L. latine 172.  >
À Adolf Vorst,
le 3 janvier 1662

[Ms BIU Santé no 2007, fo 134 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Vorst, docteur en médecine à Leyde.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Je dois réponse à vos deux lettres que deux nobles Écossais m’ont remises à des dates différentes : la première par Robert Sibbald, [2] au mois d’octobre, et la seconde, datée du 4e de novembre, que j’ai tout récemment reçue ; [1] mais quelque chose de plus me pousse, qui est ma très grande gratitude pour votre fidèle affection et votre singulière bienveillance à mon égard, que j’avoue sincèrement n’avoir jamais méritées. Je ferai tout mon possible pour être utile à Robert Sibbald, que ce soit par mon influence, par mon aide, par mon travail ou par mes conseils ; c’est un jeune homme savant et de bonnes mœurs, digne d’être aimé de tous les gens honnêtes et mieux en vue que moi. Je ne refuserai aucun service à son autre congénère s’il a besoin de mon assistance, tant à cause de vous et de votre recommandation, qu’à cause de notre commun attachement à la science médicale, à laquelle je vois que tous deux se dévouent et s’attachent. Je connais le pacte qui a jadis allié les Français aux Écossais, [2][3] mais les vents ont tourné depuis et ces gens sont presque devenus Anglais ; s’ils en acquièrent le tempérament et l’esprit, ils finiront par être plus violents et plus injustes qu’eux à l’encontre des Français. Je promets toute sorte de services à monsieur votre fils, [4] savant jeune homme qui est digne de toute louange.

J’ai vu ici la nouvelle édition des Opera de Cicéron faite en votre pays et vous en remercie. [5][6] Je n’ai pas encore vu le Seneca Tragicum du très distingué M. Friedrich Gronovius ; [3][7][8] mais sans doute le verrai-je, car les marchands, qui sont très âpres au gain, ont coutume de toujours apporter en cette ville les excellents livres de ce genre en grand nombre d’exemplaires. Je vous remercie beaucoup pour tout cela. Je ne désire rien d’autre venant de votre ville que des thèses, des disputations ou des discours de philosophie ou de médecine, s’il s’en trouve et si vous pouvez me les obtenir par prière ou par argent. [9] J’apprends qu’on a récemment disputé chez vous une thèse de Scorbuto, sous la présidence de M. van Horne, mais n’ai pas encore pu la voir. [4][10][11] Dieu veuille que la concorde règne entre notre excellent Vander Linden et Sylvius, votre très savant professeur ; [5][12][13] mais les esprits de certains mortels sont inquiets et hostiles à l’entente mutuelle comme à la paix, de sorte qu’ils préfèrent avoir les savants hommes pour ennemis que pour amis.

Quant à votre seconde lettre qu’on vient de me remettre, j’avoue franchement debere gallum Æsculapio[14][15][16] car je me suis heureusement sorti d’une grave maladie, après avoir eu la félicité de passer les 60 premières années de ma vie sans presque aucun souci de santé ; mais on doit supporter avec bonne volonté ce qui ne se peut faire autrement. [6][17][18] Tel était mon destin, mais je n’en ai guère été inquiété, comme il a plu à Dieu tout-puissant : je n’ai jamais douté de mon salut et de ma guérison, après la phlébotomie qu’on a répétée huit fois (c’est le remède qui m’est le plus cher), avec l’emploi de cathartiques (mais en petite quantité car j’en ai fort horreur). [19][20] [Ms BIU Santé no 2007, fo 134 vo | LAT | IMG] J’aurais facilement échappé à une telle maladie si j’avais un peu moins travaillé durant toute l’année et si j’avais été un peu plus attentif à préserver ma santé ; je serai plus prudent à l’avenir, si Dieu veut. Le nombre des malades a été si grand chez nous pendant tout le printemps et tout l’été que je n’ai pu conserver qu’à grand’peine du temps pour rassembler mes esprits et pour reposer mon corps épuisé par l’excès de travail. Vous connaissez ces mots de Manilius, Aurum dum quærimus ævum perdimus[7][21] Et voilà le sort des médecins de Paris : nous agitons presque tous cette urne du destin, nous moissonnons pour nous les propres malheurs que nous tirons des misères des autres, comme dit en ses Adages, suivant le livre d’Hippocrate de Flatibus, Désiré Érasme, écrivain de génie divin, votre compatriote qui m’est infiniment cher. [8][22][23] Tant mieux, et Dieu soit loué que j’en sois sorti ; pourvu que ce soit pour l’avantage public et pour le vôtre particulier, si quelque occasion bienvenue se présente ; car en effet, je n’en refuse pas la peine :

