L. latine 189.  >
À Johann Rudolf Dinckel,
le 14 avril 1662

[Ms BIU Santé no 2007, fo 123 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Dinckel, docteur en médecine à Strasbourg.

Très distingué Monsieur, [a][1]

En réponse à votre honnête sollicitation, je vous envoie ce que vous m’avez demandé, qui est la preuve certaine et solide de la joie que j’éprouve pour le laurier doctoral que votre très célèbre Université vous a naguère décerné. Si ce que j’en ai rapidement écrit, au fil de la plume, vous plaît, j’aurai vraiment motif à me réjouir ; sinon, vous brûlerez mes paperasses et en ferez un sacrifice tardipedi deo[1][2][3] Je n’ai pu faire autre chose, tant par manque de loisir, éparpillé que je suis entre les nombreux malades que j’ai à visiter et le poids de mes diverses autres obligations, qu’à cause de mes Muses qui sont bien froides, n’étant pas encore tout à fait remises de ma maladie de l’hiver dernier, dont je ne suis pas encore bien ni entièrement rétabli. [2][4][5] Je salue monsieur votre grand-père, [3][6] ainsi que les deux très éminents messieurs Sebizius. [7][8] Vous vous souviendrez, je vous prie, des thèses et autres disputations ou discours académiques de chez vous, tant récents qu’anciens, reliés ou non, si vous en trouvez à vendre ; [9] je vous en rembourserai le prix de très bon cœur. Vous les remettrez tous à votre messager, je les recevrai et en paierai le port, ce à quoi je satisferai avec reconnaissance. Je dois beaucoup à M. Melchior Sebizius pour ce que vous m’avez envoyé de sa part. Je vous en laisse décider et m’ordonner ce que vous voulez que j’envoie à ce noble vieillard, livres ou argent, afin que je m’acquitte de cette ancienne dette et que je me libère de ce que je dois à un autre, comme je le désire fortement, avant et au-dessus de bien d’autres obligations. Jamais en effet je n’ai si longtemps dû quelque chose à quelqu’un ; et assurément, pour dire la vérité, ce débit m’est à ce point désagréable que je voudrais ne m’en être encombré et n’avoir rien accepté de ce très distingué Monsieur, que j’admire et respecte pourtant profondément ; à de nombreux titres, je lui suis en effet entièrement lié et soumis. [4] Vale et aimez-moi.

De Paris, le 14e d’avril 1662.

Votre Guy Patin de tout cœur.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johann Rudolf Dinckel, ms BIU Santé no 2007, fo 123 ro. À peu près remis de sa longue maladie (v. infra note [2]), Guy Patin reprenait lui-même la plume.

1.

« au dieu boiteux » : invocation de Vulcain (v. note [19], lettre 209) pour inviter Johann Rudolf Dinckel à jeter au feu, s’il ne lui plaisait pas, l’éloge en vers latins (dont le ms BIU Santé no 2007 n’a pas conservé la copie) que Guy Patin avait composé pour le complimenter de son « laurier doctoral » (laurea doctorali) décerné par la Faculté de médecine de Strasbourg.

L’adverbe nuper [récemment] laisse néanmoins perplexe car cette thèse inaugurale avait été soutenue plus de six ans auparavant :

Disputatio Inauguralis Medica de Chylificatione sive ventriculi coctione, ejusdem concoctricis læsa actione, quam Auspice et Præside summo Facultatum Naturalium Directore, Authoritate et Consensu Nobilissimi atque Excellentissimi Celebrrimæ Argentoratensis Universitatis Medicorum Collegii, pro Summis in Arte Medica Honoribus et Privilegiis Doctoralibus acquirendis, Publico et Solenni φιλιατρων Examini subjicit Johannes Rodolphus Dinckel Argentoratensis. Ad diem […]. mensis Novembr. loco horisque solitis.

