jeune homme}, [5][17] les Consilia de notre Guillaume de Baillou en trois tomes in‑4o sont excellentes, tout comme ses Ephemerides et ses Opuscula[6][18] Je vous envoie quelques-unes de nos thèses, mais elles sont de la première année du cours, c’est-à-dire de moins bon aloi ; celles de l’an prochain seront meilleures, savoir {physiologiques} pathologiques et thérapeutiques. [7][19] Les Critici sacri paraîtront bientôt à Londres en dix tomes in‑fo ; c’est un grand ouvrage sur la Biblia universa, tiré de divers auteurs de premier ordre. [8][20] Mes fils vous retournent leurs compliments. [21][22] L’aîné, qui a épousé une mignonne femme voilà un an, m’a rendu grand-père : un beau petit garçon nous est né, il est vraiment ερασμιος ; [9] puisse-t-il un jour égaler enfin Érasme, ce Hollandais qui a été le compendium ingeniorum[10][23][24][25][26] Notre roi très-chrétien promet quantité de bienfaits à son peuple, celui que quantité de malheurs ont depuis longtemps ruiné et morfondu ; puissent les dieux l’aider à nous les procurer. [27] L’Anglais a épousé la vierge portugaise, au grand dam des affaires espagnoles. [11][28][29] Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

Votre Guy Patin de tout cœur.

De Paris, le 21e de juin 1661.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à François Teveneau, ms BIU Santé no 2007, fo 103 vo.

1.

Donzy, petite ville de Bourgogne (Nièvre), se situe à une cinquantaine de kilomètres au nord de Nevers. Elle donnait son nom au Donziais, baronnie appartenait au duché de Nivernais, dont le titulaire avait été le cardinal Mazarin de 1659 à sa mort. Son neveu, Philippe Mancini (v. note [10], lettre 372), lui avait succédé dans cette dignité.

2.

« Jules est enfin sous terre : c’est merveille qu’entouré par tant de bourreaux un larron ait eu du mal à mourir » ; Guy Patin ne se lassait décidément pas de rabâcher ce distique de François du Monstier (v. note [8], lettre 684).

3.

Comme le précédent, ce distique français anonyme appartient à la série de ceux que Guy Patin avait copiés pour Hugues ii de Salins dans sa lettre du 15 avril 1661.

4.

V. notes :

5.

Guy Patin a barré les mots traduits entre accolades. Nicolas-Abraham de La Framboisière (v. note [7], lettre 17) était mort en 1636, âgé de 75 ou 76 ans.

Outre les éditions françaises alors disponibles de ses Œuvres (Paris, 1613, 2 volumes in‑fo, Paris, 1631, un volume in‑fo, et Lyon, 1644, un volume in‑fo, v. notes [17], lettre 17, et [5], lettre 73), il existait une édition latine de ses Opera medica [Œuvres médicales] (Francfort, Guilielmus Fitzerus, 1629, un volume in‑4o). Elle est ornée du portrait de l’auteurportrait de l’auteur, cons. et med. regius milit. gall. archiater, etc. [conseiller et médecin du roi, premier médecin des armées de france, etc.], agrémenté de ce quatrain :

Pingitur hic pingit qui frambesarius Orbem :
Qui sanos Homines tutatur, liberat ægros :
Qui facit insuper illustres ratione, disertos
Eloquio, nec-non et Moribus ornat honestis.

Franciscus n. ab. Frambesarii f.

[Voici le portrait de la framboisière qui dépeint le monde ; qui garde les hommes en santé et délivre les malades ; qui, en outre les éclaire par son raisonnement, les rend diserts par son éloquence, et les honore aussi par ses honnêtes mœurs.

François de la Framboisière, fils de N. Ab.]

Une autre édition française allait paraître en 1664 (Lyon, Antoine Beaujollin et Jean Carteron, in‑fo).

6.

Ouvrages de Guillaume de Baillou, v. notes :

7.

Guy Patin a barré le mot « physiologiques » {mis entre accolades} pour le remplacer par « pathologiques ». V. note [6], lettre latine 157, pour la répartition des thèses parisiennes (soutenances de deux quodlibétaires et d’une cardinale) selon l’année paire ou impaire d’études.

8.