Nec mihi regnandi venit tam dira cupido,
Quamvis Elysios miretur Græcia campos
[9][24]

Je vous remercie particulièrement pour vos vœux, je survivrai et n’abandonnerai pas mon poste, à moins que le tout-puissant Maître ne l’ait ordonné, lui qui est le suprême arbitre et administrateur de notre vie et de notre mort ; mais avant de finir, voici des nouvelles fraîches de nos affaires publiques. Je ferai tout mon possible pour que votre noble Écossais, qui a récemment été reçu docteur en votre pays, comprenne quel grand cas je fais de vous ; je voudrais en effet vous faire savoir que tout ce que vous m’aurez confié me sera toujours tout à fait agréable et recommandé.

Nous avons certes un roi puissant et généreux, mais Dieu veuille qu’il entende bien aussi la misère publique de la France tout entière : [25] la cherté des denrées est ici extrême, Dieu fasse qu’elle s’amenuise, sur ordre du roi et pour le bien du peuple ; tant de taxes sont à supprimer, qui ne l’ont pas encore été depuis que la paix a été conclue ; [26][27] de sorte qu’à très juste titre, notre France ne perçoit pas ses bienfaits et peut avoir raison de douter qu’elle ait vraiment été conclue avec l’Espagnol. [28] Un Siècle d’or [29] s’annonce à nous, dites-vous ; Dieu fasse que nous voyions enfin cela. Il faut le souhaiter, mais je ne sais s’il faut l’espérer ; vous connaissez l’antique citation : Reges alienis oculis vident, alienis pedibus ambulant, alienis manibus subditorum opes diripiunt, etc. ; [10][30] mais comme c’est presque toujours le cas, bonus, cautus, optimus venditur Imperator[11][31][32] Pourvu que ce qu’a dit Horace soit faux en nos affaires : quidquid delinquunt Reges, plectuntur Achivi[12][33] Nous avons la paix, et pourtant nous ne l’avons ni vue, ni reconnue. Dieu fasse qu’elle nous vienne enfin, avec tous ses avantages et ses agréments, par la bienveillance du roi pour ses sujets, malgré les partisans et les misérables concussionnaires, voleurs dignes de la potence, qui ont malencontreusement dévasté et accaparé notre France depuis plus de 30 ans. Je n’ai presque rien à vous écrire de notre Fouquet, [34] le pire des bipèdes et le plus misérable des vauriens, bien qu’il ait [Ms BIU Santé no 2007, fo 135 ro | LAT | IMG] naguère obtenu les plus éminentes charges du royaume. Toute son affaire est obscure, cheminant encore dans les ténèbres ; on en a fait beaucoup d’annonces depuis quatre mois, mais presque rien n’est arrivé. Il a jusqu’ici été mis en prison et on l’y garde encore. Il est vrai que voilà quatre jours, on l’a amené en cette ville, mais nul ne sait encore ce qu’il en adviendra. Je range donc cette affaire parmi les secrets et arcanes du gouvernement, in quæ frustra inquiras, neq. enim ideo assequare, etc. [13][35] Beaucoup le menacent de la peine capitale et lui promettent le gibet, comme voleur public et très dangereux prévaricateur ; pour moi, je doute assurément de l’issue, en me fondant sur des raisons presque certaines. Cor Regis in manu Dei est[14][36] Il semble que nous n’ayons rien à craindre d’une guerre espagnole puisque ce différend déclenché par la faute de l’ambassadeur anglais paraît presque résolu et apaisé. [15][37] Nous avons ici la reine mère, Anne d’Autriche, qui est très désireuse de préserver la paix publique et très attentive à ménager la famille autrichienne. [38] Étant donné sa prudence, je suis facilement enclin à penser que, tant qu’elle vivra, il n’y aura plus aucune guerre avec les Espagnols ; à moins que le roi d’Espagne ne meure, car alors il pourra sérieusement s’agir pour nous de revendiquer la Catalogne, le duché de Milan, la Flandre et les autres territoires qui nous ont jadis appartenu, ou qui du moins se sont alliés à nous. [39][40][41][42] Si notre France n’était pas écrasée de tant d’impôts, notre roi, qui est effectivement très riche, pourrait mener une guerre avec succès ; mais il faut souhaiter qu’il s’occupe des entrailles de son royaume entièrement terrassé, plutôt qu’il ne songe à étendre les frontières de sa France. Advienne que pourra. Je sais depuis longtemps et j’ai parfaitement compris, comme presque tout le monde avec moi, que les intrigues des Autrichiens sont surprenantes, et comme est grande leur habileté à semer le trouble dans les affaires publiques. [43] Je pense que ces loyolites, les pires des simoniaques et les plus fripons des bipèdes, ne valent pas mieux ; [44] sous couvert de religion, ils mêlent le ciel à la terre et perturbent tout. J’espère néanmoins que Dieu aura dorénavant pitié de nous et mettra fin à tant de calamités publiques que la guerre a engendrées. [45] Je vous en dirai pourtant plus une autre fois sur une conjoncture si complexe et embrouillée ; mais en attendant, très distingué Monsieur, je vous demande pardon d’avoir recouru à la main d’un autre pour écrire cette lettre car mes forces sont encore languissantes. Vous savez fort bien la vérité de ce qu’un très grand homme de chez nous, Simon Piètre, personnage éminent que son propre mérite a placé au-dessus de tous les honneurs, médecin de Paris et professeur royal, avait jadis coutume de dire : nervosum genus dificillissimè restituitur : sed in patientia possidebo animam meam donec transeat iisthæc imbecillitas[16][46] Puissé-je retrouver toutes mes forces ! [Ms BIU Santé no 2007, fo 135 vo | LAT | IMG] Mais en attendant, très éminent Monsieur, vale et continuez de m’aimer comme vous faites, bien que je ne le mérite pas.