[Thèse médicale inaugurale sur la chylification, ou coction par l’estomac, {a} et sur le dysfonctionnement du dit concocteur ; sous la protection et la présidence de l’éminent directeur {b} des Facultés des Sciences naturelles, par l’autorité et le consentement du très noble et célèbre Collège des médecins de la très illustre Université de Strasbourg, Johann Rudolf Dinckel, natif de Strasbourg, l’a soumise à l’examen public et solennel des philiatres, pour obtenir les honneurs et privilèges du doctorat en art médical, le (…) {c} novembre aux lieu et horaire habituels]. {d}


  1. V. note [1], chapitre x du Traité de la conservation de santé.

  2. Sans être parvenu à traduire autrement qu’en remplaçant summo… Directore par summi… Directoris.

  3. Quantième non déchiffré sur l’exemplaire que j’ai consulté à la BnF, cote th‑var‑121 (64).

  4. Strasbourg, Jacobus Thilo, 1655, in‑4o.

Force est de se demander si la lettre de Patin ne serait pas plutôt à dater de 1656 que de 1662. La mention, qu’on y lit plus bas, du grand-père de Dinckel, Johann Rolf Saltzmann, mort en 1656 (v. infra note [3]), plaide aussi en faveur d’un anachronisme, tout comme peut-être e fait que Patin ait lui-même entièrement écrit sa lettre dans une période où il peinait à tenir la plume. Tout cela ne m’a pourtant pas convaincu d’en changer la date car la correspondance avec Charles Spon établit que Patin n’a fait la connaissance de Dinckel qu’à la fin de 1657. J’ai donc préféré « naguère » à « récemment » pour traduire nuper. En poussant fort loin l’art de lire, ou plutôt de deviner entre les lignes, j’imagine que Dinckel souhaitait rééditer sa thèse en l’agrémentant des recommandations de ses maîtres (dont Patin à Paris, en 1657-1658).

2.

V. note [1], lettre 717, pour la probable fièvre typhoïde qui avait frappé Guy Patin en octobre 1661, et dont il avait enduré pendant six mois les séquelles (fatigue et difficulté à écrire, qui l’avait obligé à dicter ses lettres).

3.

Johann Rolf Saltzmann, professeur de médecine à Strasbourg (v. note [10], lettre de Charles Spon, datée du 10 juillet 1657), mort en 1656, était grand-père maternel de Johann Rudolf Dinckel (v. notes [8], lettre de Spon, datée du 28 août 1657, et [36], lettre 504).

4.

Guy Patin a déjà évoqué l’année précédente (v. note [1], lettre latine 165) sa dette envers les Sebizius : pour s’en acquitter, il a envoyé aux Sebizius, en 1663 (v. note [2], lettre latine 269), les six tomes des Opera omnia [Œuvres complètes] de Gassendi (Lyon, 1658).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 123 ro.

Clarissimo viro D. Dinckel, Doctori Medicinæ, Argentoratum.

Ecce Tibi mitto, Vir Cl. quod honesta tua invitatione postu-
lasti, nempe gaudij mei certum et constans argumentum super laurea
illa Doctorali nuper Tibi collata, in celeberrima illa vestra Academia :
si quod currente calamo, breviter in eam rem exaravi, Tibi arrideat, erit
sanè quod gaudeam : sin minus, chartas meas ures, et tardipedi Deo
de ijs sacrum offeres facies : aliud non potui, tum propter otij penuriam, tum
multorum ægrorum visitationibus, et varia aliorum negotiorum
mole miserè distractus, tum propter frigidiores Musas meas, nondum
bene refocillatas, ob morbum hyemis postremæ, à quo nondum bene
aut nec integrè sum mihi restitutus. Dominum Socerum tuum saluto, ut et
viros præstantissimos, utrumque Sebizium. Memineris, quæso,
Theseωn vestrarum, et aliarum Disputationum, aut Orationum Academicarum,
quarum pretium libentissimè refundam, si quæ prostent, aut Tibi vænales
offerantur, tam recentes quàm veteres, compactæ vel non compatæ.
Quidquid Tabellario vestro mihi deferendum tradidebis, accipiam, et
vecturæ pretium persolvam, Tibiq. grato animo satisfaciam. Multa debeo
D. Melch. Sebizio, pro ijs quæ ab eo per Te antehac accepi. Tu rei
totius arbiter esto, et jube vel decerne quid volis ut mittam venerando Seni,
libros vel pecunias, ea fini ut antiquum istud nomen expungam, et alieno isto ære
me liberem, quod ante et supra multa alia vehementer opto :
numquam enim quidquam cuiquam tam diu debui : et sanè, ut verum dicam,
debitum istud adeo mihi molestum est, ut vellem numquam debuisse,
nec quidquam à viro Cl. accepisse, ^ quem tamen aliàs ex omni parte/ suspicio atque vereor : sum enim/ illi multiplici nomine obstrictis-/simus et addictissimus. Vale, et me ama. Datum Parisijs, 14.
Aprilis 1662.

Tuus es animo Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Rudolf Dinckel, le 14 avril 1662

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(Consulté le 24/04/2024)

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