V. note [10], lettre 555, pour les « Critiques sacrés » sur la « Bible universelle » protestante (Londres, 1660-1661, 10 volumes in‑fo).

9.

Érasmios (aimable, gracieux, charmant, désiré) est l’adjectif grec dont le plus célèbre humaniste du xvie s. s’est servi pour inventer ses nom (Érasme) et prénom (Désiré) de plume (v. note [3], lettre 44).

10.

« condensé des talents », v. note [24], lettre 240, pour cet emprunt possible à Jean Barclay.

L’aîné des trois fils et de la fille de Catherine Barré qui étaient vivants au moment du décès (1670) de son mari, Robert Patin, se prénommait Ignace-Louis (v. note [16], lettre 985), ce qui pouvait ne pas plaire à Guy Patin, ennemi juré des loyolites ou ignaciens (v. note [4], lettre 430). Sa remarque sur Érasme mène à supposer qu’il aurait préféré ce prénom pour le premier de ses petits-fils, qui venait de voir le jour et dont toute la famille avait ardemment « désiré » la naissance.

11.

V. note [7], lettre 694, pour le mariage de Charles ii, roi d’Angleterre, avec Catherine de Bragance, fille du Jean iv, roi du Portugal, conclu par le traité de Whitehall le 3 juin 1661, et célébré à 13 mai 1662 à Portsmouth.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 103 vo.

Cl. viro D. Fr. Teveneau, Med. Doct. Donziacum.

O gratas atque jucundas tuas literas, Amicorum suavissime,
pro quib. gratias ago : per eas enim intelligo Te vivere et valere, rem mihi jucundissimum. Laus
sit Deo Opt. Max. Purpuratus ille Maz. dux vester, sed væsanus senex,
et infelix prædo orbis terrarum, præsertim Galliæ, agyrta Italus, et nebulo Itaulicus, abijt ad plures, cum hydrope
et diaphtora pulmonis, lenta febre confectus, et necatus à medicastris aulicis,
per stibium, vinum eneticum, grana opiatica, et alia venena Chymistica. Si
ante annos 20. rebus humanis exemptus fuisset, haud dubiè toti Galliæ, ne
dicam toti Europæ melius consultum fuisset : et tamen vix mortuus est.

Iulius occubuit tandem : res mira, tot inter
Carnifices furem vix potuisse mori.

A ce terme fatal Iules finit sa course, Passe vite passant, et prends garde à ta bourse.

De novitatibus Reip. literariæ pauca habeo quæ scribam. Lugduni
ad Ararim intra annum prodibit totus Cardanus, decem tomis in folio.
Noribergæ nuper typis mandata sunt omnia Opera Medica Greg. Horstij, 3. tomis in folio :
ut et Argentinæ, Melch. Sebizij Speculum Medicinæ practicum, 2. tomis in 8.
Gallia nostra nihil habet novi. Præter Frambesarium, virum bonum, et
minimè malum, quem valde olim novi, valde juvenis, optima sunt Consilia nostri
Gul. Ballonij, 3. tomis in 4. ut et ejus Ephemerides, ac Opuscula. Theses nostras
aliquas ad Te mitto, sed prioris anni istius Curriculi, i. sequioris commatis :
meliores futuræ sunt anni posterioris, nimirum 2 Physiologicæ Therapeuticæ et 1 Pathologicæ.
Londini nuper prodibunt x. tomis in folio, Critici sacri : Magnum opus,
ex varijs Authorib. primæ classis collectum, in Biblia universa. Filij mei Te
resalutant : ex majore natu qui ante annum formosulam duxit uxorem,
avus sum, filius enim nobis natus est pulchellus, ac verè ερασμιος : utinam
aliquando ad Erasmum illum Batavum, compendium ingeniorum, tandem
accedat. Rex noster Christianissimus populo suo jampridem malis multis
mactato et mulctato multa bona pollicetur, quod utinam præstet, faxint
Superi. Anglus Lusitanam virginem ducit in uxorem, fatali quidem eventu
rebus Hispanis. Vale, Vir Cl. et me ama. Tuus ex animo Guido Patin.

Parisijs, die 21.
Iunij, 1661.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À François Teveneau, le 21 juin 1661

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(Consulté le 24/04/2024)

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