De Paris, ce 3e jour de l’an nouveau, 1662, que je vous souhaite heureux et prospère, ainsi qu’aux vôtres.

Votre Guy Patin de tout cœur.


a.

Brouillon manuscrit d’une lettre que Guy Patin, malade (v. note [1], lettre 717), a dictée à l’intention d’Adolf Vorst, ms BIU Santé no 2007, fos 134 ro‑135 vo ; la suscription, la signature et quelques corrections sont seules de la plume de Patin.

1.

Lettres d’Adolf Vorst datées du 4 septembre (v. sa note [3] pour Robert Sibbald et son autobiographie) et du 4 novembre 1661, qui ont eu la chance exceptionnelle d’être toutes deux conservées, l’une à l’Université d’Uppsala et l’autre au Collège de France ; ce qui donne une idée de ce qu’a pu être la dispersion (et la destruction) des archives manuscrites que Guy Patin conservait dans sa bibliothèque.

2.

V. note [4], lettre d’Adolf Vorst, datée du 4 septembre 1661.

3.

V. notes [6] et [7], lettre d’Adolf Vorst, datée du 4 septembre 1661, pour le Cicéron édité par Cornelius Schrevelius (Amsterdam, 1661) et pour les « Tragédies de Sénèque » éditées par Johann Friedrich Gronovius (Leyde, 1661).

4.

