L. latine 180.  >
À Tobias Baumgartner,
le 18 février 1662

[Ms BIU Santé no 2007, fo 129 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. T. Baumgartner, docteur en médecine à Saint-Gall. [n]

Très distingué Monsieur, [a][1]

Je vous dois tous mes remerciements pour cet agréable souvenir dont vous me comblez par la lettre que m’a remise l’excellent M. Gonsebac, votre concitoyen. [2] Je n’accepte pourtant pas ces louanges dont vous avez voulu me couvrir : vous m’en chargez plus que vous ne m’en parez, car je ne les ai jamais méritées. Je me réjouis donc d’abord de votre bonne santé et de l’état florissant de vos affaires ; je suis heureux aussi que vous approuviez notre Université et que vous la louiez au-dessus des autres que vous avez visitées. Cet automne dernier, une maladie m’a empêché pendant 40 jours ; [3] mes forces en restent encore affaiblies, c’est pourquoi je fais appel à une autre main pour vous écrire. J’espère pourtant qu’elles me seront revenues le mois prochain, quand je recommencerai mes leçons publiques avec grande affluence d’auditeurs ; [4] je leur y remettrai en mémoire les plus authentiques sources d’Hippocrate et Galien, [5][6] en laissant de côté cette illégitime polypharmacie[7] qui est importune et strictement inutile, dommageable et onéreuse pour les malades, n’étant avantageuse que pour les pharmaciens, purs coureurs de bourses et pestes de la plus sainte médecine. [8] Je n’ai presque rien à vous dire de nos affaires publiques : une cherté des denrées, extrême et presque inouïe, sévit ici ; [9] on dit que notre roi va bientôt devenir votre voisin en s’emparant du duché de Lorraine, pour un prix certain et à des conditions dûment établies par contrat. [10][11][12] Nous avons racheté Dunkerque à l’Anglais pour deux millions et l’avons rendue à l’Espagnol, qui nous a rendu en retour deux villes de ses Pays-Bas espagnols, savoir Saint-Omer et Aire. [1][13][14][15][16][17] Notre dit roi s’en ira au printemps prochain en Alsace. [2] Nous n’avons ici rien de nouveau en la république des lettres. Faites-moi savoir si pourtant vous désirez quelque chose de notre ville, je vous enverrai très volontiers cela par notre bon ami, le très distingué M. Spon. [18] Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

Votre Guy Patin de tout cœur.

De Paris, ce 18e de février 1662.

Hier à l’aube, un ictus sanguinis a subitement emporté dans l’au-delà un homme que vous connaissez, M. Jamot, chirurgien à l’hôpital de la Charité : c’est ce que les Grecs appellent αποπληξια. [3][19][20] Il était fort obèse et épais, et son énorme ventre débordait d’un pied et demi ; [21] voilà pourquoi une grande quantité de sang lui a brutalement comprimé le cerveau, ce qui l’a suffoqué d’un coup.


a.

Brouillon manuscrit d’une lettre que Guy Patin, encore affaibli (v. note [1], lettre 717), a dictée à l’intention de Tobias Baumgartner, ms BIU Santé no 2007, fo 129 ro ; la suscription, quelques corrections, la signature et le post-scriptum sont de la plume de Patin.

1.

V. note [3], lettre latine 179, pour le rachat de Dunkerque par Louis xiv à Charles ii d’Angleterre ; mais son échange avec Philippe iv d’Espagne, contre Saint-Omer et Aire-sur-la-Lys (deux villes de l’actuel département du Pas-de-Calais), n’eut pas lieu.

2.

Louis xiv ne fit pas ce voyage d’Alsace, mais se rendit à Dunkerque en décembre 1662.

3.

L’Index funereus chirurgicorum Parisiensium (page 68) dit pourtant que Gervais Jamot (v. note [18], lettre 455) mourut en 1689.

Coup de sang (ictus sanguinis) est la dénomination vulgaire de l’apoplexie (du grec apoplêxia), aujourd’hui accident vasculaire cérébral (v. note [5], lettre 45).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 129 ro.

Cl. Viro D. T. Baumgartnero, Medicinæ Doctori Sangallensi.

Vir Clarissime,

Gratias Tibi debeo quam maximas, pro suavi illa recordatione
quâ me beasti, per e
Epistolam quam mihi reddidit vester Civis
D. Gonzebachius, Vir optimus : quamvis in illa Tua e
Epistola laudes illas
non agnoscam quibus me cumulare voluisti, nec tam ornasti quàm
onerasti, et quales nunquam promerui. Primùm itaque lætor de Tua
bona valetudine, et florenti rerum tuarum statu : gaudeo quoque
Tibi probari Academiam nostram, atque laudari
supra cæteras illas
quas perlustrasti. Superiore Autumno morbus me detinuit per dies
40. ex quo vires meæ adhuc imbecillæ remanent, ideóque alienâ
manu utor ad Tibi scribendum. Spero tamen fore, ut vires meæ
recurrant intra mensem proximum, in quo publicas meas prælectiones
magnâ Auditorum frequentiâ denuo auspicabor, in quibus eos ad
puriores Hippocratis et Galeni fontes revocabo, omissâ spuria
illa importuna, et planè inutili pau
Polypharmacia, ægris damnosa
et onerosa, solis Pharmacopæis, pessimis lucrionibus, et purioris Medicinæ
pestibus fructuosa. De rebus nostris publicis vix est quod tecum
agam : hîc summa et penè inaudita viget annonæ caritas : Rex
noster dicitur brevi futurus vicinus Vester, habiturus nempe
Ducatum Lotharingæ, certo quodam pretio, et statis
conditionibus ex compacto agitatis. Dunquerkam ab Anglo
redemimus, duos milliones, eámque reddimus Hispano, qui duas
alias Urbes ex suo Belgio Hispanico nobis rependit, nempe Sanctum
Audomarum et Airam
. Dicitus Rex noster proximo vere
iturus in Alsatiam. De re literaria nihil hîc habemus novi : si quid
tamen ex hac Urbe nostra requiras, fac ut intelligam, et lubentissime
mittam per amicum nostrum singularem Cl. Sponium. Vale
Vir Cl. et me ama.

Tuus ex animo Guido Patin.

Parisijs, die 18. Febr. 1662.

Hesterna luce transijt ad plures, Vir quidam Tibi notus, Dominus Ianot, Chirurgicus in hospitio Charitatis, ex repentino sanguinis
ictu
, quem Græci αποπληξιαν dicunt : erat admodum obesus et crassus, et pinguis aqualiculus protenso sesquipede illi exstabat :
ideóq. fuit illi statim compressum Cerebrum à copia sanguinis, et de repente suffocatum.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Tobias Baumgartner, le 18 février 1662

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(Consulté le 29/03/2024)

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