Je n’ai pas trouvé trace d’une thèse « sur le Scorbut » disputée à Leyde sous la présidence de Jan van Horne ; mais Guy Patin la confondait peut-être avec la Disputatio medica inauguralis de Scorbuto… [Thèse inaugurale de médecine sur le Scorbut…] (Groningue, Joannes Draper, 1661, in‑4o), disputée les 21 et 22 octobre 1661 à Groningue par Joannes Welhuysen sous la présidence de Franciscus Junius (peut-être un fils du Junius de même prénom que Samuel Sorbière a cité dans sa lettre de janvier 1651, v. sa note [15]).

5.

V. note [9], lettre d’Adolf Vorst, datée du 4 septembre 1661, pour cette querelle académique leydoise dont la correspondance de Guy Patin n’a pas donné le fin mot.

6.

Guy Patin reprenait l’adage « devoir un coq à Esculape » que lui avait cité Adolf Vorst : v. notes [1] et [2] de sa lettre datée du 4 novembre 1661, pour le coq qu’on sacrifiait à Esculape en remerciement d’avoir guéri d’une maladie, et pour la possible typhoïde qui avait durement frappé Patin en octobre 1661 (v. note [1], lettre 717) et dont il n’était toujours pas tout à fait remis ; ce qui explique pourquoi il dictait alors ses lettres.

7.

« Tandis que nous cherchons de l’or, nous gâchons nos plus belles années » (v. note [8], lettre 758).

8.

Le livre d’Hippocrate « sur les Flatulences » (ou les Vents) s’ouvre sur ces considérations générales (Littré Hip, volume 6, page 91) :

« Parmi les arts, il en est qui sont pénibles à ceux qui les possèdent, et bienfaisants à ceux qui en usent, source commune de bien pour les gens du monde, mais peine et mal pour les gens du métier. De ce genre est l’art que les Grecs nomment médecine. Le médecin a la vue attristée, le toucher offensé, et dans les malheurs d’autrui son cœur est blessé de chagrins particuliers, {a} tandis que les patients échappent, par l’entremise de l’art, aux maux les plus grands, maladies, souffrances, peines, mort ; car c’est contre tous ces maux que la médecine offre des secours. »

Je n’ai trouvé aucune référence explicite à ce traité d’Hippocrate dans les Adages d’Érasme. Le verbe demetere [moissonner] ne m’y a mené à rien de convainquant dans quatre de ses adages. Pour ne pas revenir tout à fait bredouille de mes recherches, le mot calamitates figure entre autres dans l’adage no 2453, Patrocli occasio [L’Occasion de Patrocle] :

Diogenianus ostendit dici solere de iis, qui, cum ob metum non ausint proprias deplorare calamitates, deflent eas sub prætextu luctus alieni.

[Selon Diogénien, {a} cela se dit de ceux qui, par crainte, n’osent se plaindre de leurs propres malheurs, mais les déplorent sous le prétexte du chagrin d’autrui]. {b}


  1. Mise en italique du passage qui me semble avoir inspiré Guy Patin écrivant en latin : ex alienis miseris proprias calamitates nobis demetimus, « nous moissonnons pour nous les propres malheurs que nous tirons des misères des autres. »

  2. Grammairien grec d’Héraclée du Pont au iie s.

  3. Je doute fort d’avoir résolu la charade hippocratique de Patin.

9.

« Mon désir de régner n’irait pas jusque-là, bien que la Grèce admire les champs Élysées » (Virgile, v. note [2], lettre 125).

10.

« Les rois voient avec les yeux d’autrui ; ils marchent avec les jambes d’autrui ; par les mains d’autrui, ils pillent les richesses de ceux qu’ils ont assujettis ; etc. » ; imitation de Pline (Histoire naturelle, livre xxix, chapitre viii, § 4 ; Littré Pli, volume 2, page 300) :

Alienis pedibus ambulamus, alienis oculis agnoscimus, aliena memoria salutamus, aliena et vivimus opera, perieruntque rerum naturæ pretia et vitæ argumenta. Nihil aliud pro nostro habemus quam delicias.

« Nous marchons avec les jambes d’autrui, nous reconnaissons par les yeux d’autrui, nous saluons grâce à la mémoire d’autrui, nous ne vivons que par autrui ; les biens précieux de la nature et les instruments de la vie sont perdus pour nous ; nous ne regardons comme à nous que nos délices. »

V. note [27] du Faux Patiniana II‑6 pour le Siècle d’or.

11.

« si bon, si avisé, si excellent que soit l’empereur, il se fait acheter », Histoire Auguste, Aurélen (chapitre xliii, § 4, page 1017) :

Ut Diocletianus ipse dicebat, bonus, cautus, optimus venditur imperator.

[Comme disait lui-même Dioclétien, {a} si bon, si avisé, si excellent que soit l’empereur, il se fait acheter].


  1. V. note [30], lettre 345 pour Dioclétien, mais Guy Patin visait les souverains qui régnaient alors en Europe (sans en exclure Louis xiv).

12.

« Chaque fois que les rois extravaguent, les Grecs sont punis » (Horace, v. note [25], lettre 286).

13.

« que vous fouillerez en vain, sans d’ailleurs parvenir à rien, etc. » (Tacite, v. note [2], lettre 343).

14.

« Le cœur du roi est dans la main de Dieu », Proverbes, 21:1 (Vulgate) :

Sicut divisiones aquarum ita cor regis in manu Domini quocumque voluerit inclinabit illud.

[Comme l’eau courante, le cœur du roi est dans la main du Seigneur, qui l’incline à son gré].

15.

V. note [2], lettre 702, pour la grave querelle de préséance survenue le 10 octobre 1661, à Londres, entre Charles de Vateville, ambassadeur du roi d’Espagne en Angleterre, et le maréchal d’Estrades, ambassadeur de France. L’insulte faillit bien rallumer la guerre entre la France et l’Espagne.

16.

« il est extrêmement difficile de restaurer la vigueur d’esprit ; mais je sauvegarderai mon âme dans la persévérance jusqu’à ce que cette faiblesse se dissipe ».

Simon ii Piètre (sans source imprimée identifiée car il n’a à peu près rien publié) avit pu s’inspirer de deux passages de la Bible :

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 134 ro.

Cl. viro D. Vorstio, Medicinæ Doctori, Leidam.

Vir Clarissime,

Duabus tuis varijs temporibus per duos nobiles Scotos acceptis, nempe per
Robertum Sibbaldum, o
Octobri mense, et alterium nuperrimè acceptæ et scriptamæ,
4. Novembris, responsum debeo, et aliquid suprà, nempe gratias amplissimas
pro constanti in me illo amore tuo in me tuo, et singulari illa benevolentia
quam me numquam promeruisse ingenuè fateor. Roberto Sibbaldo quantum
in me erit aut re, aut opere, aut operâ, aut consilio prodero : juvenis est
eruditus et bene moratus, omnium bonorum amore et majore gratia quàm
mea dignus. Alteri, ejus socio, nullam gratiam denegabo si operâ meâ
indigeat, tam propter te commendationémq; tuam, quàm propter commune
studium Medicæ disciplinæ, cui utrumq. deditum et addictum video.
Vetustatem fœderis Gallorum cum gente Scotica jamdudum novi, sed
mutata velificatione Angli
penè facti sunt, quorum indolem et ingenium si
teneant, Gallis tandem erunt iniquiores et intensiores. Domino Filio tuo, erudito
adolescenti, et multa laude digno, omnem operam polliceor.

Novam vestram Operum Ciceronis editionem hîc vidi, et pro ea gratias ago.
Cl. Viri Frid. Gronovij Senecam Tragicum nondum vidi, sed haud dubiè
visurus sum, ejusmodi enim librorum optimorum exemplaria multa semper in
hanc Urbem deferuntur deferri solent à Mercatoribus lucri avidissimis.
De singulis illis gratias ago tibi amplissimas. Nihil aliud ex Urbe vestra cupio,
quàm Theses, Disputationes Philosophicas aut Medicas, aut Orationes, si
aliquæ habeantur, et prece et pretio mihi comparari possint. Audio nuper
apud vos habitam solemnem disputationem de Scorbuto, sub Domino Van Horne,
quam vidisse nondum potui. Utinam bene conveniret Lindano nostro, Viro
optimo, cum Doctissimo vestro Professore Sylvio : sed sic sunt ingenia quorumdam
mortalium, inquieta, et mutuæ concordiæ vel pacis inimica, adeo ut Viros
eruditos maluint hostes habere quàm amicos.

Quod spectat ad alteram tuam nuper mihi redditam, liberè fateor me debere
gallum Æsculapio, utpote qui feliciter evasi ex magno morbo, post 60. ætatis
annum feliciter exactum, et ferè absq. ulla ægritudine : sed benignè ferendum
est quod aliter fieri non potest ; sic erat in fatis, et cùm sic Deo Opt. Max. placuerit,
vix mihi displicuit, cum quum de saluté et convalescentia mea numquam
dubitarim, post octies repetitam venæ sectionem, carissimum meum mihi præsidium,
et paucorum/ Catharticorum/ usum, à quibus/ plurimum/ abhorreo.

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 134 vo.

fFacile mihi fuisset talem morbum effugere, si paulo minus tanto toto anno laborassem,
et paulò cautius cogitassem de conservanda Valetudine : in posterum si Deus voluerit
ero cautior : tantus
hîc hîc fuit apud nos ægrorum numerus toto vere et tota æstate, ut vix,
ac ne vix quidem mihi licuerit aliquid otij retinere ad colligendos spiritus, et
reficiendum corpus nimio labore confectum. Nosti Manilianum illud Aurum dum
quærimus ævum perdimus
 : hæc est fortuna Medicorum Parisensium : urnam
hanc plerique omnes versamus, ex alienis miserijs proprias calamitates nobis
demetimus, ut ait, D
divini ingenij scriptor mihi dilectissimus et popularis vester, in
suis Adagijs
, ex Hipp. libro de flatibus, Des. Erasmus. Tandem bene sit, et laus Deo
quod feliciter emerserim : Utin quod utinam sit in P
publicum commodoum, privatumq.
tuum, si grata aliqua sese offerat occasio, neq. enim detrecto laborem :

Nec mihi regnandi venit tam dira cupido libido,
Quamvis Elysios miretur Græcia campos.

De voto tuo gratias ago singulares, et superstes futurus sum, neq. de statione
discessurus nisi jusserit summus ille Imperator, vitæ ac necis nostræ summus
arbiter ac dispensator : sed priusquam finiam, de rebus nostris publicis tibi
indicabo quod novum est. Nobili vestro Scoto, nuper apud vos Doctori facto, quantum
in me erit efficiam ut intelligat quanti te faciam : quidquid enim erit fuerit à t
Te
C
commendatum, scias velim mihi semper fore gratissimum atq. commendatissimum.

Regem quidem habemus fortem et generosum, sed utinam publicam totius
Galliæ miseriam æquè bene intelligeret : summa est hîc annonæ caritas, quæ
utinam publico bono, jubente Rege imminueretur : tot sunt vectigalia expungenda,
quæ à confecta pace nondum fuerunt expuncta, ut summo jure suo Gallia nostra
pacem non agnoscat, et de ea sancita cum Hispano
sancita, jure possit dubitare. Aureum
seculum nobis imminet
, inquis, et hoc utinam tandem videamus : optandum quidem,
sed necio an sperandum : nosti vetus dictum : Reges alienis oculis vident, alienis
pedibus ambulant, alienis manibus subditorum opes diripiunt,
etc. et tamen quod
semper ferè contigit, bonus, cautus, optimus venditur Imperator. Utinam falsum
sit in rem nostram quod dixit Virgilius
Horatius : quidquid delinquunt Reges, plectuntur
Achivi.
Pacem habemus, nec tamen eam videmus nec aut agnoscimus : utinam
tandem ad nos veniat
cum singulis suis dotibus ac ornamentis, per Regis in subditos suos benevolentiam, invitis Publicanis
et miseris peculatoribus, suspendio dignis furibus, qui Galliam nostram miserè
devastarunt
et attinuerunt, ab annis plusquam 30. De Fuqueto nostro, bipedum nequissimo,
et nebulone miserrimo, quamvis ante hac magnas dig summas Regni dignitates

u.

Ms BIU Santé no 2007, fo 135 ro.

obtinuerit, vix habeo quod ad tTe scribam, quia totum hoc negotium obscurum est,
et adhuc perambulans in tenebris, à quatuor mensibus multa de illo dicta sunt,
sed penè nulla peracta : hactenus in Carcere servatus fuit, et adhuc servatur :
fuit enim à 4. diebus dumtaxat in hanc Urbem deductus : sed quid in posterum
illi fiet, nemo adhuc novit : idcirco totam hanc rem repono inter τα κρυφια,
et arcana imperij, in quæ frustra inquiras, neq. enim ideo assequare, etc. Multi
tanquam furi publico et perniciosissimo peculatori crucem minantur, et
patibulum promittunt : Ego certè de eventu dubito, et certas penè causas habeo
meæ dubitationis. Cor Regis in manu Dei est. De bello Hispanico nihil nobis
metuendum videtur, cùm videatur penè confectum et pacatum istud dissidium,
Anglici Legati culpâ commissum. Hîc habemus Reginam Matrem Annam
Austriacam, publicæ pacis cupidi servandæ cupidissimam, et tutandæ
familiæ Austriacæ studiosissimam, ideòq. mihi facilè in animum induco nullum
posthac nobis bellum cum Hispanis futurum per illius ejus prudentiam quamdiu
superstes esse poterit, nisi quid Hispano Regi humanitus contingat, tunc
enim à nobis seriò agi posset
poterit de repetundis, i. de Catalania, Ducatu
Mediolanensi
, Flandria, et alijs ditionibus quæ olim nostræ fuerunt, aut
saltem à nostris partibus steterunt. Nisi tot tributis gravatam haberemus
nostram Galliam, revera Rex noster pecuniosissimus, feliciter posset
bellum gerere, sed optandum est ut Rex noster Regni sui afflictissimi visceribus potiùs
consulat, quàm ut cogitet de propagandis Galliæ suæ finibus. Fiat fiat. Scio
jamdudum et apprime novi, et mecum pleriq. omnes, miras esse Austriacorum
artes, et summam eorum calliditatem in turbandis rebus publicis : nec
meliores esse puto Loiolitas istos, Simones deterrimos et bipedum nequissimos, qui
religionis obtentu cælum terræ miscent et omnia turbant : spero tamen futurum
ut nostri Deus misereatur, et tot ærumnis publicis à bello ortis finem imponat.
Verùm de tam difficili et intricato negotio, plura aliàs. Interea verò Vir Cl.
rogo Te, des veniam si in hac Epistola describenda utar aliena manu,
adhuc enim languent vires meæ : apprimè nosti quàm sit verum illud quod olim
dicere solebat M
maximus quidam vir è nostris, Simon Pietreus, vir summus
et supra omnes titulos summo suo merito positus, Medicus Parisiensis ac
Professor Regius, nervosum genus dificillissimè restituitur : sed in patientia possidebo
animam meam donec transeat isth isthæc imbecillitas
, omnesq. vires recurrant.

v.

Ms BIU Santé no 2007, fo 135 vo.

Tu verò, Vir Præstantissime, interea vale, et me quod facis, licet adhuc immerentem,
amare perge. Scriptum Lutetiæ Parisiorum die 3. novi anni quem tibi tujsq.
faustum ac felicem præcor
opto, 1662.

Tuus ex animo, Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Adolf Vorst, le 3 janvier 1662

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(Consulté le 23/04/2024)

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